Le président islamiste égyptien Mohamed Morsi a décidé jeudi de
renforcer considérablement ses pouvoirs, en particulier face à la
justice, une annonce justifiée par la "défense" de la révolution de 2011
mais qui lui vaut d’être qualifié de "nouveau pharaon" par
l’opposition.
Des manifestations rivales avaient lieu en soirée dans le centre du
Caire pour appuyer ou dénoncer les décisions de M. Morsi, un ancien haut
responsable des Frères musulmans élu président en juin 2012.
"Le président peut prendre toute décision ou mesure pour protéger la
révolution", a annoncé le porte-parole de la présidence, Yasser Ali, en
lisant une "déclaration constitutionnelle" à la télévision.
"Les déclarations constitutionnelles, décisions et lois émises par le
président sont définitives et ne sont pas sujettes à appel" en attendant
une nouvelle Constitution, a-t-il ajouté.
Ces décisions visent à "nettoyer les institutions" et "détruire les
infrastructures de l’ancien régime", a-t-il ajouté en référence à
l’époque du président Hosni Moubarak, déchu en février 2011 sous la
pression de la rue.
Il a à cet égard demandé "de nouvelles enquêtes et jugements" dans les
affaires de meurtres de manifestants lors de la révolte de 2011, faisant
planer une menace sur certains hauts responsables militaires ou de la
police, voire un nouveau procès pour M. Moubarak en détention à
perpétuité.
Cette annonce survient au lendemain d’un accord de cessez-le-feu entre
Israël et les groupes armés palestiniens de la bande de Gaza, pour
lequel M. Morsi a joué un rôle important largement salué par la
communauté internationale.
L’opposant Mohammed ElBaradei, prix Nobel de la Paix, a accusé M. Morsi
de se proclamer "nouveau pharaon d’Egypte". "Aujourd’hui, Morsi a
usurpé tous les pouvoirs. Un énorme coup porté à la révolution qui
pourrait avoir d’épouvantables conséquences", a-t-il écrit sur Twitter.
Des formations de l’opposition égyptienne ont dénoncé jeudi soir
l’annonce du renforcement des pouvoirs de M. Morsi et ont appelé à des
manifestations nationales de protestation.
"C’est un coup contre la légitimité (...) Nous appelons tous les
Egyptiens à protester vendredi sur toutes les places d’Egypte", a
déclaré Sameh Achour, chef du syndicat des avocats, lors d’une
conférence de presse conjointe avec ElBaradei et un autre opposant de
poids, Amr Moussa.
Des centaines de manifestants en colère se sont rassemblés non loin de
la place Tahrir pour dénoncer l’annonce du chef de l’Etat. "Nous n’avons
pas mené une révolte pour remplacer un dictateur par un autre", a
fustigé Khaled Ali.
A quelques kilomètres de là, des centaines de manifestants réunis devant
le Palais de justice ont en revanche apporté leur soutien à M. Morsi.
"(Sa) décision va permettre de rendre justice aux martyrs et de
contraindre les corrompus à rendre des comptes", s’est félicité Mahmoud
Sultan.
M. Morsi cumule déjà les pouvoirs exécutif et législatif -la chambre des
députés a été dissoute en juin-, et entretient des relations tendues
avec une grande partie de l’appareil judiciaire.
Il a décidé jeudi de limoger le procureur général, Abdel Meguid Mahmud,
qu’il avait échoué à démettre de ses fonctions en octobre, et a désigné
un autre juge, Talaat Ibrahim Abdallah, pour le remplacer pour quatre
ans. M. Mahmud avait été nommé sous M. Moubarak.
M. Morsi a également décidé qu’aucune instance judiciaire ne pouvait
dissoudre la commission chargée de rédiger la future Constitution,
critiquée par les milieux libéraux, laïques et l’église chrétienne
copte, qui l’accusent d’être dominée par les islamistes.
Sa composition fait actuellement l’objet d’un recours devant la Haute cour constitutionnelle.
Il a aussi étendu de deux mois le mandat de cette commission, qui avait
initialement jusqu’à mi-décembre pour présenter un projet de loi
fondamentale pour remplacer celle en vigueur sous M. Moubarak.
"Il y a du positif et du négatif" dans ces annonces, a estimé Heba
Morayef, de l’organisation Human Rights Watch. Les nouvelles enquêtes
sur les meurtres commis durant la révolte anti-Moubarak "sont une bonne
décision" et le procureur général hérité de l’ancien régime "devait
changer", estime-t-elle.
"Le problème fondamental, qui menace l’Etat de droit et tout l’équilibre
démocratique, c’est de donner une immunité à tous ses décrets en
attendant qu’il y ait une nouvelle Constitution", ajoute-t-elle.
M. Morsi avait déjà renforcé son pouvoir en écartant en août le ministre
de la Défense Hussein Tantawi, chef du Conseil suprême des forces
armées (CSFA).
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