"Je suis la Zitouna !" s’emporte, en appuyant chaque syllabe, le
cheikh Houcine Laabidi. La Zitouna (olivier, en français) est la mosquée
la plus prestigieuse de Tunisie. Longtemps, ce lieu de culte, situé au
coeur de la médina de Tunis, a abrité l’une des premières universités du
monde arabe, à l’image de la très célèbre mosquée Al-Azhar en Égypte.
"Personne ne peut intervenir dans le contenu des cours", fustige ce
cheikh impétueux, qui, dans un geste théâtral, pointe du doigt l’article
1 du règlement de la mosquée, selon lequel l’établissement est
"indépendant".
Lorsque Bourguiba est arrivé au pouvoir en 1956, il a bloqué les dons
de la mosquée, sa seule source de revenus, condamnant de facto
l’enseignement zeitounien. Un an et demi après le départ de Ben Ali, cet
enseignement devrait faire son grand retour pour le secondaire et le
supérieur. Des annexes ont rouvert dans tous les gouvernorats du pays.
Au programme, mathématiques et histoire-géo par exemple, mais aussi
apprentissage du Coran.
Une première école primaire coranique de la Zitouna devait ouvrir,
mais le ministère de l’Éducation l’a interdite : le dossier n’a pas été
déposé dans les délais. Sur tout le territoire tunisien, il y a, selon
les chiffres du ministère des Affaires religieuses, plus de 200 écoles
coraniques indépendantes. "Il s’agit d’actions de la société civile qui
respectent la loi", explique-t-on au ministère, tout en admettant ne pas
intervenir sur l’enseignement coranique délivré. Parmi celles-ci, les
cours pour adultes de la Zitouna dispensés le samedi et le dimanche.
Selon les dires du cheikh, près de 6 000 personnes se seraient inscrites
pour assister à ces classes entièrement gratuites. Le financement ?
"Des hommes d’affaires", balaie Houcine Laabidi, sans donner plus de
détails.
"Ouvrir des écoles d’enseignement secondaire ou supérieur est
illégal ! Le cheikh cherche à créer un État dans l’État", estime pour sa
part Ali Lafi, conseiller auprès du ministre des Affaires religieuses.
Ce ministère a signé le 12 mai dernier un protocole d’accord pour
relancer l’enseignement "zeitounien", avec ceux de l’Éducation et de
l’Enseignement supérieur ainsi qu’avec la mosquée Zitouna. Depuis, des
réunions ont lieu avec des "anciens de la Zitouna", sans que le cheikh
Houcine Laabidi soit convié. "Il faut un retour de l’enseignement dans
les règles : on doit savoir ce qu’on enseigne, comment, avec qui et à
qui. Le cheikh Laabidi travaille sans stratégie, sans programme. Il veut
commencer de suite", regrette Ali Lafi, alors que le ministère semble
ne plus avoir de contrôle sur cet imam désobéissant.
"Houcine Laabidi n’a rien à voir avec les imams historiques de la
mosquée. La mosquée Zitouna a toujours été tenue par des aristocrates
qui travaillaient en connivence avec le pouvoir. Pour les zeitouniens,
il est un roturier, qui plus est contre le pouvoir et Ennahda, plus
nuancé que lui. Il ne tire sa légitimité que de la présence de ses
fidèles", souffle Youssef Seddik, philosophe, anthropologue et
spécialiste de l’Islam, expulsé de la mosquée en avril dernier alors
qu’il se rendait à un débat entre Rached Ghannouchi et Abdelfattah
Mourou, fondateurs historiques du mouvement Ennahda.
"Une centaine de mosquées, dont six entre les mains des intégristes",
sur les 5 000 lieux de culte en Tunisie, seraient toujours hors du
contrôle du ministère des Affaires religieuses. En juillet, le ministère
a essayé de nommer un nouvel imam à la Zitouna. En vain. "Les fidèles
l’ont chassé", se souvient Ali Aouini, professeur d’histoire-géographie à
la retraite, qui reprendra du service dans les prochains jours pour le
compte de la Zitouna. Dans un élan d’arrogance, le cheikh a fait changer
les clés de la salle des imams, bloquant ainsi l’accès aux envoyés du
ministère. "Le personnel était en grève et était parti avec les clés.
C’est pour ça que nous avons changé les serrures", soutient, quant à
lui, Ali Aouini.
"Le retour de l’enseignement religieux à la Zitouna permettrait de
rectifier les dérives extrémistes que l’on observe dans la société",
prêche le cheikh Houcine Laabidi. La mosquée Zitouna, dont l’islam prôné
est d’obédience malékite, a été traversée par un courant des penseurs
réformistes du XIXe siècle. Et en 1864, les zeitouniens ont même envoyé
une lettre à Mohamed Ibn Abdelwahab, le père du wahhabisme, ce courant
islamique rigoriste venu d’Arabie saoudite, refusant officiellement
cette pensée. "Les salafistes sont des ignorants de l’islam, tout comme
les laïques", crache cet octogénaire, qui a notamment appelé, en juin
dernier, au meurtre des artistes exposant au palais Abdellia de La
Marsa, dont l’événement "Le Printemps des arts" avait soulevé la colère
de nombreux salafistes.
"Si on met en place deux types d’enseignement dans le pays, il risque
d’y avoir une cassure dans la société et une guerre civile dans les
esprits. Ceux qui recevront une éducation dite française seront d’autant
plus perçus comme des mécréants par l’autre partie de la société",
craint Youssef Seddik en prônant une libre interprétation du Coran qu’il
a vulgarisé dans de nombreux livres.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire