Depuis la révolution du 14 janvier 2011, les constructions anarchiques
ont petit à petit dévoré l'espace public, les rues, les trottoirs, les
parcs… Profitant de la désorganisation des pouvoirs locaux, les
élections municipales ne se dérouleront qu'en 2017, des habitants ont
annexé les trottoirs pour agrandir leurs maisons, leurs épiceries. Les
cafés ont fait preuve d'ingéniosité pour développer leurs terrasses.
Annexant trottoirs, rond-point, déployant tables et chaises jusqu'à
l'asphalte de la route. Les piétons en sont réduits à se frayer un
chemin à travers les voitures en mouvement faute d'espaces dédiés. Face à
l'inaction et la nonchalance des autorités, une poignée d'architectes
et d'urbanistes a lancé un groupe sur Facebook intitulé « Winnou
Etrottoir » (« Où il est le trottoir »). Objectif : partager les photos
de toutes les infractions commises sur la chaussée publique. Désormais,
ils sont près de 35.000 membres à poster chaque jour leurs témoignages.
Du plus anecdotique, celui qui s'est construit un garage à même la
voirie, au plus stupéfiant, restaurant ayant reconverti la rue en une
agréable et lucrative terrasse. Le mouvement prend de l'ampleur,
contraignant au bout de deux mois le gouvernement à réagir. Le ministère
de l'intérieur a indiqué sur sa page Facebook avoir procédé à 333
arrestations depuis le début de l'année pour étalages non autorisés.
Les réseaux sociaux, tambourins du mécontentement
Cette indignation signifiée sur les réseaux sociaux n'est en rien
négligeable. Elle traduit un ras-le-bol à l'égard de la saleté ambiante,
de la nonchalance des administrations concernées et de la corruption
sous-jacente. Ben Ali avait proscrit les réseaux sociaux. Son Etat
policier verrouillait internet avec une efficacité redoutable. La
population surnomma d'un « Amar 404 » la censure 2.0. Poussé dans ses
retranchements par la révolution, Zaba cru sauver son règne en rendant
internet libre le 13 janvier au soir. Le lendemain, l'homme était
contraint à la fuite, direction l'Arabie Saoudite. Le partage via FB des
exactions policières à travers le pays, du Kef à Kasserine, accéléra la
chute de la dictature. Depuis, les pages blanches et bleues imaginées
par Mark Zuckerberg permettent de prendre le pouls du pays. La défiance à
l'égard des médias étant manifeste, FB fait office de défouloir, de
sources d'informations et de manipulations. Le gouvernement privilégie
ce canal de communication. L'exemple de « Winnou Etrottoir » fait suite à
« Winnou ElPetrole », campagne menée en mai dernier pour réclamer la
transparence sur les ressources pétrolières de la nation. Ce premier
essai, sans réel succès, a donné naissance à cette méthode de
revendication et de contestation. Les premiers résultats ? Quelques
terrasses de café démontés manu-militari, des voitures saisies par la
fourrière, chaque succès donnant lieu à des photos partagés sur le web.
Réactions gouvernementales
Le ministre de l'équipement, confronté à l'ampleur du phénomène, a pour
la première fois réagit publiquement le 27 août. Sahbi Gorgi, architecte
urbaniste à l'origine avec six camarades du mouvement, raconte avoir
remis « un document retraçant une partie des infractions commises à La
Marsa ». Mais la situation n'est pas si simple. Depuis la fin 2011, les
mairies sont devenues des « délégations spéciales » en attendant les
municipales sans cesse retardées. « C'est un cercle vicieux : les
policiers municipaux refusent d'intervenir sans la présence de la police
mais la police explique qu'elle a d'autres soucis en ce moment »
poursuit ce quadra qui réfute toute « politisation de cette mobilisation
». Dans une Tunisie idéale, « Winnou Etrottoir » n'aurait pas lieu
d'être. L'arsenal juridique existe, le plan d'urbanisme est très précis
sur l'interdiction de construction de salons de thé. L'entrée de La
Marsa, le Neuilly tunisois, est strictement interdit à tout café et
autre commerce. Depuis trois ans, on en dénombre une dizaine. Au point
que le maire a évoqué lors d'une réunion publique l'existence « d'une
mafia organisé à La Marsa ». Et ce en présence de députés. Pour l'heure,
la pression effectuée sur Facebook agite la médiasphère sans pour
autant provoquer une réaction concrète des pouvoirs municipaux.
L'objectif ? « Créer un Winou Etrottoir dans les quelques 255
délégations spéciales que compte le pays » poursuit Sahbi Gorgi. Qui
élargit le débat : « La Tunisie souffre du retour de
l'hypercentralisation », très en vogue sous Ben Ali. Faute d'une action
des élus, Facebook devient l'outil de la contestation. Récemment, un «
Winou Elfonctionnaire » a apparu sur la toile. La société civile tente
de s'organiser.
(02-09-2015
- Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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