lundi 1 octobre 2012

Tunisie : La mosquée Zitouna à nouveau ouverte

"Je suis la Zitouna !" s’emporte, en appuyant chaque syllabe, le cheikh Houcine Laabidi. La Zitouna (olivier, en français) est la mosquée la plus prestigieuse de Tunisie. Longtemps, ce lieu de culte, situé au coeur de la médina de Tunis, a abrité l’une des premières universités du monde arabe, à l’image de la très célèbre mosquée Al-Azhar en Égypte. "Personne ne peut intervenir dans le contenu des cours", fustige ce cheikh impétueux, qui, dans un geste théâtral, pointe du doigt l’article 1 du règlement de la mosquée, selon lequel l’établissement est "indépendant".
Lorsque Bourguiba est arrivé au pouvoir en 1956, il a bloqué les dons de la mosquée, sa seule source de revenus, condamnant de facto l’enseignement zeitounien. Un an et demi après le départ de Ben Ali, cet enseignement devrait faire son grand retour pour le secondaire et le supérieur. Des annexes ont rouvert dans tous les gouvernorats du pays. Au programme, mathématiques et histoire-géo par exemple, mais aussi apprentissage du Coran.
Une première école primaire coranique de la Zitouna devait ouvrir, mais le ministère de l’Éducation l’a interdite : le dossier n’a pas été déposé dans les délais. Sur tout le territoire tunisien, il y a, selon les chiffres du ministère des Affaires religieuses, plus de 200 écoles coraniques indépendantes. "Il s’agit d’actions de la société civile qui respectent la loi", explique-t-on au ministère, tout en admettant ne pas intervenir sur l’enseignement coranique délivré. Parmi celles-ci, les cours pour adultes de la Zitouna dispensés le samedi et le dimanche. Selon les dires du cheikh, près de 6 000 personnes se seraient inscrites pour assister à ces classes entièrement gratuites. Le financement ? "Des hommes d’affaires", balaie Houcine Laabidi, sans donner plus de détails.
"Ouvrir des écoles d’enseignement secondaire ou supérieur est illégal ! Le cheikh cherche à créer un État dans l’État", estime pour sa part Ali Lafi, conseiller auprès du ministre des Affaires religieuses. Ce ministère a signé le 12 mai dernier un protocole d’accord pour relancer l’enseignement "zeitounien", avec ceux de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur ainsi qu’avec la mosquée Zitouna. Depuis, des réunions ont lieu avec des "anciens de la Zitouna", sans que le cheikh Houcine Laabidi soit convié. "Il faut un retour de l’enseignement dans les règles : on doit savoir ce qu’on enseigne, comment, avec qui et à qui. Le cheikh Laabidi travaille sans stratégie, sans programme. Il veut commencer de suite", regrette Ali Lafi, alors que le ministère semble ne plus avoir de contrôle sur cet imam désobéissant.
"Houcine Laabidi n’a rien à voir avec les imams historiques de la mosquée. La mosquée Zitouna a toujours été tenue par des aristocrates qui travaillaient en connivence avec le pouvoir. Pour les zeitouniens, il est un roturier, qui plus est contre le pouvoir et Ennahda, plus nuancé que lui. Il ne tire sa légitimité que de la présence de ses fidèles", souffle Youssef Seddik, philosophe, anthropologue et spécialiste de l’Islam, expulsé de la mosquée en avril dernier alors qu’il se rendait à un débat entre Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou, fondateurs historiques du mouvement Ennahda.
"Une centaine de mosquées, dont six entre les mains des intégristes", sur les 5 000 lieux de culte en Tunisie, seraient toujours hors du contrôle du ministère des Affaires religieuses. En juillet, le ministère a essayé de nommer un nouvel imam à la Zitouna. En vain. "Les fidèles l’ont chassé", se souvient Ali Aouini, professeur d’histoire-géographie à la retraite, qui reprendra du service dans les prochains jours pour le compte de la Zitouna. Dans un élan d’arrogance, le cheikh a fait changer les clés de la salle des imams, bloquant ainsi l’accès aux envoyés du ministère. "Le personnel était en grève et était parti avec les clés. C’est pour ça que nous avons changé les serrures", soutient, quant à lui, Ali Aouini.
"Le retour de l’enseignement religieux à la Zitouna permettrait de rectifier les dérives extrémistes que l’on observe dans la société", prêche le cheikh Houcine Laabidi. La mosquée Zitouna, dont l’islam prôné est d’obédience malékite, a été traversée par un courant des penseurs réformistes du XIXe siècle. Et en 1864, les zeitouniens ont même envoyé une lettre à Mohamed Ibn Abdelwahab, le père du wahhabisme, ce courant islamique rigoriste venu d’Arabie saoudite, refusant officiellement cette pensée. "Les salafistes sont des ignorants de l’islam, tout comme les laïques", crache cet octogénaire, qui a notamment appelé, en juin dernier, au meurtre des artistes exposant au palais Abdellia de La Marsa, dont l’événement "Le Printemps des arts" avait soulevé la colère de nombreux salafistes.
"Si on met en place deux types d’enseignement dans le pays, il risque d’y avoir une cassure dans la société et une guerre civile dans les esprits. Ceux qui recevront une éducation dite française seront d’autant plus perçus comme des mécréants par l’autre partie de la société", craint Youssef Seddik en prônant une libre interprétation du Coran qu’il a vulgarisé dans de nombreux livres.

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