François Hollande a tenu parole. Lors de la campagne présidentielle
2012, le candidat socialiste avait fait de la reconnaissance
internationale d’un État palestinien son 59e engagement. Après moult
hésitations, le chef de l’État a finalement respecté sa promesse. Et
c’est son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui s’est
chargé ce mardi d’annoncer la nouvelle. Devant l’Assemblée nationale, le
chef de la diplomatie française a déclaré que la France voterait en
faveur de l’octroi d’un nouveau statut rehaussé de la Palestine : celui
d’État observateur non membre.
Les Palestiniens bénéficiant du soutien d’au moins 130 pays sur les 194
qui forment l’Assemblée générale de l’ONU, qui ne compte pas de droit de
veto, leur succès jeudi paraît acquis. En quoi consiste ce nouveau
statut ? "Cela ne change strictement rien à la situation actuelle",
assure Philippe Moreau Defarges (1), grand spécialiste des questions
internationales à l’Institut français des relations internationales
(IFRI). "Cette instance n’émet que des recommandations et n’a aucun
pouvoir de décision, ce qui reste l’apanage du Conseil de sécurité. En
outre, ajoute le spécialiste, les pays qui n’auront pas voté en faveur
de la Palestine ne seront pas liés juridiquement à la décision."
Mais un an après l’échec de l’Autorité palestinienne dans sa demande
d’adhésion d’un État palestinien au Conseil de sécurité de l’ONU, ce
soutien français - le premier d’un pays européen - revêt un aspect
symbolique indéniable. "Ce vote, nous allons le faire avec cohérence et
lucidité", a déclaré mardi Laurent Fabius. "Vous savez que depuis des
années et des années, la position constante de la France a été de
reconnaître l’État palestinien. C’est la raison pour laquelle jeudi ou
vendredi prochain, quand la question sera posée, la France répondra oui
par souci de cohérence", a déclaré le chef de la diplomatie française
devant les députés, tout en répétant que seule la négociation "sans
conditions et immédiate" entre les deux parties pourra aboutir à "la
concrétisation d’un État palestinien".
La cohérence ne paraît pourtant pas avoir été le fort de la France ces
derniers jours sur la question palestinienne. Le 31 octobre dernier, en
recevant le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, François
Hollande avait surpris en déplorant "la tentation pour l’Autorité
palestinienne d’aller chercher à l’Assemblée générale de l’ONU ce
qu’elle n’obtient pas dans la négociation" avec l’État hébreu. "Les
propos du président ont été mal interprétés", souligne-t-on au Quai
d’Orsay. "Ce vote est justifié par les engagements et la direction pris
par la politique étrangère de la France depuis des années."
Interrogé, le ministère israélien des Affaires étrangères avoue être
"peu surpris" par la décision française. "Nous estimons que cette
initiative de la France est néfaste pour le processus de paix, et donc
pour les Israéliens et les Palestiniens eux-mêmes", affirme Ilana Stein,
la porte-parole adjointe de la diplomatie israélienne. Le 19 novembre
dernier, François Hollande avait indiqué que la démarche palestinienne
pouvait "être aussi une pression pour que cette négociation directe
s’ouvre sur des bases qui soient acceptables, c’est-à-dire, celle des
deux États". Mais le président de la République évoquait également les
"risques" d’une telle démarche. "Les Américains peuvent aussi avoir des
mesures de rétorsion, et sans que ça fasse avancer la cause de la
négociation entre Israël et la Palestine".
En octobre 2011, l’admission de la Palestine en tant qu’État à l’Unesco
avait poussé Israël et son allié américain à rompre leur aide économique
à l’organisation culturelle internationale. Il faut dire qu’aux
États-Unis une loi interdit le financement de toute institution
internationale reconnaissant un État palestinien. Côté israélien, on
affirme attendre de voir ce que les Palestiniens vont faire de ce
nouveau statut. "Tout dépend ce qu’ils décident, par exemple s’ils
saisissent la Cour internationale de justice", affirme la porte-parole
adjointe de la diplomatie israélienne.
En effet, cette élévation du statut de la Palestine pourrait permettre
aux Palestiniens de saisir les instances internationales de justice pour
y traduire les responsables israéliens. Toutefois, d’après Julien
Salingue (2), chercheur en sciences politiques, Mahmoud Abbas a obtenu
le soutien de la France après s’être engagé à ne pas le faire. "On voit
mal le président de l’Autorité palestinienne traduire en justice des
gens avec qui il veut négocier." Car, pour ce spécialiste de la
Palestine, cette initiative unilatérale sert avant tout d’argument à
l’Autorité palestinienne pour reprendre les négociations avec Israël.
"Il n’y a pas de raccourci aux négociations pour traiter des problèmes
bilatéraux de frontières, et de réfugiés", martèle pour sa part la
porte-parole adjointe de la diplomatie israélienne. "Le non-règlement de
ces problèmes par la négociation ne fait que nous éloigner d’une
solution. D’autre part, cette initiative va à l’encontre de nos accords
conclus à Oslo" en 1993, ajoute Ilana Stein. "Un prétexte", estime
Julien Salingue. "Cela fait quinze ans que l’accord d’Oslo est mort.
S’il est une politique qui invalide la possibilité d’un État palestinien
viable, c’est bien la poursuite de la colonisation." Selon l’ONU, ce
sont au total plus d’un demi-million de colons qui habitent désormais
illégalement les territoires occupés de Cisjordanie.
Deux ans après leur interruption, la possibilité d’une reprise des
négociations, mise en péril par la poursuite des implantations, semble
illusoire. Une réalité d’autant plus implacable que les primaires du
Likoud, le parti de droite de Benyamin Netanyahou, appelé à gouverner de
nouveau le pays en janvier prochain, ont couronné des députés radicaux.
"Sur les 20 députés arrivés premiers, 19 sont opposés à tout État
palestinien indépendant", souligne Julien Salingue.
Dans un tel contexte, le "bain de jouvence" international promis jeudi à
Mahmoud Abbas pourrait avant tout lui servir sur la scène intérieure
palestinienne. Déjà considérablement affaibli par une crise économique
sans précédent, le président de l’Autorité palestinienne a subi
dernièrement l’affront d’être battu aux municipales au sein même de son
parti, le Fatah. Et la guerre de Gaza, dans laquelle il n’a pu jouer
aucun rôle, a fini de l’achever, au profit du Hamas.
"On assiste aujourd’hui à une volonté de certains pays occidentaux de
s’accrocher à un processus négocié au Proche-Orient en soutenant leur
acteur palestinien préféré", analyse Julien Salingue. "En effet, ils ne
trouveront jamais d’autre dirigeant palestinien aussi modéré et opposé à
la violence que Mahmoud Abbas. Mais cette modération l’a conduit à
disparaître politiquement dans les territoires palestiniens, notamment
dans le contexte de la colonisation israélienne."
(26 Novembre 2012 - Armin Arefi)
(1) Philippe Moreau Defarges, auteur de La Géopolitique pour les nuls (First éditions, nouvelle édition ).
(2) Julien Salingue, auteur de À la recherche de la Palestine (éditions du Cygne).
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