jeudi 6 février 2014

Tunisie : Le pays commémore l’assassinat il y a un an de Chokri Belaïd

Une Tunisie qui se remet lentement d’une année tourmentée commémore jeudi l’assassinat il y a un an de l’opposant de gauche Chokri Belaïd, deux jours après l’annonce de la mort de son assassin présumé.
L’avocat de 48 ans, militant de tendance marxiste et panarabiste et farouche critique des islamistes, avait été assassiné le 6 février 2013 devant chez lui, dans un quartier résidentiel de Tunis.
Jeudi matin, près de 200 personnes, dont beaucoup en pleurs, étaient rassemblées sur le lieu où il s’est effondré après avoir été atteint de plusieurs balles, selon une journaliste de l’AFP sur place.
Une grande affiche posait la question qui taraude ses proches et de nombreux Tunisiens : "Qui a tué Chokri Belaïd ?". Car les autorités ont beau avoir annoncé mardi la mort dans une opération antiterroriste de son assassin présumé Kamel Gadhgadhi, des zones d’ombre entourent toujours le crime.
"Ca a été une année difficile, pour nous et pour la Tunisie", a dit à l’AFP sa veuve, Basma Khalfaoui, présente sur place. "Notre perte est vraiment très grande. La douleur persiste".
"La vérité n’a pas été dévoilée", a-t-elle insisté. Kamel Gadhgadhi n’était qu’un exécutant et "il y a d’autres accusés. J’espère qu’ils ne vont pas être à leur tour tués", a-t-elle ajouté.
L’assassinat a été attribué par les autorités aux jihadistes d’Ansar Asharia, une organisation classée "terroriste" par la Tunisie mais qui n’a jamais revendiqué ce meurtre ni aucune autre attaque armée.
Mardi, le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a annoncé que Kamel Gadhgadhi était mort tout comme six autres suspects ainsi qu’un gendarme au terme d’un assaut de 20 heures contre une maison de la banlieue de Tunis. "C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire aux Tunisiens au premier anniversaire de l’assassinat", a estimé le ministre.
"Ce cadeau, il peut le garder. Tuer un homme n’est pas un cadeau. Un cadavre n’est pas un cadeau", a répliqué le frère du défunt, Abdelmajid Belaïd.
"Nous ne voulions pas qu’il soit tué(...). Nous voulions qu’il soit jugé équitablement. Nous voulons connaître la vérité entière. Gadhgadhi n’était pas seul", a-t-il dit à l’AFP.
Des journaux tunisiens posaient aussi la question, comme Al Chourouq qui titre en Une : "Le peuple veut savoir : Qui a tué Belaïd ?".
Un collectif d’avocats doit tenir jeudi une conférence de presse sur l’évolution de l’enquête, avant une veillée aux bougies sur l’avenue Habib Bourguiba, dans le centre-ville de la capitale.
Samedi, un rassemblement sur la tombe de Chokri Belaïd est prévu en milieu de journée, avant une marche vers cette même avenue.
La nouvelle de la mort de Chokri Belaïd, connu pour son franc-parler et sa fougue, avait provoqué un séisme dans le pays. Des dizaines de milliers de personnes s’étaient rendues le 8 février 2013 à ses funérailles, qui se sont transformées en manifestation contre les islamistes du parti Ennahda alors aux commandes. L’assassinat avait marqué le début d’une année de tourmente pour la Tunisie : un autre opposant, Mohamed Brahmi, a été tué selon le même mode opératoire le 25 juillet 2013. Une vingtaine de militaires et de gendarmes ont eux été tués dans des heurts avec des groupes jihadistes, en particulier à la frontière algérienne.
La grave crise qui a paralysé la politique et entravé l’économie du pays commence tout juste à se dissiper, avec l’adoption fin janvier d’une nouvelle Constitution, trois ans après la révolution, et la formation d’un gouvernement apolitique devant mener la Tunisie vers des élections générales.
Ennahda, arrivé en tête des premières élections après la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali, a en effet remis le pouvoir aux termes d’un accord âprement négocié et des mois de pourparlers pénibles.
Vendredi, une cérémonie en présence de responsables étrangers, dont le président français François Hollande, est prévue pour célébrer l’adoption de la nouvelle loi fondamentale.
"Chokri réclamait le dialogue et un gouvernement de technocrates. Ca s’est réalisé, mais avec le sang de Chokri, de Brahmi et de nos soldats", a dit Basma Khalfaoui. "Nous avons réussi à sortir un peu de la crise politique. Nous espérons faire encore mieux, mais (cette fois) pas avec le sang".

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