vendredi 13 novembre 2015

Israël : "Produit dans une colonie israélienne" - la polémique vue d'Israël (Danièle Kriegel)

La colère était prévisible. Reste que, face à la décision européenne d'appliquer un étiquetage différencié aux produits en provenance des colonies israéliennes, les dirigeants en Israël n'ont pas fait dans la nuance : "Une honte", a déclaré Benjamin Netanyahu, avant d'ajouter : "C'est hypocrite, il s'agit de deux poids deux mesures : on cible Israël alors qu'il y a aujourd'hui dans le monde 200 autres conflits territoriaux…" Encore plus virulente, sa ministre de la Justice, Ayelet Shaked, n'a pas hésité à parler d'une "haine anti-israélienne qui dépasse les bornes". Immédiatement convoqué aux Affaires étrangères à Jérusalem, le représentant de l'Union européenne a eu droit aux foudres de Tzipi Hotovely, la très Likoud vice-ministre.
Ses services ont établi la liste des territoires occupés dans le monde qui n'ont pas fait l'objet d'une telle mesure européenne. Par exemple, le Sahara occidental occupé par le Maroc ou la partie turque de Chypre. Quoi qu'il en soit, et en représailles, Israël a suspendu toutes les discussions diplomatiques avec l'Europe. Notamment concernés,  les projets européens en cours, pour aider les Palestiniens, en zone C de la Cisjordanie, un secteur totalement contrôlé par Israël. Quant à la condamnation de l'UE, elle vaut aussi à gauche où le président du parti travailliste a évoqué une mesure "dangereuse et nuisible". Toujours au sein de l'opposition, Yaïr Lapid, le leader de Yesh Atid ("Il y a un avenir"), a rejoint ceux qui dénoncent une décision "antisémite".

Colonies peu exportatrices
Alors, pourquoi une telle vindicte ? Est-ce les retombées économiques d'un tel changement d'étiquetage qui concerne notamment les fruits, légumes, dattes, le miel, les œufs, poulets et les cosmétiques ? C'est peu probable quand on sait que les exportations israéliennes en provenance des colonies ne dépassent pas 200 millions de dollars par an, soit pas plus de 1 % du montant annuel des marchandises israéliennes exportées vers l'Europe qui se situe entre 18 et 20 milliards de dollars. Interrogé par The Marker, un des principaux journaux économiques du pays, le patron du syndicat des agriculteurs israéliens a une autre préoccupation : que cela touche finalement l'ensemble des exportations israéliennes : "Le consommateur, explique Mair Tsur, n'est pas un expert en géographie. Et donc il y a tous les risques qu'il ne fasse pas la différence entre un produit venu des colonies ou de l'intérieur de la ligne verte (la frontière d'avant 1967)."
Pourtant, pour L'Union européenne, il n'est pas question d'un boycott. Chaque importateur peut commander des produits venus des colonies et les placer dans les divers circuits de distribution. Le consommateur décidera s'il veut acheter ou non des "produits de Cisjordanie (colonie israélienne)" ou des "produits de Cisjordanie (produits palestiniens)". De toute manière, rappelle-t-on à Bruxelles, les accords commerciaux établis avec Israël en 2005 spécifient en toutes lettres que "les marchandises produites dans les colonies de peuplement israéliennes implantées dans les territoires placés sous administration israélienne depuis juin 1967 ne peuvent pas bénéficier du régime tarifaire préférentiel prévu par l'accord d'association UE-Israël". Ce n'est pas tout. Plus récemment, Benjamin Netanyahu avait accepté que l'accord sur la recherche scientifique "Horizon 2000" ne puisse pas s'appliquer aux instituts israéliens situés en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est.

"Le monde est contre nous"
Autant de données que l'actuel gouvernement israélien se garde bien de rappeler à son opinion publique. Mieux vaut expliquer la décision européenne par l'expression de l'antisémitisme actuel qui se manifeste notamment par le boycott d'Israël dans le monde. Selon un sondage publié en septembre dernier par l'Institut israélien pour la démocratie et l'université de Tel-Aviv, 71 % des personnes interrogées dans le secteur juif estiment que "le monde est contre" elles et plus de 79 % rejettent tout boycott contre les implantations juives de Cisjordanie. En effet, les réactions virulentes des responsables politiques israéliens, de droite comme de gauche, mis à part Meretz, le petit parti à la gauche des travaillistes, et la Liste arabe unifiée, sont à replacer dans le cadre de la lutte officielle contre le boycott d'Israël en général, et BDS (l'organisation Boycott, désinvestissement et sanctions) en particulier. Ce mardi le parlement israélien n'a-t-il pas voté en lecture préliminaire, à une large majorité de 55 contre 31, un projet de loi visant à interdire l'entrée en Israël de toute personne appelant son boycott ? Un texte très critiqué par la minorité de gauche.

(13-11-2015 - Danièle Kriegel)

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