vendredi 20 novembre 2015

Tunisie: Colère et détresse après la décapitation d'un jeune berger par des jihadistes

La décapitation d'un jeune berger par des jihadistes dans la région de Sidi Bouzid (centre) a provoqué colère et affliction en Tunisie, illustrant le sentiment d'abandon d'une part de la population pour qui le terrorisme s'ajoute à la misère.
Mabrouk Soltani, 16 ans, a été égorgé puis décapité par des jihadistes vendredi alors qu'il faisait paître ses moutons sur le mont Mghilla.
Ses assassins ont ensuite ordonné à son cousin Chokri, 14 ans, témoin de la scène, de ramener la tête enveloppée dans du plastique à la famille, selon des proches et le ministère de l'Intérieur.
Lorsque Chokri arrive, couvert de sang, avec dans les bras son macabre fardeau, le choc est terrible à Daouar Slatniya, hameau situé au pied de la montagne. La famille appelle immédiatement les forces de l'ordre à l'aide mais elle reste livrée à elle-même toute la nuit, d'après ses dires.
"On les a appelés à 17H00, ils nous ont dit +on ne monte pas+. Pourquoi? Vous avez peur?", leur répond Mohamed Soltani, 20 ans, le frère de Mabrouk, qui a relaté le fil des événements sur la chaîne privée Nessma.
"C'est la première fois dans l'histoire que la tête de quelqu'un passe la nuit dans un frigo et son corps dans la montagne. (...) Est-ce concevable? Où est la police? Où est l'armée?", s'est-il indigné.
Le lendemain, racontent des membres de la famille à l'AFP, ce sont les proches eux-mêmes qui bravent le danger pour aller chercher la dépouille de Mabrouk. Ils la trouveront gardée par des chiens.

"Un peu tard"
Face à l'émoi, le Premier ministre tunisien Habib Essid a reconnu que les forces de l'ordre avaient tardé. "Nous avons pris les mesures nécessaires, un peu tard il est vrai, (...)", a-t-il dit à la chaîne privée El Hiwar Ettounsi.
Mabrouk a été tué seulement pour avoir refusé de livrer ses bêtes aux jihadistes, a-t-il assuré précisant que le jeune berger n'avait "rien à voir avec l'armée ni avec la police".
Ce meurtre d'un civil --le second en un mois-- n'a pas été revendiqué.
Le mois dernier, revendiquant la mort de deux soldats, la Phalange Okba Ibn Nafaa, principal groupe extrémiste armé tunisien lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), avait menacé toute "personne aidant ou renseignant (les autorités) sur les moujahidines".
Le groupe a démenti lundi sur son compte Twitter être l'auteur du meurtre du jeune berger.
Ce week-end, l'armée tunisienne a néanmoins lancé une opération sur le mont Mghilla, tuant au moins un jihadiste présumé et perdant un militaire.
Le ministre de l'Intérieur Najem Gharsalli s'est rendu sur place samedi mais les renforts l'accompagnant ont essuyé la colère des habitants, furieux de leur absence jusque-là. Certains ont réclamé au ministre des armes pour se défendre eux-mêmes face aux jihadistes.

'En dehors de l'Histoire'
Depuis sa révolution de 2011, la Tunisie est confrontée à un essor de la mouvance jihadiste. Des dizaines de policiers et de militaires ont été tués, et 59 touristes étrangers sont morts cette année dans deux attentats revendiqués par le groupe État islamique (EI).
A Daouar Slatniya, la mort de Mabrouk a ravivé le sentiment d'exclusion d'une région, celle du gouvernorat de Sidi Bouzid, où le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s'était immolé par le feu le 17 décembre 2010, point de départ du "Printemps arabe".
Cinq ans plus tard, à la pauvreté et au chômage toujours croissants s'est ajoutée la menace jihadiste.
"Ici, nous vivons en dehors de l'Histoire. Coupés du monde", affirme à l'AFP Imed, 32 ans, un cousin de Mabrouk.
Dans un témoignage poignant, Nessim, 20 ans, un autre cousin, a raconté sur Nessma la misère quotidienne.
"Nous mangeons les plantes, ramenons l'eau de la montagne et aujourd'hui il y a les terroristes. Où vais-je boire? Je vais mourir soit de soif, soit de faim, soit de terrorisme", a-t-il clamé.
"Pourquoi Mabrouk est mort? Parce qu'il vivait de la montagne", a poursuivi le jeune Tunisien, la gorge serrée.
"Nous sommes visés à tout moment", a-t-il ajouté, en mettant en garde contre la facilité pour les jihadistes d'acheter une jeunesse marginalisée, analphabète (...). Une jeunesse au chômage".

(19-11-2015)

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