mercredi 30 septembre 2015

Algérie : "La question n'est pas de civiliser le pouvoir mais de le légitimer" (Benflis)

Avocat engagé, ministre de la Justice de 1988 à 1990, puis Premier ministre du premier gouvernement d'Abdelaziz Bouteflika de 2000 à 2003, Ali Benflis, 71 ans, est depuis dix ans dans l'opposition. En 2004 et 2014, il s'est porté candidat à l'élection présidentielle contre Bouteflika. Arrivé en 2e position avec 6,42 % des voix en 2004, il a doublé son score (12,18 %), pour finir aussi en deuxième position en 2014. Des scores qu'il a contestés, dénonçant une fraude électorale à grande échelle.

Votre parti, Talaie el Hourriet, vient d'obtenir son agrément après des mois d'attente. Pourquoi le pouvoir s'est-il résolu à accepter que vous preniez la tête d'un parti ? Certains vous soupçonnent d'avoir passé un deal avec le pouvoir.
J'ignore les raisons qui ont contraint le pouvoir à reconnaître mon parti, mais je doute que ce soit par respect de la loi et de la Constitution. Quoi qu'il en soit, nous étions déterminés à tout mettre en œuvre pour obtenir cet agrément, tout en restant dans le cadre de la légalité. Je suis un légaliste. Notre projet est l'un des rares ayant une base populaire. Je pense que le régime politique algérien est conscient qu'il est sous surveillance à l'intérieur du pays et à l'extérieur, car il s'en prend violemment aux droits de l'homme.

Par exemple ?
La démocratie n'est pas respectée. Nous sommes la deuxième force du pays, mais nous avons attendu 14 mois pour que notre parti soit autorisé. On nous refuse les autorisations de louer une grande salle dans Alger pour tenir un meeting, contrairement aux partis de l'Alliance présidentielle. Pourtant nous avons des cellules dans les 1 540 communes d'Algérie, avons rassemblé 8 000 militants lors de notre congrès constitutif il y a deux mois. Nous voulons bâtir un parti jeune – 80 % des membres du Comité central (490 personnes) ont moins de 50 ans – et moderne. Les femmes, les universitaires y sont nombreux.

Pourquoi voter pour vous plutôt que pour un parti de l'Alliance présidentielle ?
Parce que je veux, et pas seulement en parole, moderniser le système politique, libéraliser l'économie en mettant fin à l'économie de rente et faire des réformes sociales. Il faut lancer une dynamique du changement, sortir de l'impasse.

Concrètement, comment allez-vous faire accepter des réformes dans un pays habitué à vivre de la distribution de la rente pétrolière alors que celle-ci a diminué de moitié depuis la chute des cours du pétrole ?
Le retournement de la conjoncture a un coût exorbitant pour l'économie algérienne. Les recettes tirées des hydrocarbures étaient de 60 milliards de dollars en 2014, elles seront de 30 milliards cette année. Le budget de l'État financé à plus de 60 % par la fiscalité pétrolière va être divisé par deux. Le fonds de régulation des recettes (où sont versés les excédents financiers tirés des hydrocarbures) et les réserves de change diminuent de façon drastique. Le gouvernement navigue à vue. Il apparaît tétanisé à la perspective de devoir appliquer une politique d'austérité.

Vous contestez le fait que le gouvernement a investi dans les infrastructures cette dernière décennie. C'est un acquis du pétrole…
Qu'a-t-il réellement fait des 800 milliards de dollars dépensés pendant les deuxième et troisième mandats du président Bouteflika ? On a construit une grande autoroute, mais le chantier s'est terminé par un scandale, la corruption a été énorme.

Comment allez-vous expliquer la nécessité d'une politique d'austérité ? Les Algériens sont-ils prêts à l'entendre ?
Un pouvoir légitime peut demander l'austérité au peuple. Quand on est illégitime, il est impossible d'obtenir quoi que ce soit de la population.

Pensez-vous que l'Algérie devrait investir dans le gaz de schiste, dont le Sahara est riche, pour compenser la chute des cours du pétrole et la baisse de la production ? Les populations du Sahara s'y opposent.
Si les gens du Sud y sont opposés, c'est qu'ils ont réalisé que leur situation n'a pas changé en dépit des 800 milliards de dollars qui ont été dépensés. Ils sont donc réticents à accepter leur exploitation, estimant qu'ils n'en tireront aucun bénéfice mais seront pollués. Pourtant le gaz de schiste est pour nous une véritable richesse.

Vous prônez le libéralisme économique, êtes-vous favorable, par exemple, à la privatisation des banques, ce serpent de mer de l'économie algérienne ?
Je veux intégrer l'économie algérienne dans l'économie mondiale. Je suis pour une économie libérale dont les entreprises seront le moteur. Je veux lutter contre la corruption. Transparency International nous classe au 117 ou 120e rang dans ce domaine. Nous devons bâtir une économie compétitive, dans laquelle l'agriculture et le tourisme seront des priorités.

La majorité des Algériens veulent-ils vraiment un système économique ouvert ? Le système actuel a ses avantages…
L'immense majorité considère que l'Algérie vit dans un système « brejnévien » et veut en changer.

Comment avez-vous analysé la mise à la retraite de l'inamovible patron des services de renseignements, le général Médiène ?  Est-ce la fin d'un long bras de fer avec le chef de l'État ?
Je ne suis pas dans le secret du sérail, mais la question n'est pas de personnaliser. Le fait est que tous les régimes non démocratiques sont plus ou moins paranoïaques. Ils aiment le mystère, détestent la communication, la transparence. Comme ils ne sont pas obligés de rendre des comptes, les citoyens bâtissent des théories conspirationnistes. En Algérie, tout vient de la vacance actuelle du pouvoir et de l'atmosphère de fin de règne qui y sévit. Notre vrai problème, c'est l'absence de démocratie. Si en l'espèce, le changement visait à donner à l'état-major, pour rendre l'armée plus forte, des attributions qui relevaient auparavant des services de sécurité, et leur permettaient auparavant de contrôler l'armée, ce serait bénéfique. Mais le manque de transparence conduit à s'interroger.

Y a-t-il eu un pas en avant en remettant le pouvoir à un civil en 1999 ?
Que le chef de l'État soit civil ou militaire n'est pas la question. Le problème est la légitimité du pouvoir. La question n'est pas de « civiliser » le pouvoir mais de le légitimer.

(29-09-2015 - Propos recueillis par Mireille Duteil)

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