jeudi 9 octobre 2014

Israël/Palestine : quand Israël fâche ses alliés au sujet des colonies (Armin Arefi)

(La colonie israélienne d'Elkana (au premier plan), construite en Cisjordanie, faisant face au village palestinien de Saniriya (en arrière-plan). © THOMAS COEX / AFP)

C'est ce qui s'appelle être rattrapé par ses propres contradictions. Répétant son souhait de voir naître un État palestinien tout en fustigeant l'attitude de Mahmoud Abbas, qui n'est pas, selon lui, un "partenaire pour la paix", Benyamin Netanyahou poursuit en douce l'inexorable extension des colonies israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. En donnant discrètement son feu vert la semaine dernière à la construction de 2 610 nouveaux logements dans le quartier juif de Givat Hamatos, le Premier ministre israélien annihile sur le terrain tout hypothétique État palestinien.
"Givat Hamatos détruit la solution à deux États", écrit l'ONG la Paix Maintenant qui a révélé l'affaire. "Il divise le potentiel État palestinien en bloquant la possibilité de connecter les quartiers palestiniens de Jérusalem-Sud avec le futur État palestinien". En effet, le nombre de colons israéliens en Cisjordanie a atteint en juin dernier 382 031 personnes, soit une augmentation de 2 % en six mois, quasiment le double de la croissance démographique dans le reste du territoire israélien. À ces colons viennent s'ajouter les quelque 200 000 Israéliens installés à Jérusalem-Est, occupée et annexée par Israël depuis 1967.

 
 
En dépit du caractère illégal des colonies selon le droit international, Benyamin Netanyahou a expliqué la semaine dernière que les colons n'étaient "pas des occupants sur la terre d'Israël" : "L'Histoire, l'archéologie et le bon sens, tout cela montre que nous avons depuis plus de 3 000 ans un lien particulier avec cette terre." La révélation de ce nouveau projet de colonie a en tout cas provoqué l'ire des États-Unis. Fait rare, le plus fidèle allié de l'État hébreu a estimé qu'une telle décision pourrait "empoisonner l'atmosphère" et "éloigner Israël même de ses plus proches alliés".
L'avertissement de la Maison-Blanche est sans précédent : c'est la première fois que de telles critiques sont faites par la voie officielle. "Déconcerté" par la réaction de Washington, le Premier ministre israélien a surenchéri en lançant que cette déclaration allait "à l'encontre des valeurs américaines" et que "cela n'augure rien de bon pour la paix".
Mais les États-Unis n'en démordent pas et ont vivement réagi lundi en rappelant ce que l'État hébreu doit à son plus fidèle allié : "Ce sont les valeurs américaines qui ont amené notre pays à soutenir de façon indéfectible Israël", a souligné Josh Earnest, le porte-parole de la Maison Blanche. "Ce sont les valeurs américaines qui nous ont conduits à nous battre pour obtenir le financement visant à renforcer de façon tangible la sécurité d'Israël. Ce sont les valeurs américaines qui nous ont conduits à financer et à construire le système Dôme de fer qui a protégé les vies d'innombrables citoyens israéliens innocents."
"On sent un raidissement de la part des États-Unis, qui ressentent une forme de lassitude vis-à-vis de l'attitude désinvolte d'Israël", analyse une source diplomatique occidentale. "La diplomatie américaine a multiplié les navettes dans la région pour trouver une issue aux négociations, or elle s'est heurtée à un mur. Et pendant ce temps, la colonisation a continué à plein régime". Impassible face aux critiques américaines - pour le moins mesurées durant la guerre de Gaza - Benyamin Netanyahou se repose sur le soutien indéfectible des Républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, qui pourraient également s'emparer du Sénat à l'issue des élections de mi-mandat, en novembre.
Mais les États-Unis ne sont pas le seul allié d'Israël à avoir tapé du poing sur la table. Elle aussi critiquée pour sa passivité durant la guerre de Gaza, la France a cette fois fermement rappelé le pays à ses responsabilités. Dans un communiqué, Laurent Fabius a "condamné avec gravité" la décision israélienne d'approuver la création d'une nouvelle colonie. Pour le ministre des Affaires étrangères, "cette annonce vient directement menacer la solution des deux États et la vocation de Jérusalem à être la capitale de ces deux États à un moment où tous les efforts doivent converger vers la paix".
Face à l'impasse politique dans laquelle est plongé le processus de paix, Paris pourrait changer de stratégie et imiter la Suède qui vient d'annoncer qu'elle allait reconnaître unilatéralement l'État de Palestine. '"Il faudra bien, à un moment, reconnaître l'État palestinien", a averti lundi le porte-parole de la diplomatie française, Romain Nadal. "La crise à Gaza a constitué une sorte de croisée des chemins avec le constat qu'on n'arriverait pas à la paix si celle-ci n'était pas imposée", confie une source diplomatique. "Il faut que quelqu'un prenne ses responsabilités, sans doute un collectif d'États ou une organisation internationale, avec l'idée que la reconnaissance directe d'un État palestinien provoque un véritable engagement (d'Israël) dans la négociation".
Outre l'idée d'une reconnaissance de l'État palestinien - à ce stade encore prématurée -, la France a averti Israël de "conséquences, notamment au sein de l'Union européenne", s'il ne revenait pas sur sa décision. Le prochain Conseil européen des Affaires étrangères, qui se tient le 20 octobre en présence des chefs de diplomatie européens, devrait trancher la question. Sont évoquées diverses mesures, dont la mise en place d'un étiquetage des produits israéliens en provenance des colonies.
De quoi faire fléchir Benyamin Netanyahou ? Pas si sûr. "Le Premier ministre israélien parie sur l'impuissance des États-Unis, l'incapacité de l'Union européenne à durcir sa position et les autres priorités actuelles au Moyen-Orient", analyse la source diplomatique occidentale. "C'est une stratégie à court terme vouée à l'échec sur le long terme. Car tôt ou tard, il faudra bien deux États au Proche-Orient."

(07-10-2014 - Armin Arefi)

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