mercredi 27 mars 2013

Israël/ Palestine : "Pourquoi j’ai interrompu Barack Obama" (Armin Arefi)

Après s’être cassé les dents dans ses multiples tentatives de pression sur Benyamin Netanyahou, Barack Obama s’est rendu à l’évidence : pour lui, seul le peuple israélien est susceptible d’influencer la politique du Premier ministre sur le dossier israélo-palestinien. Jeudi dernier, devant des centaines d’étudiants rassemblés au palais des Congrès de Jérusalem, le président américain s’est lancé dans une véritable opération de séduction du "peuple d’Israël", assurant les habitants du "pays le plus puissant de la région" du "soutien inébranlable du pays le plus puissant au monde".

"Vous avez l’occasion d’être la génération qui sécurisera de manière permanente le rêve sioniste", a-t-il lancé devant une foule conquise. Dépourvu de toute proposition concrète pour relancer un processus de paix à l’abandon, le président démocrate a appelé directement les Israéliens à choisir le parti de la paix avec les Palestiniens, "la seule voie vers la vraie sécurité", selon lui. En contrepartie, les Palestiniens doivent "reconnaître qu’Israël sera un État juif et que les Israéliens ont le droit d’insister sur leur sécurité".

Le discours, un vibrant plaidoyer d’une cinquantaine de minutes, a été salué à de nombreuses reprises par les applaudissements-fleuves d’un public aux anges. La mission de reconquête des coeurs israéliens était dès lors un franc succès. À une exception près... En plein discours présidentiel, un jeune homme se lève dans la salle et interpelle Barack Obama. "Êtes-vous ici pour la paix ou pour donner à Israël davantage d’armes pour tuer les Palestiniens ?" lance en hébreu un Arabe israélien, devant une foule interloquée. "Comment pouvez-vous parler de démocratie et soutenir un État juif ?"

Les sifflets pleuvent. Le frondeur s’appelle Rabbea Eid, un étudiant de 24 ans de l’université de Haïfa. "Mon intervention n’était pas préparée", assure-t-il. "J’ai simplement été profondément choqué par le discours du président américain. Lorsque Barack Obama évoque son soutien à un État juif, que fait-il des 20 % de citoyens arabes israéliens ? Nous nous battons pour un pays où tous les citoyens seraient égaux. Or, parler d’État juif équivaut à nier nos droits et notre existence."

Comme Rabbea Eid, ils sont 20 % de Palestiniens (soit environ 1,64 million de personnes) vivant en Israël à bénéficier de la citoyenneté israélienne, en tant que descendants des populations palestiniennes qui n’ont pas été expulsées après la guerre de 1948. En théorie, ils bénéficient des mêmes droits que les Juifs israéliens, et possèdent même 11 députés à la Knesset (le Parlement israélien). D’ailleurs, Rabbea Eid est membre du parti arabe israélien Balad (Ligue démocratique nationale, NDLR). "Nous sommes 20 % de citoyens, mais nous ne contrôlons que 2 % des terres en Israël", s’insurge Rabbea Eid.

Que ce soit dans le nord du pays ou dans de grandes villes comme Jérusalem, les Arabes israéliens vivent souvent en communauté, à l’écart du reste de la population. "À Jérusalem, les autorités font tout pour nous faire partir et ainsi assurer le caractère juif de la ville", souligne le jeune étudiant. Autre différence notable de traitement, l’interdiction faite au conjoint palestinien d’un citoyen arabe israélien de venir le rejoindre pour vivre en Israël, pour des raisons de sécurité et de démographie, alors que les Juifs de par le monde y sont encouragés.

Enfin, de nombreuses discriminations existeraient à l’embauche, alors que 50 % des Arabes israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté (le taux national est de 18 %). "Beaucoup d’entreprises, et même des restaurants, qui proposent du travail rejettent notre candidature, parce que nous n’avons pas effectué le service militaire", affirme Rabbea Eid. Contrairement aux Juifs israéliens, les citoyens arabes d’Israël n’ont pas l’obligation de s’acquitter du service civil de trois ans (deux ans pour les femmes). Mais ils peuvent y souscrire volontairement. "C’est impossible pour moi, car c’est cette même armée qui tue mon peuple à Gaza ou en Cisjordanie", insiste l’étudiant.

Le statut de Rabbea Eid n’en reste pas moins privilégié, comparé à celui des Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza ou encore des réfugiés. Quelques heures plus tôt, Barack Obama s’est d’ailleurs rendu à Ramallah, en Cisjordanie, où il s’est entretenu avec Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne. De retour de la Mouqata’a (siège de l’Autorité palestinienne), le président américain a invité l’audience israélienne à se "mettre à la place" des Palestiniens.

"Il n’est pas juste qu’un enfant palestinien ne puisse pas grandir dans son propre État, qu’il ait à vivre en présence d’une armée étrangère qui contrôle les mouvements de ses parents à chaque instant", a-t-il souligné. "Il n’est pas juste que la violence des colons contre les Palestiniens reste impunie", a-t-il ajouté, sans pour autant prôner de solution. Debout dans la salle, Rabbea Eid interpelle le président : "Avez-vous le mur d’apartheid quand vous êtes arrivé de Ramallah ?"

Le frondeur en profite pour rappeler le sort de la jeune militante américaine Rachel Corrie, écrasée en mars 2003 sous les chenilles d’un bulldozer israélien alors qu’elle s’opposait à la destruction d’une maison palestinienne de la bande de Gaza (la justice israélienne a depuis disculpé Tsahal). C’en est trop pour la sécurité du palais des Congrès de Jérusalem, qui saisit l’intrus et l’expulse manu militari. "J’ai été légèrement violenté, puis on m’a signifié mon arrestation", affirme-t-il.

Mais l’étudiant arabe israélien trouvera son salut dans la présence à ses côtés d’un journaliste américain de Fox News, qui suit les agents, muni de son appareil photo. "En apercevant le journaliste, l’un des agents, peut-être le chef, a demandé que je sois bien traité, car il ne voulait pas d’une histoire devant les médias." Rabbea Eid sera évacué du bâtiment, puis relâché. Quant à Barack Obama, loin de se laisser impressionner par l’incident, il préférera en rire, s’attirant de nouveau les applaudissements d’une salle debout.

"Cela fait partie du débat dont je vous ai parlé. C’est très bien. Je dois même vous dire que nous avons arrangé cela pour que je me sente chez moi. Je ne me serais pas senti à l’aise si je n’avais pas eu au moins un perturbateur."

(25-03-2013 - Armin Arefi)

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