mercredi 10 février 2016

Syrie : "Il faut stopper cette hémorragie mortelle !" (Mgr Jean-Clément Jeanbart)

Mgr Jean-Clément Jeanbart, archevêque d'Alep, était à Paris quand les bombardements se sont intensifiés sur sa ville. Alors que plusieurs dizaines de milliers de ses compatriotes fuient vers la Turquie sous un déluge de feu, il retournera chez lui jeudi matin, via Beyrouth.


Pourquoi voulez-vous rentrer ?
Je veux être au milieu des miens en ces temps difficiles. Je veux les encourager à ne pas fuir, à rester chez nous. Nous vivons un moment très difficile. Un grand malheur nous assaille. C'est comme si l'on me poignardait une fois de plus. Depuis vingt ans que je suis archevêque d'Alep, je lutte pour que tout le monde reste au pays. Et c'est l'inverse qui se produit ! Non seulement notre pays a été détruit, mais il est aussi vidé de toutes celles et de tous ceux qui le font fonctionner. Il faut stopper cette hémorragie mortelle. La classe moyenne, qui est la colonne vertébrale d'une société, fond comme neige au soleil. Certains fuient la guerre, mais beaucoup profitent de la situation pour s'installer ailleurs. Il y a un an ou deux, pour aller au Canada par exemple, il était très difficile d'obtenir un simple visa de visite. Maintenant, c'est beaucoup plus facile ! Tout cela me laisse perplexe. Les Syriens se rendent au Canada, en Australie, en Suède, en Allemagne ; ils croient trouver le paradis, et forcément ils sont déçus. Il faut lancer un grand mouvement de retour à la maison.


Dans le contexte actuel, vous risquez d'être peu entendu…
Pour l'instant, peut-être, mais les choses évoluent vite sur le terrain… Alep a toujours été – depuis des siècles – une ville riche, un centre industriel, un carrefour commercial, une cité prospère. Les Aleppins vivaient plutôt bien, la vie sociale était intense, chacun pouvait compter sur des amis, une forte solidarité. Nous avons passé des centaines d'années à vivre ensemble, sans problème ; on pouvait aller n'importe où, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, même seul.
Tout cela a été balayé, non de notre fait, mais par un mouvement qui vient de l'extérieur. Depuis juillet 2012, nous sommes des cibles. Notre archevêché a été bombardé quatre fois, tout comme notre cathédrale. J'ai dû me réfugier dans la chambre d'un couvent parce que l'archevêché est à 100 mètres de la ligne de démarcation. Mais c'est un malheur réduit par rapport aux souffrances endurées par la population, les morts, les destructions, la faim, tous ces innocents qui sont obligés de trouver refuge sous des tentes… Nous vivons un grand malheur. Mais je suis certain qu'il sera passager.


Comment pouvez-vous en être assuré ?
La paix va revenir, nous allons retrouver plus de libertés et plus de droits, surtout le droit de vivre notre foi comme nous le souhaitons, j'en suis convaincu. Même si, dans l'immédiat, nous connaissons un moment de grande tension, il va bien falloir qu'un jour les différents belligérants s'assoient autour d'une table et trouvent un compromis.


Qui porte la plus grande responsabilité de cette situation à votre avis ?
Je ne suis pas bien placé pour me prononcer sur la politique, la stratégie, affirmer qui a raison et qui a tort. En tant que religieux, je suis fondamentalement porté vers le pardon, la miséricorde, la charité. Je préfère prier pour la paix et œuvrer à notre réconciliation.


(09-02-2016 - Propos recueillis par Jérôme Cordelier)

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