mardi 2 octobre 2012

Libye : Kadhafi exécuté par la France ? (par Armin Arefi)

La mort mystérieuse de Muammar Kadhafi va-t-elle être enfin élucidée ? Nul n’a oublié les images terribles du dictateur déchu, le visage ensanglanté, implorant les rebelles concentrés autour de lui de l’épargner. Un an après les faits, la version officielle selon laquelle ce sont des frappes aériennes de l’ONU qui ont immobilisé le convoi de l’ex-dictateur entre Syrte et Misrata, avant que celui-ci ne soit lynché par des combattants révolutionnaires libyens, est sévèrement remise en cause. Et pas par n’importe qui. Dans une interview à la chaîne égyptienne Dream TV, ce n’est autre que l’ancien Premier ministre du Conseil national de transition libyen (CNT) qui affirme que "c’est un service de renseignements étranger" qui a tué l’ancien Raïs libyen.

"Ces services voulaient que Kadhafi se taise à jamais. Ils ne voulaient pas qu’il évoque certaines questions", a notamment déclaré Mahmoud Djibril à Dream TV. "Kadhafi était en possession de plusieurs secrets et détenait des documents. Il entretenait des relations avec un certain nombre de services étrangers", a ajouté l’ancien numéro deux de la Libye. Des affirmations qui font soudain ressurgir les menaces proférées par l’ancien dictateur à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Outré par le rôle de premier plan joué par la France dans la reconnaissance internationale du CNT, Muammar Kadhafi avait menacé l’ancien président français de révéler un "grave secret" sur le financement de sa campagne en 2007. De là à précipiter sa propre mort ?
L’hypothèse d’un assassinat ourdi par Paris a en tout cas été renforcée samedi. D’après le Corriere della Sera, ce serait "certainement un agent français" qui serait derrière la mort du dictateur. "Sarkozy avait toutes les raisons d’essayer de faire taire le colonel, et le plus rapidement possible", ont annoncé au quotidien des sources diplomatiques européennes à Tripoli. Une version également évoquée par le quotidien britannique Daily Telegraph qui a interrogé Rami El Obeidi, ex-responsable des relations avec les agences de renseignements étrangères du CNT. Ce dernier est formel : "Les services français ont joué un rôle direct dans la mort de Kadhafi."

Plus étonnant, l’ancien responsable du CNT affirme au Daily Telegraph que la France a réussi à localiser l’ancien dictateur grâce à son téléphone satellite. Le numéro leur aurait été fourni par... Bachar el-Assad. En échange, le président syrien aurait obtenu de la France qu’elle diminue la pression sur le régime - ce qui est arrivé", affirme Rami El Obeidi. Une hypothèse hautement improbable - voire totalement fantaisiste -, Nicolas Sarkozy ayant été à l’époque l’un des dirigeants occidentaux les plus fermes à l’encontre de Damas. Pour l’ex-diplomate Patrick Haimzadeh (1), Rami El Obeidi, un ancien militaire qui a été écarté du CNT, ne cherche qu’à exister politiquement.

Interrogé par le Point.fr, le Quai d’Orsay s’est refusé à commenter ce type d’allégations. Toutefois, dès mai 2011, la commission de défense de l’Assemblée nationale avait confirmé qu’ordre avait été donné aux avions français de bombarder les bunkers où aurait pu se cacher le Guide libyen. "Il est tout à fait avéré que les Français se sont lancés dans une logique d’élimination physique de Kadhafi", confirme au Point.fr Patrick Haimzadeh. Toutefois, note-t-il, une certaine confusion règne quant à la définition exacte du terme "agent", utilisé par le Corriere della Sera.

"Que la France ait été présente assez tôt à Misrata pour former des combattants libyens est véridique", souligne l’ex-diplomate. "Mais cela ne signifie pas qu’un membre des services secrets français ait abattu Kadhafi. Cela peut tout à fait être un combattant libyen formé par la France, sans qu’il y ait eu forcément d’ordre hiérarchique venant de Paris", souligne Patrick Haimzadeh. Une autre zone d’ombre tient au timing des accusations de Mahmoud Djibril. Reçu à de multiples reprises en 2011 par Nicolas Sarkozy à l’Élysée, l’ex-homme fort du CNT, qui a convaincu les Occidentaux d’intervenir en Libye, était pressenti pour devenir le futur Premier ministre du pays.

Pourtant, s’il a remporté haut la main les élections du Congrès national général, le libéral a dû par la suite s’avouer vaincu face au jeu d’alliances conclues entre islamistes et candidats indépendants. Il reste néanmoins chef de l’Alliance des forces nationales, plus grand parti de Libye, ce qui confère à ses propos un sens hautement politique. "Soit il s’agit d’un examen de conscience, soit d’un règlement de comptes interne", note Hasni Abidi (2), directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam). "En tenant de tels propos, il décrédibilise les islamistes et les révolutionnaires qui se targuaient d’avoir eux-mêmes tué Kadhafi", affirme le chercheur.

"Son message, en substance : vous n’étiez que des subalternes ou vous êtes infiltrés par les services étrangers. Or les accusations de liens avec l’étranger sont toujours très sensibles dans le monde arabe", souligne le spécialiste. Jusqu’ici, la capture de Kadhafi était attribuée à Omran Ben Chaaban, ex-combattant rebelle, qui était apparu dans de multiples photos et vidéos, brandissant le pistolet en or de l’ex-dictateur. Mais celui qui était célébré en Libye comme un véritable héros a été enlevé par des miliciens en juillet dernier. Libéré dans un état critique, il est décédé mardi... à Paris. Un transfert en France qui surprend Patrick Haimzadeh d’autant plus que Paris n’a accepté que très peu de blessés de guerre libyens sur son sol. "La plupart ont été pris en charge en Tunisie, en Turquie et en Jordanie", note l’ex-diplomate. Une nouvelle preuve du rôle trouble de la France dans cette affaire ?

"Il n’y a pas que la France que la mort de Kadhafi arrangeait", assure Hasni Abidi. "Le dictateur libyen nourrissait également des contentieux avec les Américains, qu’il avait largement aidés à traquer al-Qaida, ou avec les Britanniques dans le règlement de l’attentat de Lockerbie (l’explosion d’un Boeing 747 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie en Écosse, qui a fait 270 morts, NDLR). Un argument met toutefois à mal la théorie selon laquelle Kadhafi aurait été éliminé parce qu’il en savait trop. D’après Hasni Abidi, le fils de Muammar Kadhafi Seif el-Islam et son ex-chef des renseignements Abdallah el-Senoussi, seraient au courant d’au moins 90 % de ses dossiers secrets. Or ils sont eux toujours en vie, incarcérés en Libye, dans l’attente de leur jugement.
(01 Octobre 2012 - Armin Arefi)

(1) Patrick Haimzadeh, auteur de Au coeur de la Libye de Kadhafi (éditions JC Lattès)

(2) Hasni Abidi, auteur de Où va le monde arabe : les défis de la transition (éditions Erick Bonnier, octobre 2012)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire