L’inquiétude gagne du terrain chez des artistes, journalistes et
défenseurs des droits de l’Homme tunisiens, la condamnation d’un rappeur
et de militantes féministes à des peines de prison ferme semblant
signaler un tour de vis du gouvernement dirigé par les islamistes.
Le chanteur Weld El 15 a été condamné jeudi à deux ans de prison ferme
pour insulte à la police et trois membres des Femen qui avaient
manifesté seins nus ont écopé de quatre mois de détention dans un
jugement rendu mercredi.
Ces décisions sévères tranchent avec la condamnation à des peines de
prison avec sursis de 20 activistes salafistes qui avaient attaqué
l’ambassade américaine en septembre dernier.
"Même si ces formes d’expression pacifiques peuvent être choquantes,
elles ne doivent pas donner lieu à des peines aussi sévères", estime
Amna Guellali représentante de Human Rights Watch à Tunis, au sujet des
procès de Weld El 15 et des Femen.
"Cela pose la question de l’instrumentalisation de la justice. S’il n’y a
aucune preuve que des directives de la justice sont données (par le
gouvernement) elle n’en devient pas moins un instrument de répression
répondant à l’ordre, à l’orthodoxie, à l’idéologie dominants", note Amna
Guellali.
Ces lourdes condamnations ne sont pas les premières. En mars 2012, deux
jeunes militants athées ont ainsi été condamnés à plus de sept ans de
prison pour la diffusion de caricatures du prophète.
Mais ces procès semblent se multiplier sur la base du code pénal très
répressif établi sous le président Zine El Abidine Ben Ali, renversé par
la révolution de 2011, et qui malgré les promesses des autorités n’a
pas fait l’objet d’un toilettage.
Le 19 juin, trois journalistes doivent ainsi comparaître pour avoir
diffusé des informations erronées portant atteinte à l’ordre public. Ils
risquent six mois de détention.
En cause, un reportage diffusé par la chaîne télé privée Ettounsiya sur le trafic d’armes aux frontières.
Pour l’un des accusés, Sofiène Chourabi, "la justice est manipulée par
l’exécutif (...) le gouvernement veut tuer dans l’oeuf la contestation
qui monte chez les jeunes".
Ce blogueur qui s’est fait un nom durant la révolution ne cache pas ses
inquiétudes à quelques jours de son procès, au regard de la sévérité des
juges dans l’affaire Weld El 15.
"Avec ce qui s’est passé (jeudi, ndlr), je crains d’être emprisonné", s’inquiète M. Chourabi.
Pour le comique Lotfi Abdelli, même si le rappeur a "abusé" avec ses
insultes adressées aux policiers et aux juges dans sa chanson, "ce n’est
pas une raison pour aller en prison".
"Ce gouvernement essaye d’aller vers la dictature mais on va le
recadrer. On ne va pas baisser les bras, même si on risque deux ou trois
ans de prison. Notre liberté d’expression est encore là, on va
continuer notre révolution", dit-il.
Cet artiste rappelle que la justice n’a jamais inquiété les salafistes
qui avaient empêché par leurs menaces la tenue de son spectacle en août
2012.
"Ça se passe de commentaires", poursuit M. Abdelli qui a été récemment
blanchi d’accusation de diffamation -passible d’un an de prison- pour
avoir brandi un doigt d’honneur en présence d’un ministre sur un plateau
de télévision.
"J’attaque le gouvernement mais je travaille mes attaques pour qu’il n’y
ait pas de conséquence en justice, je sais à qui je m’adresse. (Weld El
15) a été trop direct malheureusement", relève le comique.
(14-06-2013)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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