La mort mystérieuse de Muammar Kadhafi va-t-elle être enfin
élucidée ? Nul n’a oublié les images terribles du dictateur déchu, le
visage ensanglanté, implorant les rebelles concentrés autour de lui de
l’épargner. Un an après les faits, la version officielle selon laquelle
ce sont des frappes aériennes de l’ONU qui ont immobilisé le convoi de
l’ex-dictateur entre Syrte et Misrata, avant que celui-ci ne soit lynché
par des combattants révolutionnaires libyens, est sévèrement remise en
cause. Et pas par n’importe qui. Dans une interview à la chaîne
égyptienne Dream TV, ce n’est autre que l’ancien Premier ministre du
Conseil national de transition libyen (CNT) qui affirme que "c’est un
service de renseignements étranger" qui a tué l’ancien Raïs libyen.
"Ces services voulaient que Kadhafi se taise à jamais. Ils ne
voulaient pas qu’il évoque certaines questions", a notamment déclaré
Mahmoud Djibril à Dream TV. "Kadhafi était en possession de plusieurs
secrets et détenait des documents. Il entretenait des relations avec un
certain nombre de services étrangers", a ajouté l’ancien numéro deux de
la Libye. Des affirmations qui font soudain ressurgir les menaces
proférées par l’ancien dictateur à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Outré
par le rôle de premier plan joué par la France dans la reconnaissance
internationale du CNT, Muammar Kadhafi avait menacé l’ancien président
français de révéler un "grave secret" sur le financement de sa campagne
en 2007. De là à précipiter sa propre mort ?
L’hypothèse d’un assassinat ourdi par Paris a en tout cas été
renforcée samedi. D’après le Corriere della Sera, ce serait
"certainement un agent français" qui serait derrière la mort du
dictateur. "Sarkozy avait toutes les raisons d’essayer de faire taire le
colonel, et le plus rapidement possible", ont annoncé au quotidien des
sources diplomatiques européennes à Tripoli. Une version également
évoquée par le quotidien britannique Daily Telegraph qui a interrogé
Rami El Obeidi, ex-responsable des relations avec les agences de
renseignements étrangères du CNT. Ce dernier est formel : "Les services
français ont joué un rôle direct dans la mort de Kadhafi."
Plus étonnant, l’ancien responsable du CNT affirme au Daily Telegraph
que la France a réussi à localiser l’ancien dictateur grâce à son
téléphone satellite. Le numéro leur aurait été fourni par... Bachar
el-Assad. En échange, le président syrien aurait obtenu de la France
qu’elle diminue la pression sur le régime - ce qui est arrivé", affirme
Rami El Obeidi. Une hypothèse hautement improbable - voire totalement
fantaisiste -, Nicolas Sarkozy ayant été à l’époque l’un des dirigeants
occidentaux les plus fermes à l’encontre de Damas. Pour l’ex-diplomate
Patrick Haimzadeh (1), Rami El Obeidi, un ancien militaire qui a été
écarté du CNT, ne cherche qu’à exister politiquement.
Interrogé par le Point.fr, le Quai d’Orsay s’est refusé à commenter
ce type d’allégations. Toutefois, dès mai 2011, la commission de défense
de l’Assemblée nationale avait confirmé qu’ordre avait été donné aux
avions français de bombarder les bunkers où aurait pu se cacher le Guide
libyen. "Il est tout à fait avéré que les Français se sont lancés dans
une logique d’élimination physique de Kadhafi", confirme au Point.fr
Patrick Haimzadeh. Toutefois, note-t-il, une certaine confusion règne
quant à la définition exacte du terme "agent", utilisé par le Corriere
della Sera.
"Que la France ait été présente assez tôt à Misrata pour former des
combattants libyens est véridique", souligne l’ex-diplomate. "Mais cela
ne signifie pas qu’un membre des services secrets français ait abattu
Kadhafi. Cela peut tout à fait être un combattant libyen formé par la
France, sans qu’il y ait eu forcément d’ordre hiérarchique venant de
Paris", souligne Patrick Haimzadeh. Une autre zone d’ombre tient au
timing des accusations de Mahmoud Djibril. Reçu à de multiples reprises
en 2011 par Nicolas Sarkozy à l’Élysée, l’ex-homme fort du CNT, qui a
convaincu les Occidentaux d’intervenir en Libye, était pressenti pour
devenir le futur Premier ministre du pays.
Pourtant, s’il a remporté haut la main les élections du Congrès
national général, le libéral a dû par la suite s’avouer vaincu face au
jeu d’alliances conclues entre islamistes et candidats indépendants. Il
reste néanmoins chef de l’Alliance des forces nationales, plus grand
parti de Libye, ce qui confère à ses propos un sens hautement politique.
"Soit il s’agit d’un examen de conscience, soit d’un règlement de
comptes interne", note Hasni Abidi (2), directeur du Centre d’études et
de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam). "En tenant de
tels propos, il décrédibilise les islamistes et les révolutionnaires
qui se targuaient d’avoir eux-mêmes tué Kadhafi", affirme le chercheur.
"Son message, en substance : vous n’étiez que des subalternes ou vous
êtes infiltrés par les services étrangers. Or les accusations de liens
avec l’étranger sont toujours très sensibles dans le monde arabe",
souligne le spécialiste. Jusqu’ici, la capture de Kadhafi était
attribuée à Omran Ben Chaaban, ex-combattant rebelle, qui était apparu
dans de multiples photos et vidéos, brandissant le pistolet en or de
l’ex-dictateur. Mais celui qui était célébré en Libye comme un véritable
héros a été enlevé par des miliciens en juillet dernier. Libéré dans un
état critique, il est décédé mardi... à Paris. Un transfert en France
qui surprend Patrick Haimzadeh d’autant plus que Paris n’a accepté que
très peu de blessés de guerre libyens sur son sol. "La plupart ont été
pris en charge en Tunisie, en Turquie et en Jordanie", note
l’ex-diplomate. Une nouvelle preuve du rôle trouble de la France dans
cette affaire ?
"Il n’y a pas que la France que la mort de Kadhafi arrangeait",
assure Hasni Abidi. "Le dictateur libyen nourrissait également des
contentieux avec les Américains, qu’il avait largement aidés à traquer
al-Qaida, ou avec les Britanniques dans le règlement de l’attentat de
Lockerbie (l’explosion d’un Boeing 747 de la Pan Am au-dessus de
Lockerbie en Écosse, qui a fait 270 morts, NDLR). Un argument met
toutefois à mal la théorie selon laquelle Kadhafi aurait été éliminé
parce qu’il en savait trop. D’après Hasni Abidi, le fils de Muammar
Kadhafi Seif el-Islam et son ex-chef des renseignements Abdallah
el-Senoussi, seraient au courant d’au moins 90 % de ses dossiers
secrets. Or ils sont eux toujours en vie, incarcérés en Libye, dans
l’attente de leur jugement.
(01 Octobre 2012 - Armin Arefi)
(1) Patrick Haimzadeh, auteur de Au coeur de la Libye de Kadhafi (éditions JC Lattès)
(2) Hasni Abidi, auteur de Où va le monde arabe : les défis de la transition (éditions Erick Bonnier, octobre 2012)
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