Lundi après-midi, un calme inquiétant planait sur les rues de Saïda,
ville majoritairement sunnite du sud du Liban. Seul le claquement des
rafales de kalachnikov résonnait au loin : alors qu’un nuage de fumée
noire assombrissait le ciel, l’armée a lancé l’assaut sur Abra, quartier
perché sur une colline qui surplombe la ville. C’est là-bas, dans leur
fief, que les partisans du leader salafiste Ahmad al-Assir ont
violemment combattu l’armée pendant plus de 24 heures.
Tout a commencé dimanche : après l’arrestation de l’un des leurs, ils
ont ouvert le feu sur un check-point de l’armée. Si cette dernière a
réussi à prendre le dessus et que le cheikh al-Assir est désormais en
fuite, le bilan s’annonce lourd : au moins douze soldats ont perdu la
vie. Une centaine d’autres et autant de civils ont été blessés.
Méconnu il y a encore un an, cet imam sunnite adepte d’une lecture
radicale de l’islam a gagné en influence grâce à ses prêches virulents
contre le régime syrien et son allié libanais le parti chiite Hezbollah.
Au fil des mois, son discours pro-révolution syrienne est néanmoins
devenu de plus en plus violent et communautaire. Mi-juin, il avait lancé
un ultimatum au Hezbollah afin qu’il libère les appartements qu’il
occupe à Abra : une menace mise à exécution dimanche. L’implication
officielle du Hezbollah en Syrie aux côtés du régime syrien n’a fait que
renforcer la fougue du leader salafiste : en avril, il avait appelé à
la guerre sainte en Syrie afin d’y défendre les sunnites contre le
Hezbollah. Les chiites, de manière générale, sont dans sa ligne de mire.
Et aussi l’armée, que le cheikh accuse d’être contrôlée par le
Hezbollah.
Si peu de sunnites soutiennent le Hezbollah, l’offensive d’al-Assir est
désapprouvée par nombre d’entre eux à Saïda. Non loin de l’hôpital
Hamoud, dans une rue commerçante aux rideaux de fer baissés, un groupe
de jeunes hommes fume le narguilé. "Le cheikh al-Assir est un chien, il
faut le tuer !" s’exclame Khalil. "On le déteste même si on est
sunnite". Près de lui, Rami, étudiant, partage son avis : "Il essaye de
diviser les sunnites et les chiites, mais dans cette rue on a toujours
vécu ensemble et il n’y a pas de raison que ça change, il n’y a qu’un
Dieu pour tous."
Dans les rues, seuls des petits groupes d’hommes font le pied de grue
devant les rares boutiques ouvertes. Sur le perron de son magasin de
téléphonie mobile, Isham ne se fait pas prier pour donner son opinion.
"Lui et ses partisans tuent alors que c’est formellement interdit par
l’islam, crie-t-il. Ils utilisent la religion pour s’en mettre plein les
poches." Selon ce Palestinien, le cheikh al-Assir est utilisé par les
pays arabes de la région : "On lui donne de l’argent et des armes pour
qu’il divise les Libanais et que le conflit syrien se propage dans notre
pays ; comme ça, pendant ce temps-là, Israël n’est pas attaqué."
Le sentiment de subir de plein fouet les conflits de la région est
partagé par Mohammad. Assis devant son bureau de la place al-Najma au
centre de Saïda, ce vieux chauffeur de taxi attend des clients absents.
"Les pays étrangers, que ce soit Israël ou les pays européens,
encouragent l’islam radical du cheikh al-Assir pour déstabiliser un peu
plus la Syrie", pense-t-il. Début mai, une photo du leader salafiste en
armes à Qousseir, région stratégique syrienne où se préparait une
bataille entre le Hezbollah et les rebelles, avait en effet été
diffusée.
Non loin du centre, l’avenue qui borde le secteur de Bustan el-Kabir est
vide. Seuls des tanks de l’armée sont agglutinés devant les immeubles
qui délimitent ce quartier résidentiel : il abrite de nombreux
supporteurs du cheikh al-Assir, qui y a fait construire une mosquée.
L’armée, qui a tenté de les déloger dès dimanche soir, y a lancé un
assaut lundi en fin d’après-midi. Preuve des combats qui ont secoué les
lieux, un 4x4 aux vitres éclatées et au capot défoncé gît sur le bord du
trottoir. Un habitant sort constater les dégâts. Lui n’est pas plus
solidaire du cheikh al-Assir, mais souhaiterait que chaque groupe armé
libanais reçoive le même traitement. "Il ne vaut pas mieux que le
Hezbollah, tous deux sèment la discorde, mais si l’armée veut déloger
ses partisans à Saïda, elle doit aussi reprendre le contrôle de la
Dahye !" La banlieue sud de Beyrouth, qui porte ce nom, est en effet
sous la coupe du Hezbollah.
Souvent critiquée par les Libanais pour sa faiblesse, l’armée a soudain
trouvé, avec l’offensive de Saïda, de nombreux supporteurs. "Ce sont nos
pères, nos frères, nos fils, comment les hommes d’al-Assir ont-il pu
l’attaquer ?" s’interroge Nasib, qui campe dans son magasin de meubles
dont la devanture a été pulvérisée par les combats. Selon lui, la fin du
cheikh salafiste est proche : "L’armée va l’éliminer." Une issue qui ne
ramènera pas forcément le calme. "J’ai peur que les choses ne fassent
qu’empirer". À Tripoli, dans le nord du Liban, des hommes armés ont
ouvert lundi le feu dans plusieurs quartiers de la ville en solidarité
avec le cheikh al-Assir.
(25-06-2013 - Assawra avec les agences de presse)
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