dimanche 20 septembre 2015

Moyen-Orient : « Le terrorisme, ou l’arme de l’impérialisme face aux aspirations des peuples arabes » ( Marie Nassif-Debs )

Il y a cinq ans, ou presque, le peuple tunisien se souleva contre une dictature qui lui avait volé, non seulement son pain quotidien, mais aussi sa dignité ou, pour être plus précise, sa raison de vivre. Puis ce fut le tour de l’Égypte qui, sous le slogan « Pain, liberté, dignité humaine », tenta d’avancer sur la voie du changement après avoir mis fin à de longues années d’oppression.
Mais la situation difficile qui sévissait en Tunisie et en Égypte n’était pas unique en son genre parmi les pays arabes.
Monarchies, émirats ou républiques, les régimes arabes ainsi appelés avaient, tous, sans exception aucune, un point en commun : l’iniquité ou, plutôt, la répression face aux revendications de leurs peuples. Ces peuples qui en avaient assez de vivre dans la misère tandis que les têtes des régimes (et leurs proches) s’enrichissaient à vue d’œil, amassant des fortunes colossales. Ces peuples qui souffraient dans leur chair la répression chaque fois qu’ils tentaient de faire entendre à ceux qui les gouvernent l’impossibilité pour eux de vivre dans le sous-développement tandis que les fortunes que recèle la terre arabe va à quelques familles imposées par des puissances impérialistes, ou autres, dont elles entretiennent, surtout à la suite de la crise de 2008, les économies branlantes. Voilà pourquoi le succès que connut le mouvement populaire en Tunisie et en Égypte fit boule de neige dans le Monde arabe depuis l’Océan Atlantique jusqu’au Golfe arabique.
Un mouvement de fond, basé sur une longue histoire de luttes sociales et politiques, allant de la « révolte du pain », en 1977, en Égypte aux grèves des ouvriers dans le Golfe, aux manifestations, un peu partout, des jeunes sans avenir  et des femmes marginalisées par des idéologies sectaires.
Un mouvement réunissant, donc, toutes les conditions objectives du changement, depuis Bahreïn et le Yémen (et, à une moindre échelle, le Koweït) jusqu’au Liban, mais, en même temps, un mouvement immature, vu que les forces du changement, surtout les forces de gauche, n’étaient pas prêtes à le diriger.

La raison de cette faiblesse?
D’abord, et surtout, la répression qui avait duré plusieurs décennies et jeté, sous différents prétextes, des milliers et des milliers de militants, surtout des intellectuels et des cadres, dans des cachots d’où peu sont sortis indemnes.
A cela s’ajoutent l’exil et les guerres de toutes sortes, à commencer par celles d’Israël toujours aussi meurtrières contre les deux peuples, palestinien et libanais, et à finir par les guerres impérialistes, directes ou indirectes, menées contre l’Irak, la Syrie, mais aussi la Lybie. Sans oublier, bien entendu, les guerres de religion et les guerres confessionnelles qui constituent des armes de division redoutables et qui alimentent le terrorisme au même titre que la marginalisation, la pauvreté et l’ignorance.

Qu’est-ce que le terrorisme qui sévit au Moyen Orient ? Quelles sont ses origines et pourquoi est-il devenu un danger imminent ?
Il y deux sortes de terrorisme dans notre région.

Le premier, terrorisme d’État, est utilisé par Israël (et aussi les États-Unis) contre le peuple palestinien et les autres peuples de la région. Cette forme de terrorisme se traduit par des assassinats, des explosions et des guerres d’agression utilisant, souvent, les drones, ou les bombes que l’on peut faire exploser à distance, pour en finir avec un leader palestinien ou libanais (tel notre ex secrétaire général Georges Haoui qui fut assassiné, il y dix ans, à l’aide d’une bombe placée sous le siège de sa voiture). Il nous faut ajouter que ce terrorisme fut pratiqué depuis la fin des années trente et la première moitié des années quarante par des groupes sionistes (Irgoun, Haganah, Stern et autres) dont les chefs devinrent des responsables israéliens, tel Menahem Begin et Ariel Sharon.

Le second est le terrorisme pratiqué par les nouveaux groupes, tels DAECH, An Nosra et, surtout, de moins nouveaux, dont, en particulier, « les Frères musulmans » qui ont su toujours profiter de la situation de répression et de marginalisation pratiquées par les régimes arabes - les ultra réactionnaires comme ceux qui se prétendaient socialistes -  contre leurs peuples, afin de recruter les mécontents et les maltraités ; et, fait insolite, ces groupes ont aussi profité de l’appui politique et financier de certains milieux influents au sein des monarchies du Golfe notamment.
Il faut dire qu’à la suite des soulèvements des peuples arabes, les puissances impérialistes en crise et voulant maintenir leur mainmise sur les sources d’énergie de la région, ont soutenu ces groupes terroristes, tantôt directement et tantôt par le truchement des régimes qui leur sont inféodés, espérant par là, soit mettre en échec les peuples aspirant au changement, soit faire avancer le projet dit du « Nouveau Moyen Orient » qui visait à réduire le Monde arabe en miettes et à créer, au lieu des Etats actuels dont l’Accord de Sykes–Picot avait dessiné les frontières, et sur des bases confessionnelles surtout (sunnite et chiite) de nouveaux mini États qui se font la guerre. Ce qui facilitera aux puissances impérialistes, les États-Unis surtout, et à Israël d’asseoir leur influence sur la région dans laquelle on vient de découvrir de nouveaux gisements de gaz et de pétrole.
Et, si les États-Unis et l’Union européenne, mais aussi la Russie, parlent, aujourd’hui, de la nécessité d’élargir la coalition contre DAECH, afin d’englober les régimes syrien et iranien et la Turquie aux côtés de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Irak, ils le font dans un consensus permettant, plus tard, d’avoir chacun sa part du gâteau.

Quelle est la situation du Liban dans tout cela ?
Voilà pourquoi la guerre se poursuit de plus belle en Syrie et au Yémen; et voilà pourquoi le Liban se trouve à nouveau dans une situation précaire, non seulement sur le plan de la sécurité, avec les groupes terroristes qui sévissent depuis deux ans déjà à ses frontières (aidés, pour certains d’entre eux. par Israël), mais aussi sur les plans politique et socio –économique.

Sur le plan politique, d’abord. La classe politique libanaise, divisée sur des bases d’intérêts et de tutelle entre le groupe dit du « 14 mars » (pro saoudien et pro étasunien) et celui dit du « 8 mars » (pro iranien et pro syrien), ne s’est pas contentée d’empêcher toute possibilité de réformes politiques, grâce au clivage qu’elle réussi à créer entre les Libanais divisés verticalement en clans religieux et confessionnels, elle a, aussi, mis en veilleuse les institutions politiques... en attendant de voir comment la situation politique et militaire dans la région va-t-elle évoluer et, par conséquent, qui aura (de DAECH ou du régime de Bachar Assad)  aura la victoire.
Ainsi, le Liban vit sans président de la République depuis mai 2014. De plus, et à défaut d’élections législatives, le parlement a prolongé deux fois de suite son mandat, sous prétexte que la situation aux frontières ne permet pas le jeu des élections. En même temps, et vu la façade confessionnelle sous laquelle se cache la bourgeoisie libanaise pour gouverner, le gouvernement, toujours ne œuvre, ne peut prendre des décisions qu’à l’unanimité, c’est-à-dire qu’il a besoin du consentement de tous les ministres qui représentent les différentes confessions religieuses du pays.
Cette situation d’immobilisme fait que l’armée libanaise, présente sur les frontières afin de lutter contre les groupes terroristes, n’a pas de couverture politique réelle ; et, elle n’aurait pu tenir le coup sans l’appui qui lui fut apporté par les forces politiques progressistes (dont le Parti Communiste libanais) faisant appel à la population de se constituer, une fois de plus, en Résistance nationale contre l’occupant, comme fut le cas de 1982 à 2000 contre Israël.

Sur le plan socio-économique, la situation va de mal en pire.
Le Liban, déjà très endetté, depuis la fin de la guerre civile en 1990 et les politiques économiques des différents gouvernements mis en place, souffre aussi, depuis 2008, des répercussions de la crise systémique du capitalisme, mais aussi, depuis 2011, de la guerre en Syrie qui fit affluer plus de 1.500.000 réfugiés, à majorité pauvres, venus s’ajouter aux 500.000 réfugiés palestiniens et aux 1.260.000 pauvres libanais (soit 28% de la population) qui se disputent le peu d’emplois existant et qui vivent dans la misère la plus noire, privés d’eau, d’électricité et de tous les services de base.
On peut imaginer l’ampleur de la crise sociale découlant d’une telle situation, surtout si l’on y ajoute le fait de la concentration des richesses entre les mains de quelques 2% de la population (l’oligarchie financière) seulement  dont les revenus ont augmenté 100 fois durant les quelques dernières années. Crise qui a engendré une tendance vers le fondamentalisme religieux nourri par les grosses sommes d’argent distribuées par les « amis » de l’Arabie saoudite et du Qatar, d’une part, et ceux de l’Iran, d’autre part. Mais, elle aussi abouti, du fait des batailles menées par les syndicats ouvriers de gauche, qui ont quitté la CGTL inféodée au régime, et ceux de la fonction publique, à regrouper une partie de l’opinion publique autour de l’idée que le Parti Communiste libanais avait toujours soulevée, à savoir que le régime politique confessionnel, utilisé par la bourgeoisie libanaise, est arrivé au point de sa chute . En effet, ce régime était désormais incapable de se régénérer et allait de crise en crise, les unes plus aiguës que les autres. D’où la nécessité d’œuvrer pour le changement, tout en sachant que la bourgeoisie et ses alliés vont tout utiliser afin de l’empêcher… y compris la répression à outrance des mouvements populaires, tel que nous avons vu les 22 et 23 aout dernier à Beyrouth, ou encore le 2 septembre actuel, lors de l’occupation  du ministère de l’environnement par quelques dizaines de mécontents.

Quel est ce mouvement populaire qui a amené plus de 150 000 personnes, des jeunes surtout, sur les places centrales de la capitale libanaise, Beyrouth ?
Il est vrai que le mouvement a commencé du fait de l’amoncellement des déchets domestiques et industriels à Beyrouth et sa large banlieue, et il est aussi vrai que des groupes écologiques, dont celui de Nehmeh, de Barja,  « Vous puez »  ainsi que « l’Union de la Jeunesse Démocratique Libanaise » (UJDL), en furent à la base. Mais, il est aussi vrai que tous ces mouvements avaient pour antécédents d’autres mouvements de masses, depuis les manifestations des ouvriers de l’électricité, en passant par les pêcheurs, les jeunes descendus dans les rues en 2011 sous le slogan « Le peuple veut en finir avec le régime confessionnel », mais aussi les fonctionnaires, les enseignants surtout, sans oublier les pauvres de Beyrouth que l’on veut chasser de la capitale à travers le vote d’une loi inique sur les loyers. Le mouvement qui se déploie aujourd’hui est, donc, le fait d’un cumul de luttes, mais aussi une réponse directe aux luttes intestines, confessionnelles, qui ont envenimé plus encore la situation précaire d’une grande partie de la population.

Des infiltrés par la classe politique et autres dans ce mouvement ? Il n’en manque pas, comme dans tout mouvement que la bourgeoisie et ses tuteurs étrangers veulent noyauter; cependant, l’ampleur du mouvement, qui échappe de par son programme à la volonté des émirs des confessions, ne laisse présager que du renouveau.
Ce programme repose sur le slogan global « Pour un État civil et démocratique, un État social » et dont la porte d’entrée est une loi électorale basée sur la proportionnelle et en dehors des quotas confessionnels. C’est un programme qui a aussi une base socio-économique solide, allant du droit au travail aux services sociaux, aux droits des femmes, à l’enseignement public, et à l’appui qui doit être procuré aux secteurs productifs de l’économie.
C’est, surtout, un programme soutenu par des organisations militantes: des syndicats ouvriers, des cadres, des organisations de jeunes, de femmes, des groupes d’avocats, de médecins, d’ingénieurs, non seulement sur le plan national, mais dans chaque région, dans chaque village et hameau.

Voilà pourquoi nous pouvons dire que ce mouvement, basé sur tous ceux qui l’ont précédé, est différent d’eux, parce que plus ciblé et plus clair, parce que c’est un mouvement en dehors des clivages confessionnels, échappant, donc, aux pressions de la classe politique et de ses tuteurs étrangers. Et voilà pourquoi il ne faut pas le laisser tomber dans les complots de la classe politique au pouvoir qui tente aujourd’hui de l’étrangler, non seulement par la répression féroce, mais aussi par la nouvelle « table de dialogue » entre ses principales composantes. Sans oublier la théorie du complot basée essentiellement sur la calomnie et dénigrement qui disent que le mouvement populaire est fomenté par les États-Unis, comme avant lui  celui connu par d’autres pays du Monde arabe.

Les prochains jours, les prochains mois seront très importants pour nous, Communistes libanais, qui avons placé le programme de notre Onzième congrès, qui se tiendra bientôt, sous le signe du regroupement de toutes les forces démocratiques et laïques sur la voie du changement, à commencer par la lutte contre l’impérialisme et le terrorisme qu’il engendre dans notre pays et dans le monde, l’imposition d’un État laïque ayant pour base des statuts individuels civils et unifiés. 
Parce qu’ainsi le PCL pourra déterminer, avec toutes celles et tous ceux dont l’intérêt direct est de mettre fin au régime politique confessionnel, au capitalisme sauvage et arriéré auquel la bourgeoisie libanaise s’est inféodée de par sa naissance-même.
Parce qu’ainsi le PCL pourra ouvrir la voie à la création des bases matérielles pour aider à construire le socialisme au Liban et dans le Monde arabe.

(Fête de l’Humanité – septembre 2015)
D. Marie NASSIF-DEBS
Secrétaire Générale Adjointe du Parti Communiste libanais

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