jeudi 4 octobre 2012

Syrie : "Il n’existe toujours pas d’organisation politique en Syrie à même de prendre la relève" (Bassma Kodmani)

Cofondatrice du Conseil national syrien (CNS) dont elle fut porte-parole, responsable des relations extérieures et membre du conseil exécutif, Bassma Kodmani a claqué la porte de l’institution le 28 août dernier. Elle explique les raisons de sa démission et les failles de l’opposition. 

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Pourquoi avez-vous choisi de renoncer à vos fonctions ?
Parce que le CNS, en ne parvenant pas à rassembler l’opposition, a échoué dans sa mission. Il manque de soutiens et de coordination aussi bien sur le terrain qu’avec le terrain. Il n’est pas légitime aux yeux des groupes armés et de beaucoup, car il n’a pas su créer de liens entre les factions politiques et armées. Et il serait temps de rassembler l’opposition !

Jeune Afrique affirme que vous avez subi des pressions au sein du CNS, dominé par les Frères musulmans, car ceux-ci auraient vu d’un mauvais oeil la présence d’une femme à des postes de responsabilité. Qu’en est-il ?
Vous savez, il y a très peu de femmes au CNS... et aucune dans les postes à responsabilité ! Au sein du bureau exécutif, par exemple, j’étais la seule femme au milieu de onze hommes... Maintenant que je suis partie, il n’y a que des hommes. Alors, bien sûr, c’est plus dur pour une femme, mais ce n’est pas pour ça que je suis partie.

En mars dernier, vous vous exprimiez en faveur d’une intervention militaire. Avez-vous changé d’avis ?
Vous savez, personne n’est favorable à une guerre. Le constat, cependant, c’est que ce régime est prêt à tout détruire. La révolution a réussi à libérer certaines zones dont, selon moi, la protection est une priorité afin d’éviter des massacres des populations civiles. Le problème, c’est que la révolution n’a pas, seule, les moyens de le faire. Même si cela peut s’avérer complexe, il faudrait pour cela une zone d’exclusion aérienne - d’où la nécessité d’une présence internationale pour en assurer la protection - ou fournir à l’Armée syrienne libre (ASL) les moyens de contrer Assad.

Contrairement au CNT libyen, le CNS n’a pas obtenu de reconnaissance internationale, sauf de la France. Pourquoi ?
Une centaine de pays l’ont reconnu comme représentant légitime de l’opposition. En revanche, la reconnaissance n’a pas été jusqu’à le considérer comme unique force d’opposition légitime, car il ne peut pas, seul, se substituer au régime pour l’instant. Le CNS n’a pas réussi à s’imposer en tant que tel.

Pensez-vous qu’étant donné la complexité d’une potentielle intervention militaire les veto russes et chinois "arrangent" d’une certaine façon les Occidentaux ?
Ces veto ont surtout paralysé toute possibilité d’action diplomatique et donc toute chance de forcer le régime à se plier aux exigences occidentales. Par exemple, concernant l’imposition d’un cessez-le-feu, l’arrêt des crimes ou des bombardements.

Vous avez expliqué à Reuters qu’un nouvel organe politique devrait voir le jour, qui intégrerait d’autres groupes d’opposition. À quels groupes faites-vous allusion ?
Je pense qu’il faut aller vers une autorité plus large du CNS et qu’il faut parvenir à instaurer une entité politique plus affirmée, capable de se substituer au régime et de représenter le peuple syrien. Car il n’existe toujours pas d’organisation politique à même de prendre la relève en Syrie ! Par exemple, il faudrait inclure les représentants des conseils locaux, militaires ou révolutionnaires, et surtout les forces sur le terrain. La coordination actuelle entre ces différentes entités n’est pas suffisante. Et puis il faudrait que le gouvernement de transition soit composé de gens qui agissent dans le sens d’un plan national, sans considérations partisanes ou personnelles.

Comment voyez-vous évoluer la situation dans les prochains mois ?
Je pense que l’effondrement du régime est engagé et inéluctable, mais que sa capacité de destruction peut l’aider à tenir encore longtemps. Concernant les différentes factions, je pense que les Frères musulmans sont dans l’optique d’un projet de société, contrairement aux salafistes. Eux sont là, car ils sont armés et financés pour être là. Ils ne font d’ailleurs partie ni de l’ASL ni du CNS. Et puis il n’y a pas de tradition salafiste en Syrie. Je ne leur y vois pas d’avenir et ne pense pas qu’ils survivront à la révolution.

Depuis que vous avez quitté le CNS, vous impliquez-vous autrement ?
Absolument. Je m’implique sur le plan aussi bien humanitaire que stratégique, avec différents partenaires et groupes de réflexion. La dimension humanitaire est indispensable, car la situation est très grave, mais je suis aussi dans l’analyse et la préparation de l’après-Assad, sur le plan tant politique, qu’économique et social. Je pense que la révolution syrienne a besoin de projets pour l’avenir.
(03 Octobre 2012 - Propos recueillis par Marie de Douhet, Le Point.fr)

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