vendredi 23 octobre 2015

Israël/Palestine : "La vraie menace, ce n'est pas Daesh ni le Hamas, mais l'Iran" (Silvan Shalom)

Les attaques palestiniennes au couteau se multiplient à Jérusalem, sans que les autorités israéliennes parviennent à les contrecarrer. Ministre israélien de l'Intérieur et vice-Premier ministre, Silvan Shalom était de passage à Paris, où il a rencontré Laurent Fabius et Bernard Cazeneuve pour évoquer la situation en Israël et dans les Territoires palestiniens. Lors d'un entretien réalisé en présence de quelques médias, dont Le Point, le ministre israélien, appartenant au Likoud (droite nationaliste, parti de Benjamin Netanyahu), livre une vision sans concession sur les motivations qui poussent de jeunes Palestiniens à poignarder des Israéliens.  (Propos recueillis par Armin Arefi)

L'initiative française d'une présence internationale sur l'esplanade des Mosquées vous a, semble-t-il, irrité. Pourquoi ?
Nous sommes totalement opposés à l'initiative visant à amener de nouveaux inspecteurs au mont du Temple. Nous sommes ceux qui assurent le statu quo là-bas, et offrons un accès total à tous des sites sacrés sur la terre promise. On peut imaginer ce qui arrivera si la sécurité est confiée aux Palestiniens, prenez l'exemple du tombeau de Joseph, dont ils sont en charge, qui a été brûlé à deux reprises durant la dernière semaine. Cela ressemblerait à une récompense donnée aux terroristes pour leur violence. Cela équivaudrait à décider d'arrêter toute caricature dans les médias français après l'attaque terroriste contre Charlie Hebdo. Vous ne le toléreriez pas. Nous ne l'acceptons pas non plus.

Que venez-vous faire en France ?
Je dois rencontrer le ministre français des Affaires étrangères (Laurent Fabius) et celui de l'Intérieur (Bernard Cazeneuve). Nous essayons de réduire nos divergences avec le gouvernement français, d'autant que nous sommes très reconnaissants des efforts de la France pour empêcher l'Iran de devenir une puissance nucléaire. Votre pays a été beaucoup plus réaliste que beaucoup d'autres en Europe. La France a regardé vers le futur et n'a pas seulement pensé au présent.

Qu'est-ce qui a, selon vous, provoqué cette nouvelle vague de violences palestiniennes ?
L'incitation [à la haine] joue un rôle-clé auprès de ces jeunes qui prennent des couteaux et poignardent des juifs. Ces incitations sont légion, à l'école, à la télévision, à la radio et dans les discours des dirigeants palestiniens. Et, comme l'accès depuis Jérusalem-Est [vers Israël] est aisé – contrairement aux Territoires [palestiniens] et à la Cisjordanie, puisqu'il n'y a pas de checkpoint ni de routes bloquées –, les terroristes peuvent facilement atteindre n'importe quel point en Israël et perpétrer des attaques. Nous souhaiterions que Mahmoud Abbas ait le courage de faire face à son peuple et de lui demander de mettre un terme [à la violence]. Je crois que, s'il le fait, cela ramènera plus de paix et de calme. Jamais les Palestiniens n'atteindront leur objectif avec la violence. Ils doivent le comprendre. Il ne peut être atteint qu'à travers les négociations.

Ne pensez-vous pas vous aussi souffler sur les braises en autorisant certains ministres de votre cabinet à multiplier les visites sur l'esplanade des Mosquées ?
Je tiens à vous rappeler que la plupart des rabbins, dont le rabbin en chef d'Israël, sont contre l'idée d'aller sur le mont du Temple pour des raisons religieuses. Mais certains ministres, qui sont religieux, possèdent leurs propres rabbins. Une nouvelle génération de rabbins qui ne sont pas ultra-orthodoxes et qui donnent la permission de s'y rendre. Mais cela ne concerne que quelques ministres. Et le Premier ministre a décidé il y a deux semaines, en signe d'apaisement, qu'aucun ministre ni député ne serait désormais autorisé à visiter le mont du Temple. Cela étant, tout le monde a le droit d'y monter. Beaucoup de touristes s'y rendent d'ailleurs chaque jour. Et, parmi les non-musulmans qui y accèdent, il n'y a qu'un quart de juifs. Sauf qu'ils n'ont pas le droit de prier, ce qui fâche beaucoup d'Israéliens. Tout le monde sait que le mont du Temple fait référence au temple qui s'y trouvait. Et il était juif. Le premier construit par le roi Salomon et détruit par les Babyloniens. Et le second détruit par les Romains.

Ces attaques spontanées représentent-elles pour vous une nouvelle forme de menaces à laquelle vous devez vous adapter ?
La véritable menace à laquelle nous devons faire face est l'Iran. Pas Daesh [acronyme arabe de l'organisation État islamique, NDLR], ni le Hamas, ni cette nouvelle forme de violence. Bien sûr, ce n'est pas une situation dans laquelle nous souhaitons vivre. Mais on peut y faire face. Cela ne remet pas en question notre existence. L'Iran, c'est autre chose.

Pourtant, dans un rapport, le général Eizenkot, chef d'état-major de l'armée israélienne, n'affirme-t-il pas que l'Iran n'est pas une menace majeure pour Israël, au contraire du Hamas ou du Hezbollah ? De plus, la dernière vague d'attaques palestiniennes semble, pour leur grande majorité, ne pas être coordonnée avec le Hamas ou toute autre organisation, comme l'a avoué Benjamin Netanyahu. Comment comptez-vous alors y faire face ?
Nous tentons de mettre fin à cette violence avec la mise en place de nouveaux checkpoints et en bloquant de nouvelles voies d'accès pour les populations de Jérusalem-Est. En tant que ministre de l'Intérieur, j'ai aussi été autorisé par le cabinet de sécurité à retirer la citoyenneté ou le permis de résidence à des terroristes. Par ailleurs, nous avons découvert quelque chose d'intéressant : 70 % de ces terroristes possèdent au moins un parent originaire de Cisjordanie ou de Gaza, qui est donc palestinien à part entière. Ainsi, lorsque ces jeunes rendent visite à leurs familles, peut-être sont-ils incités [à la violence] par leur grand-mère, leur grand-père, leurs oncles, leurs cousins. Peut-être est-ce plus facile également de les recruter. Peut-être des pressions ont-elles été exercées sur leurs familles afin de convaincre ces jeunes de s'attaquer à des Israéliens.

Ne pensez-vous pas que le geste d'un enfant de 13 ans qui attaque un juif au couteau, tout en étant certain d'être abattu juste après, ne traduit pas davantage son désespoir face au manque de perspectives ?
Je vous l'ai dit. Tout cela repose sur l'incitation [à la haine]. Uniquement cela. Nous n'avons rien fait à ce jeune de 13 ans. Il est toujours à l'école. Je crois même qu'il n'a jamais vu de juif de sa vie.

Mais ils affirment avoir toujours vécu sous occupation israélienne...
Quel genre d'occupation un jeune de 13 ans ressent-il ? Jérusalem est libre. On y jouit d'une liberté de mouvement et d'expression, bref, de liberté. C'est à vous de vous demander comment un jeune de 13 ans peut prendre un couteau et poignarder quelqu'un. À moins qu'il ne l'ait entendu à la maison, à l'école, à la télévision, à la radio ou dans les discours des leaders palestiniens. Il n'y a pas d'autre raison. Nous ne lui avons rien fait.

Vingt ans après les accords d'Oslo, les négociations sont dans l'impasse et la constitution d'un État palestinien semble irréalisable sur le terrain. Que comptez-vous faire ?
Nous avons essayé de reprendre les négociations de paix avec les Palestiniens. En tant que négociateur en chef du gouvernement israélien, j'ai rencontré à plusieurs reprises mon homologue palestinien Saeb Erekat, dans des capitales arabes et ailleurs, et nous avons tenté de trouver des moyens de renouer le dialogue. Nous leur avons donné quelques idées sur ce qu'il était nécessaire de faire pour y arriver, et nous attendons leur réponse. À vrai dire, l'atmosphère actuelle n'est pas très bonne pour que nous puissions parler tous les deux directement. Nous essayons de le faire à travers des médiateurs américains et européens. Mais nous pouvons y arriver. Nous voulons améliorer la vie des Palestiniens. Nous le faisons également à Gaza, où nous fournissons des efforts pour la reconstruction [de l'enclave] avec les Qataris, ce qui rend furieux Mahmoud Abbas. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a dit qu'il était prêt à reprendre les négociations sans condition, en Jordanie. Abbas n'a pas voulu. Et, comme le disent les Américains, il faut être deux pour danser le tango.

Ne faudrait-il pas, au contraire, sortir des négociations bilatérales stériles et les rendre multipartites, sur le modèle des négociations réussies sur le nucléaire iranien, par exemple ?
L'Iran n'est pas le bon exemple. Je le répète, il faut être deux pour danser le tango. Et nous avons besoin que les Palestiniens soient d'accord.

L'ancien président israélien Shimon Peres affirmait que Mahmoud Abbas, qui a renoncé à la violence, restait pour Israël le meilleur partenaire pour la paix. Ne craignez-vous pas de manquer une occasion unique, à l'heure où Daesh frappe aux portes de la Palestine ?
Nous avons entendu, à plusieurs reprises, que Mahmoud Abbas était le meilleur partenaire avec lequel nous puissions réussir. Je l'ai rencontré à plusieurs reprises et je peux vous assurer que c'est un homme agréable avec lequel vous pouvez parler. Le fait que tout le monde nous dise qu'Abbas est le meilleur pour réussir pourrait nous pousser à ne conclure aucun accord avec lui. Car, si ses successeurs sont plus durs que lui, cela signifiera qu'ils utiliseront contre nous les territoires que nous aurons donnés à Abbas pour tirer des missiles et des roquettes contre Israël. Ce serait stupide de notre part. Nous aimerions vraiment résoudre le conflit. Mais comment être sûr que les générations futures n'auront pas d'autres revendications ?

(23-10-2015)

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