dimanche 9 novembre 2014

Israël/Palestine : Sur la façade de légalité de la politique discriminatoire d’Israël à Jérusalem-Est

 
Il ne faut pas oublier que c’est nous qui sommes les natifs de cette ville et de ce pays. Nous appartenons à Jérusalem et nous avons été présents ici bien avant le moment désastreux de l’histoire où l’occupation s’est emparée de notre lieu de naissance et a promulgué ses lois discriminatoires visant à nous métamorphoser en résidents conciliants ou à nous rejeter comme des délinquants et des intrus sans foi ni loi.

Décembre 2013

Hier matin, en traversant le checkpoint de Qalandya sur la route de mon travail à Ramallah, j’ai « pris » une contravention. L’agent de police m’a informée que j’avais violé le droit de passage en roulant sur une deuxième file autour du rond-point avant le checkpoint. Je passe ici tous les jours, et tous les jours les conducteurs roulent très lentement sur plusieurs files autour de ce rond-point pour entrer dans le checkpoint engorgé.

Se voulant « aimable », le policier qui remet les contraventions, qui sont très chères pour moi et les autres conducteurs, m’a dit : « Je suis ici pour aider les gens qui ont le droit de passage  ».

« En réalité, » lui ai-je répondu, « c’est le checkpoint qui fait obstacle au droit de passage pour nous tous, pas ma conduite ».

Mais ce n’était pas la seule « violation » que j’avais commise. En tant qu’habitante non juive de Jérusalem-Est, conspiration, contrebande et corruption font partie de ma vie quotidienne.

Je dois conspirer avec mes sympathiques voisins afin de trouver une place de parking pour ma voiture quand j’arrive à la maison tard le soir : ils déplacent leurs voitures pour me laisser un espace rare pour stationner. Le manque de places de stationnement entraîne de plus en plus d’incidents déplorables entre voisins dans les quartiers rétrécis de Jérusalem-Est.

Je suis aussi coupable de passer en contrebande de délicieux fromages de chèvre fabriqués dans des villages de Cisjordanie. Quand mes amis m’en donne, je le cache sous un siège de ma voiture et je conduis avec mon cœur qui bat très vite en traversant le checkpoint, priant pour que les soldats ne le remarquent pas ni me le confisquent, ou ne me mettent pas d’amende, et que le fromage et moi arrivions sains et sauf pour faire un bon dîner avec ma famille. La loi israélienne criminalise l’apport de viandes, fromages, œufs, fruits et légumes de la Cisjordanie vers Jérusalem, ne laissant aucune option légale à tous ceux qui boycottent les produits israéliens. Les soldats au checkpoint utilisent même parfois des chiens pour s’assurer que personne ne transporte un produit interdit.

À la maison, au lieu de courir après les enfants en train de s’agiter dans notre étroit salon ou de nous inquiéter quand ils jouent dans les rues où les gens conduisent vite, j’ai recours à la corruption de mes neveux et nièces avec mon ordinateur portable, mon smartphone et mon iPad pour les tenir sages à la maison. Alors que Jérusalem Ouest dispose de 1000 parkings publics, 34 piscines, 26 bibliothèques publiques et 531 installations de sport, Jérusalem-Est a 45 parkings, 3 piscines, 2 bibliothèques et 33 installations de sport. Ce qui ne laisse que peu de possibilités à une communauté dont les enfants, dans leur grande majorité, aiment piqueniquer et jouer à l’extérieur.

Le temps de loisirs pour les Jérusalémites arabes de l’Est n’est pas seulement restreint par le manque de ressources, mais encore par une politique officielle de discrimination et de ségrégation. En mai, par exemple, un instituteur de Jaffa n’a pas pu faire de réservation pour un voyage de classe à Superland, un parc d’attractions. Quand il a dit quel était le nom de l’école arabe où il enseignait, on lui a dit qu’il n’y avait pas de billets. Mais quand il rappelé en parlant couramment l’hébreu et qu’il a donné le nom d’une école israélienne, d’un seul coup, il y avait pleins de billets disponibles et ses élèves étaient les bienvenus. Quand l’affaire a été rendue publique, la direction de Superland a prétendu que beaucoup d’écoles demandaient à visiter le parc les jours où seuls des élèves d’écoles du même groupe ethnique étaient là, afin d’assurer la « sécurité » de tous les visiteurs. Cela ne ressemble-t-il pas énormément à l’Amérique de la ségrégation dans les années d’avant le mouvement des droits civiques.

Quel que soit le matin à Jérusalem, les habitants arabes publient les photos sur les médias sociaux des maisons qui viennent d’être démolies. Les statistiques montrent que les permis de construire pour les Palestiniens sont presque impossibles à obtenir. Alors que les colonies illégales réservées aux juifs continuent de se développer, les familles palestiniennes dans leur croissance naturelle ne peuvent agrandir ou rénover leurs maisons déjà vieillies ou trop petites. Ils n’ont donc souvent pas d’autre choix que de construire sans permis, malgré les risques omniprésents d’une démolition qui menacent des milliers de constructions et mettent des milliers de familles face au risque de devenir des sans-abri. Depuis l’occupation de la Jérusalem-Est arabe en 1967, les autorités israéliennes ont contrecarré son développent en ne s’épargnant aucun effort pour lancer des poursuites judiciaires contre les habitants non juifs qui construisent sans permis.

La municipalité de Jérusalem ne fait pas que de publier et de faire exécuter des ordres de démolition à ses citoyens palestiniens, elle omet aussi de fournir les services adéquats à Jérusalem-Est – en dépit du fait que nous payons les mêmes taxes et des amendes beaucoup plus élevées que les Israéliens juifs. En outre, les menaces d’ordres de démolition sont utilisées pour soutirer des centaines de milliers de shekels aux propriétaires palestiniens. Encore aujourd’hui, la famille Amira, de Sur Baher, village au sud de Jérusalem-Est, a démoli la maison de deux étages qu’elle avait construite il y a un an, parce que les cadastres israéliens désignent le terrain de la famille comme enregistré en Zone C, où les autorités israéliennes interdisent toute construction aux habitants palestiniens. Les autorités israéliennes ont menacé d’envoyer les bulldozers pour raser la maison de la famille et de facturer au propriétaire plus de 200 000 NIS (nouveau shekel israélien, soit plus de 41 000 €) pour faire le travail à sa place.

L’écart entre l’Est et l’Ouest de Jérusalem quand il s’agit de services vitaux tels que les infrastructures, la construction, l’assainissement, la protection sociale, l’enseignement, les affaires sociales, les routes et les installations récréatives et culturelles, est énorme. Pourtant, les médias israéliens citent habituellement des statistiques montrant que « les résidents arabe » ont une fréquence plus élevée d’accidents domestiques et routiers – comme si nous étions des êtres inférieurs, nous ne vivions pas dans un environnement délibérément défavorisé.

Les bureaux du gouvernement sont beaucoup plus accueillants à Jérusalem-Ouest, avec un accès spécial pour les handicapés et des heures d’ouverture plus amples. Ils ont une chose en commun cependant avec les bureaux situés à Jérusalem-Est : les deux côtés présentent des panneaux et des formulaires écrits en hébreu seulement. Dans le registre de la population du ministère de l’Intérieur à Jérusalem-Est, par exemple, les habitants de langue arabe doivent soit payer pour avoir les documents traduits, soit dépendre de la bonne volonté des fonctionnaires qui y travaillent.

Israël est déterminé à maintenir un « équilibre démographique » à Jérusalem en faveur d’au moins 70 % pour les juifs. Avec une stratégie clé consistant à révoquer le statut de résidence permanente pour les Jérusalémites Est arabes – comme si nous étions des immigrants étrangers. De telles politiques draconiennes, comme l’interdiction de construire et le refus d’appliquer le regroupement familial avec les conjoints et les enfants palestiniens vivant en dehors de Jérusalem, ont contraint des milliers de familles palestiniennes à quitter leur Jérusalem natale pour Ramallah, Jéricho et d’autres endroits en Cisjordanie où la vie est moins difficile. Ce faisant, elles perdent leur statut de résidents permanents d’Israël – et ses droits inhérents. Le « droit » d’Israël à révoquer le statut de résidence qu’il « accorde » aux habitants non juifs de Jérusalem-Est est considéré comme « légitime » - bien qu’il ignore le fait que nous sommes nés à Jérusalem, que nous y avons vécu toute notre vie, et que nous n’avons pas d’autre maison ou droit de citoyenneté ailleurs.

Alors que je contemple la contravention qui m’a été infligée pour « violation de la loi », il me paraît indéniable que les règlements israéliens sont scrupuleusement conçus pour rendre notre vie quotidienne – et notre existence même – illégitime à Jérusalem-Est, au point que l’on pourrait perdre de vue qui est l’offenseur et qui est l’offensé. Il est certain que les lois israéliennes concernant les habitants non juifs ne sont pas en accord avec les codes internationaux des droits humains et de l’éthique. Au contraire, elles servent à nous priver de notre liberté et de nos opportunités, à nuire à nos personnalités et à abîmer nos âmes, tout en octroyant un faux sentiment de légalité à nos oppresseurs – à l’opposé même de ce qu’une loi est censée faire !

Il ne faut pas oublier que c’est nous qui sommes les natifs de cette ville et de ce pays. Nous appartenons à Jérusalem et nous avons été présents ici bien avant le moment désastreux de l’histoire où l’occupation s’est emparée de notre lieu de naissance et a promulgué ses lois discriminatoires visant à nous métamorphoser en résidents conciliants ou à nous rejeter comme des délinquants et des intrus sans foi ni loi.
 
Samah Jabr est jérusalémite, elle est psychiatre et psychothérapeute et se préoccupe du bien-être de sa communauté, et au-delà, des questions de santé mentale.
 
Traduction : JPP

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