Cofondatrice du Conseil national syrien (CNS) dont elle fut
porte-parole, responsable des relations extérieures et membre du conseil
exécutif, Bassma Kodmani a claqué la porte de l’institution le 28 août
dernier. Elle explique les raisons de sa démission et les failles de
l’opposition.
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Pourquoi avez-vous choisi de renoncer à vos fonctions ?
Parce que le CNS, en ne parvenant pas à rassembler l’opposition, a
échoué dans sa mission. Il manque de soutiens et de coordination aussi
bien sur le terrain qu’avec le terrain. Il n’est pas légitime aux yeux
des groupes armés et de beaucoup, car il n’a pas su créer de liens entre
les factions politiques et armées. Et il serait temps de rassembler
l’opposition !
Jeune Afrique affirme que vous avez subi des pressions au
sein du CNS, dominé par les Frères musulmans, car ceux-ci auraient vu
d’un mauvais oeil la présence d’une femme à des postes de
responsabilité. Qu’en est-il ?
Vous savez, il y a très peu de femmes au CNS... et aucune dans les
postes à responsabilité ! Au sein du bureau exécutif, par exemple,
j’étais la seule femme au milieu de onze hommes... Maintenant que je
suis partie, il n’y a que des hommes. Alors, bien sûr, c’est plus dur
pour une femme, mais ce n’est pas pour ça que je suis partie.
En mars dernier, vous vous exprimiez en faveur d’une intervention militaire. Avez-vous changé d’avis ?
Vous savez, personne n’est favorable à une guerre. Le constat,
cependant, c’est que ce régime est prêt à tout détruire. La révolution a
réussi à libérer certaines zones dont, selon moi, la protection est une
priorité afin d’éviter des massacres des populations civiles. Le
problème, c’est que la révolution n’a pas, seule, les moyens de le
faire. Même si cela peut s’avérer complexe, il faudrait pour cela une
zone d’exclusion aérienne - d’où la nécessité d’une présence
internationale pour en assurer la protection - ou fournir à l’Armée
syrienne libre (ASL) les moyens de contrer Assad.
Contrairement au CNT libyen, le CNS n’a pas obtenu de reconnaissance internationale, sauf de la France. Pourquoi ?
Une centaine de pays l’ont reconnu comme représentant légitime de
l’opposition. En revanche, la reconnaissance n’a pas été jusqu’à le
considérer comme unique force d’opposition légitime, car il ne peut pas,
seul, se substituer au régime pour l’instant. Le CNS n’a pas réussi à
s’imposer en tant que tel.
Pensez-vous qu’étant donné la complexité d’une potentielle
intervention militaire les veto russes et chinois "arrangent" d’une
certaine façon les Occidentaux ?
Ces veto ont surtout paralysé toute possibilité d’action diplomatique et
donc toute chance de forcer le régime à se plier aux exigences
occidentales. Par exemple, concernant l’imposition d’un cessez-le-feu,
l’arrêt des crimes ou des bombardements.
Vous avez expliqué à Reuters qu’un nouvel organe politique
devrait voir le jour, qui intégrerait d’autres groupes d’opposition. À
quels groupes faites-vous allusion ?
Je pense qu’il faut aller vers une autorité plus large du CNS et qu’il
faut parvenir à instaurer une entité politique plus affirmée, capable de
se substituer au régime et de représenter le peuple syrien. Car il
n’existe toujours pas d’organisation politique à même de prendre la
relève en Syrie ! Par exemple, il faudrait inclure les représentants des
conseils locaux, militaires ou révolutionnaires, et surtout les forces
sur le terrain. La coordination actuelle entre ces différentes entités
n’est pas suffisante. Et puis il faudrait que le gouvernement de
transition soit composé de gens qui agissent dans le sens d’un plan
national, sans considérations partisanes ou personnelles.
Comment voyez-vous évoluer la situation dans les prochains mois ?
Je pense que l’effondrement du régime est engagé et inéluctable, mais
que sa capacité de destruction peut l’aider à tenir encore longtemps.
Concernant les différentes factions, je pense que les Frères musulmans
sont dans l’optique d’un projet de société, contrairement aux
salafistes. Eux sont là, car ils sont armés et financés pour être là.
Ils ne font d’ailleurs partie ni de l’ASL ni du CNS. Et puis il n’y a
pas de tradition salafiste en Syrie. Je ne leur y vois pas d’avenir et
ne pense pas qu’ils survivront à la révolution.
Depuis que vous avez quitté le CNS, vous impliquez-vous autrement ?
Absolument. Je m’implique sur le plan aussi bien humanitaire que
stratégique, avec différents partenaires et groupes de réflexion. La
dimension humanitaire est indispensable, car la situation est très
grave, mais je suis aussi dans l’analyse et la préparation de
l’après-Assad, sur le plan tant politique, qu’économique et social. Je
pense que la révolution syrienne a besoin de projets pour l’avenir.
(03 Octobre 2012 - Propos recueillis par Marie de Douhet, Le Point.fr)
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