Une Tunisie qui se remet lentement d’une année tourmentée commémore
jeudi l’assassinat il y a un an de l’opposant de gauche Chokri Belaïd,
deux jours après l’annonce de la mort de son assassin présumé.
L’avocat de 48 ans, militant de tendance marxiste et panarabiste et
farouche critique des islamistes, avait été assassiné le 6 février 2013
devant chez lui, dans un quartier résidentiel de Tunis.
Jeudi matin, près de 200 personnes, dont beaucoup en pleurs, étaient
rassemblées sur le lieu où il s’est effondré après avoir été atteint de
plusieurs balles, selon une journaliste de l’AFP sur place.
Une grande affiche posait la question qui taraude ses proches et de
nombreux Tunisiens : "Qui a tué Chokri Belaïd ?". Car les autorités ont
beau avoir annoncé mardi la mort dans une opération antiterroriste de
son assassin présumé Kamel Gadhgadhi, des zones d’ombre entourent
toujours le crime.
"Ca a été une année difficile, pour nous et pour la Tunisie", a dit à
l’AFP sa veuve, Basma Khalfaoui, présente sur place. "Notre perte est
vraiment très grande. La douleur persiste".
"La vérité n’a pas été dévoilée", a-t-elle insisté. Kamel Gadhgadhi
n’était qu’un exécutant et "il y a d’autres accusés. J’espère qu’ils ne
vont pas être à leur tour tués", a-t-elle ajouté.
L’assassinat a été attribué par les autorités aux jihadistes d’Ansar
Asharia, une organisation classée "terroriste" par la Tunisie mais qui
n’a jamais revendiqué ce meurtre ni aucune autre attaque armée.
Mardi, le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a annoncé que Kamel
Gadhgadhi était mort tout comme six autres suspects ainsi qu’un
gendarme au terme d’un assaut de 20 heures contre une maison de la
banlieue de Tunis.
"C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire aux Tunisiens au premier
anniversaire de l’assassinat", a estimé le ministre.
"Ce cadeau, il peut le garder. Tuer un homme n’est pas un cadeau. Un
cadavre n’est pas un cadeau", a répliqué le frère du défunt, Abdelmajid
Belaïd.
"Nous ne voulions pas qu’il soit tué(...). Nous voulions qu’il soit jugé
équitablement. Nous voulons connaître la vérité entière. Gadhgadhi
n’était pas seul", a-t-il dit à l’AFP.
Des journaux tunisiens posaient aussi la question, comme Al Chourouq qui
titre en Une : "Le peuple veut savoir : Qui a tué Belaïd ?".
Un collectif d’avocats doit tenir jeudi une conférence de presse sur
l’évolution de l’enquête, avant une veillée aux bougies sur l’avenue
Habib Bourguiba, dans le centre-ville de la capitale.
Samedi, un rassemblement sur la tombe de Chokri Belaïd est prévu en milieu de journée, avant une marche vers cette même avenue.
La nouvelle de la mort de Chokri Belaïd, connu pour son franc-parler et
sa fougue, avait provoqué un séisme dans le pays. Des dizaines de
milliers de personnes s’étaient rendues le 8 février 2013 à ses
funérailles, qui se sont transformées en manifestation contre les
islamistes du parti Ennahda alors aux commandes.
L’assassinat avait marqué le début d’une année de tourmente pour la
Tunisie : un autre opposant, Mohamed Brahmi, a été tué selon le même
mode opératoire le 25 juillet 2013. Une vingtaine de militaires et de
gendarmes ont eux été tués dans des heurts avec des groupes jihadistes,
en particulier à la frontière algérienne.
La grave crise qui a paralysé la politique et entravé l’économie du pays
commence tout juste à se dissiper, avec l’adoption fin janvier d’une
nouvelle Constitution, trois ans après la révolution, et la formation
d’un gouvernement apolitique devant mener la Tunisie vers des élections
générales.
Ennahda, arrivé en tête des premières élections après la chute du
président Zine el-Abidine Ben Ali, a en effet remis le pouvoir aux
termes d’un accord âprement négocié et des mois de pourparlers pénibles.
Vendredi, une cérémonie en présence de responsables étrangers, dont le
président français François Hollande, est prévue pour célébrer
l’adoption de la nouvelle loi fondamentale.
"Chokri réclamait le dialogue et un gouvernement de technocrates. Ca
s’est réalisé, mais avec le sang de Chokri, de Brahmi et de nos
soldats", a dit Basma Khalfaoui. "Nous avons réussi à sortir un peu de
la crise politique. Nous espérons faire encore mieux, mais (cette fois)
pas avec le sang".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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