lundi 17 novembre 2014

Israël/Palestine : Yasser Arafat a-t-il été assassiné ? (Armin Arefi)

Dix ans jour pour jour après sa mort, le mystère autour du décès de Yasser Arafat va-t-il enfin être levé ? Dans L'Affaire Arafat* (éditions de l'Archipel), le journaliste Emmanuel Faux propose une passionnante et minutieuse enquête sur "l'étrange mort du leader palestinien". Le 12 octobre 2004, le raïs, enfermé par l'armée israélienne dans sa résidence de la Mouqata'a depuis deux ans et demi, ressent de vives douleurs intestinales après son dîner, puis est pris de vomissements. Dès le départ, ses médecins personnels soupçonnent un empoisonnement.
Mais ils ne disposent pas du matériel adéquat pour le traiter. L'état du raïs s'aggravant, Yasser Arafat, 75 ans, est transféré à Paris, où il décède le 11 novembre 2004 d'une hémorragie cérébrale. Pourtant, les médecins militaires de l'hôpital Percy, à Clamart, écartent catégoriquement la thèse de l'empoisonnement. Pour eux, le président de l'Autorité palestinienne a succombé à une mort "naturelle d'origine inexpliquée". Par conséquent, aucune autopsie n'est réalisée sur le corps. Étrangement, le dossier médical remis à sa veuve, Souha Arafat, est incomplet. L'épouse du raïs soupçonne elle aussi un empoisonnement, mais se mure dans le silence pendant sept longues années, avant que la chaîne d'information qatarie Al Jazeera n'exhume l'affaire à la faveur d'un troublant reportage du journaliste américain Clayton Swisher.
Après avoir convaincu Souha Arafat de lui confier les derniers effets personnels de son mari, Clayton Swisher les fait analyser par l'Institut de radiophysique de Lausanne (Al Jazeera a en partie financé les analyses, NDLR). Et les résultats sont édifiants : les biens du raïs contiennent une quantité élevée de polonium 210, une substance invisible, mais ultra-toxique encore jamais utilisée à l'époque en tant que poison. Deux ans plus tard, cette substance sera absorbée par l'agent double russe Alexander Litvinenko, entraînant sa mort fulgurante en moins de trois semaines.
Les conclusions de l'Institut de Lausanne poussent Souha Arafat (encouragée par Al Jazeera) à porter plainte contre X pour assassinat auprès de la justice française. La veuve du leader palestinien réclame alors à l'hôpital Percy les prélèvements de sang ou d'urine effectués sur la dépouille de son mari, pour les comparer aux analyses de l'Institut de Lausanne. Or, l'établissement de Clamart lui répond que ceux-ci ont été détruits au bout de quatre ans. Dès lors, Souha Arafat va tout faire pour obtenir de l'Autorité palestinienne que le corps de son défunt mari, qui repose à Ramallah, soit exhumé. Pourquoi ne pas l'avoir réclamé plus tôt ? Elle expliquera sans convaincre ne pas avoir voulu infliger une telle souffrance à leur fille, Zahwa, née à Neuilly-sur-Seine en 1995.
Après plusieurs mois de procédure, l'exhumation a enfin lieu le 27 novembre 2012, en présence de trois équipes d'experts internationaux. Les Suisses du laboratoire de Lausanne (mandatés par l'Autorité palestinienne), des Français (la plainte ayant été déposée dans l'Hexagone), et des Russes, invités à la dernière minute par Mahmoud Abbas, l'actuel président de l'Autorité palestinienne. Sur la dépouille - "un squelette aux os déboîtés, avec quelques tissus adipeux autour", décrit l'un des experts -, les spécialistes effectuent de multiples prélèvements. Déjà, lorsque les Suisses passent les échantillons au détecteur à radiation, l'appareil se met à crépiter. "Nous ne sommes pas venus pour rien", confie le professeur François Bochud, directeur de l'Institut de radiophysique de Lausanne, interrogé par Emmanuel Faux.
En effet, un an plus tard, l'équipe suisse livre les résultats de ses analyses. Et relève des quantités de polonium 210 jusqu'à 20 fois supérieures à la normale, ce qui lui permet de soutenir "raisonnablement la thèse de l'empoisonnement". Or, une semaine plus tard, ces résultats sont contredits par ceux des experts français, qui concluent à une "absence d'un empoisonnement au polonium 210". Si le rapport reste secret en raison de l'instruction en cours, une source proche du dossier interrogée par l'Agence France-Presse affirme que les conclusions vont "dans le sens d'une mort naturelle" de l'ex-raïs, "de vieillesse, à la suite d'une infection généralisée".
Étonnamment, les deux expertises relèvent les mêmes doses de polonium sur le corps de l'ex-raïs. Mais leur interprétation diffère. Pour les Français, ces quantités s'expliqueraient par la présence de radon, un gaz radioactif naturel dont la désintégration produit du polonium, dans la tombe du défunt. À l'inverse, pour les Suisses, le polonium retrouvé suppose "forcément l'intervention d'un tiers". "Si l'explication par le radon était suffisante, on devrait avoir les mêmes valeurs dans tous les échantillons de terre prélevés dans la tombe", affirmera le Pr François Bouchud à la Les experts russes rejoindront fin décembre 2013 les conclusions françaises. D'après l'Agence fédérale d'analyses biologiques, Yasser Arafat "est mort d'une mort naturelle et non du résultat d'une irradiation". Or, à en croire Emmanuel Faux, le rapport aurait été réécrit par le ministère russe des Affaires étrangères avant sa publication finale. Autre information révélée par Emmanuel Faux, les juges français devraient confirmer au cours de l'année 2015 la mort naturelle du raïs. Jacques Gazeaux, un des juges français chargés du dossier, accuse même les Suisses de "ne pas être des experts indépendants". Pour le magistrat, interrogé par Emmanuel Faux, la conclusion du rapport de l'Institut de radiophysique de Lausanne est simplement "destinée à faire plaisir à leurs commanditaires", autrement dit le Qatar.
Ces contradictions ne font que renforcer la suspicion des dirigeants palestiniens, convaincus qu'on leur cache la vérité sur la mort de leur ancien leader. D'autant que le président de la commission d'enquête palestinienne sur la mort d'Arafat, Tawfiq Tirawi, assure que les experts suisses et russes lui ont confié que l'ex-raïs n'était pas mort naturellement. Quant aux Français, ils ne lui auraient tout simplement pas répondu. "J'ai l'impression que le dossier Arafat, pour les Français, est une question très confidentielle", affirme Tawfiq Tirawi, avant d'ajouter qu'il a obtenu des "informations" lui permettant d'être "sûr que Yasser Arafat a été assassiné". Pourtant, cinq années après sa création, sa commission n'a toujours remis aucune conclusion. Mais Tirawi n'en démord pas et va même jusqu'à affirmer à Emmanuel Faux que l'empoisonneur est "à 100 %" israélien.
Cette hypothèse est dans toutes les têtes depuis la diffusion du documentaire d'Al Jazeera en 2012 et les propos des scientifiques suisses selon lesquels seuls "des gens qui s'intéressent ou construisent des armes nucléaires" auraient accès au polonium 210. Sur cette question, Emmanuel Faux, correspondant à Jérusalem de la radio Europe 1 de 2003 à 2007, apporte un indispensable éclairage. Alors que Yasser Arafat était encore considéré en 2000 à Camp David comme interlocuteur légitime aux yeux d'Israël, il redevient un pestiféré dès l'année suivante après l'accession au pouvoir d'Ariel Sharon et le déclenchement de la seconde Intifada. Et en l'enfermant dans son palais de Ramallah, le Premier ministre israélien va tout bonnement réussir à éliminer Arafat politiquement.
"Sharon a finalement pensé qu'Arafat était beaucoup plus utile vivant, enfermé dans la Mouqata'a, que mort et donc martyr !" affirme à l'auteur de L'Affaire Arafat Yigal Palmor, ancien porte-parole de la diplomatie israélienne. Cette "mort politique" ne va pas empêcher Ariel Sharon de vouloir en finir physiquement avec Arafat. C'est en tout cas ce que le chef du gouvernement israélien aurait confié à son ami journaliste Uri Dan. À en croire le reporter israélien, Sharon aurait confié à George W. Bush le 14 avril 2004 sa volonté d'assassiner le leader palestinien.
"Il faut laisser le destin d'Arafat entre les mains de Dieu, lui aurait répondu le président américain. "Parfois, Dieu a besoin d'une aide", aurait alors répliqué Ariel Sharon, toujours selon Uri Dan. Pourtant, l'ancien conseiller de Sharon Dov Weisglass, interrogé par Emmanuel Faux, rappelle qu'il aurait été "stupide de tuer quelqu'un qui, à nos yeux, était politiquement mort". Et de préciser : "Tuer au Proche-Orient n'est pas nécessairement le monopole des Israéliens !"
En effet, le 10 mars 2014, c'est Mahmoud Abbas - le président de l'Autorité palestinienne en personne - qui suggère une tout autre piste, venant cette fois de l'intérieure. Lors d'un discours public, le successeur de Yasser Arafat suggère que le meurtrier d'Arafat n'est autre que Mahmoud Dahlan, ex-protégé du raïs et favori à sa succession. Homme de confiance du raïs, le trentenaire se voit nommer au milieu des années 1990 chef de la sécurité préventive de l'Autorité palestinienne à Gaza.
Sur le terrain, Mahmoud Dahlan se révèle être un redoutable politique aux méthodes brutales - il n'hésite pas à exécuter ses ennemis -, doublé d'un impitoyable homme d'affaires. Son ambition démesurée et son pragmatisme séduisent tant les États-Unis qu'Israël, qui voient en lui le successeur parfait au vieillissant Arafat. Partisan d'un changement de génération à Ramallah, le jeune loup n'hésitera pas à envoyer en 2003 une lettre au ministre israélien de la Défense, Shaul Mofaz, dans laquelle il écrit : "Ayez la certitude que les jours de Yasser Arafat sont comptés. Mais permettez-nous d'en finir avec lui à notre manière, et non à la vôtre." Une tâche rendue facile par le ballet incessant de visiteurs que recevait le raïs à la Mouqata'a.
Si Emmanuel Faux ne nomme pas de coupable, il rappelle que dans cette enquête "c'est la science qui a le dernier mot". Seul journaliste à détenir aujourd'hui l'intégralité du dossier médical de Yasser Arafat, il parvient enfin à répondre à l'épineuse question : "Yasser Arafat a-t-il été empoisonné ?"

(14-11-2014 - Armin Arefi)

(*) L'Affaire Arafat d'Emmanuel Faux vient de paraître aux éditions de l'Archipel.

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