Il aura fallu 20 ans et 70 000 morts pour que la France et la
Grande-Bretagne veuillent réellement trouver une issue au drame en cours
en Syrie. Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a surpris
ce jeudi en annonçant que Paris et Londres allaient demander d’avancer
la prochaine réunion de l’Union européenne sur l’embargo sur les armes
en direction de la Syrie, prévue fin mai. Surtout, le ministre des
Affaires étrangères a indiqué que, à défaut de l’unanimité requise dans
l’Union européenne pour lever cette mesure, la France, "une nation
souveraine", pourrait prendre la décision unilatérale de livrer des
armes à l’opposition.
"On ne peut pas accepter qu’il y ait ce déséquilibre actuel avec, d’un
côté, l’Iran et la Russie qui livrent des armes à Bachar (el-Assad) et,
de l’autre, des résistants qui ne peuvent pas se défendre", a fait
valoir jeudi Laurent Fabius sur France Info. Un souhait encore répété
dans l’après-midi par François Hollande, à son arrivée au sommet
européen à Bruxelles. "Nous souhaitons que les Européens lèvent
l’embargo. Nous sommes prêts à soutenir la rébellion, donc nous sommes
prêts à aller jusque-là. Nous devons prendre nos responsabilités", a
insisté le président français.
Décidé en mai 2011, peu après le début de violente répression exercée
par les forces de Bachar el-Assad à l’encontre des manifestants
pacifiques, l’embargo interdit toute vente, fourniture, transfert ou
exportation d’armes à la Syrie, quel qu’en soit le destinataire (régime
ou opposition). La mesure n’autorise que la livraison à l’opposition de
matériels non létaux, comme du matériel de protection ou de
communication (gilets pare-balles, talkies-walkies, équipements de
désamorçage de mines).
Des moyens somme toute ridicules comparés aux avions de chasse et autres
chars syriens qui bombardent au quotidien les villes et quartiers tenus
par l’opposition. Mais l’essor de groupes djihadistes profitant de
l’inaction de la communauté internationale, notamment à l’est de la
Syrie, pousse désormais l’Occident à la prudence, de peur que leurs
armes ne se retrouvent entre les mains d’islamistes radicaux. "Le but
n’est pas de combattre des djihadistes au Mali pour fournir des armes
aux djihadistes en Syrie", avait lancé en février dernier le chef de la
diplomatie belge, Didier Reynders, justifiant ainsi la décision de
prolonger l’embargo européen sur les armes jusqu’au 1er juin prochain.
"Des livraisons d’armes risquent toujours de nourrir une course à
l’armement et de provoquer une glissade vers une guerre par procuration,
qui pourrait embraser toute la région", a renchéri la semaine dernière
le chef de la diplomatie allemande, Guido Westerwelle. "Il y a urgence
humanitaire en Syrie, tant au regard du nombre de morts que de celui des
réfugiés syriens. Et la situation empire de jour en jour", confie une
source diplomatique française. "L’idée est qu’une réunion accélérée sur
la question de l’embargo des armes à destination de la Syrie se tienne
avant mai."
Celle-ci pourrait avoir lieu les 22 et 23 mars, date à laquelle les
ministres européens des Affaires étrangères doivent se retrouver pour
une réunion informelle à Dublin. La prise de position française a en
tout cas eu le mérite de secouer ses partenaires européens,
particulièrement amorphes sur la question. Berlin a déclaré jeudi être
"prêt à discuter immédiatement au sein de l’Union européenne" de
l’opportunité de lever l’embargo, "si des partenaires importants de l’UE
estiment que la situation est maintenant différente". Bruxelles a
assuré de son côté qu’il était "possible" de discuter "sans délai" de la
nouvelle opportunité, si l’un des 27 membres le souhaitait.
Étrangement, aucun État membre n’a formellement réclamé de levée de
l’embargo au cours de la dernière réunion des ministres européens des
Affaires étrangères, lundi à Bruxelles. D’après un haut responsable
français s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, l’objectif de la
France serait notamment de fournir à l’opposition syrienne des moyens de
défense antiaériens (missiles sol-air) contre les avions et les
hélicoptères du régime. Il faut aux opposants "des armes qui puissent
contrer les attaques des avions", a confié ce responsable à l’Agence
France-Presse.
"Ces armes, c’est ce que demande la Coalition nationale syrienne
[principale coalition de l’opposition syrienne, basée à l’étranger,
NDLR]", rappelle la source diplomatique française. "À ce stade, il ne
s’agit pas de se lancer dans des supputations. Rien n’a encore été
décidé", assure-t-elle. Du côté de l’Armée syrienne libre (ASL), les
annonces française et britannique sont accueillies avec prudence. "Le
vrai problème de l’Armée syrienne libre (ASL) aujourd’hui est la
multiplication des sources d’armement et de financement, ce qui provoque
un déficit de contrôle du commandement central sur toutes les forces
sur le terrain", affirme au Point.fr Fahad al-Masri, porte-parole du
commandement conjoint de l’Armée syrienne libre de l’intérieur.
Tandis que l’ASL bénéficie de livraisons d’armes limitées de la part de
l’Arabie saoudite et du Qatar, certaines personnalités privées habitant
le Golfe alimentent les groupes rebelles les plus radicaux. "La
livraison effective d’armes par la France permettrait d’unifier les
ressources de l’ASL et ainsi de réunir sous un même étendard tous les
groupes armées qui luttent pour la chute du régime", assure Fahad
el-Masri. "Nous possédons dans notre armée des centaines d’officiers,
anciens hauts gradés de l’armée régulière, qui savent manier les armes
lourdes et de qualité."
Mais le porte-parole garde également en mémoire les multiples promesses
de l’Occident envers l’opposition syrienne, restées, selon lui, lettre
morte. "Si la France et la Grande-Bretagne ne mettent pas en application
leur parole, elles pourraient au contraire ouvrir la voie à un soutien
ouvert de l’Iran et de la Russie au régime syrien, afin qu’il massacre
encore davantage sa population." Pour l’heure, Paris répète sa volonté
de trouver une issue politique au conflit. "Toujours persuadé de sa
supériorité militaire, le régime syrien ne fait rien pour la mise en
place d’une telle solution", fait valoir la source diplomatique
française. "Pour que Damas se persuade de l’intérêt à participer au
dialogue politique, il faut créer les conditions d’un changement dans
l’équilibre des forces sur le terrain."
(13-03-2013 - Armin Arefi)
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