Ils se toisent, se provoquent et même parfois s’insultent : au siège de
l’ONU à Genève où se déroulent les négociations entre le régime syrien
et l’opposition, une âpre bataille médiatique oppose partisans et
détracteurs de Bashar al-Assad.
Dans les couloirs du Palais des Nations, sur les pelouses alentours et
surtout lors des conférences de presse, les deux camps sont à couteaux
tirés, chacun tentant d’imposer son point de vue et de contrer celui de
l’autre en affirmant représenter la "vraie voix de la Syrie".
Dans les points de presse, ils rivalisent pour monopoliser le micro, si
bien que vendredi, le médiateur de l’ONU et instigateur des négociations
de paix, Lakhdar Brahimi, a lancé à la salle, en plaisantant : "Vous
êtes tous Syriens ici ou quoi ?".
Car si le régime de Damas et l’opposition sont réunis pour la première
fois dans la même pièce depuis le début en 2011 du conflit sanglant qui
ravage la Syrie, le contact est tout aussi inédit entre médias pro et
anti-Assad.
"La nouveauté de Genève est que l’Etat syrien est représenté pour la
première fois sur le plan politique et sur le plan médiatique dans une
conférence sur la Syrie", ce qui n’était pas le cas lors des conférences
des Amis de la Syrie où seul l’opposition était présente, affirme à
l’AFP Habib Salman, directeur de l’information à la télévision d’Etat
syrienne, présent à Genève.
Profitant de l’aubaine, les journalistes pro-régime harcèlent les
membres de l’opposition avec leurs questions. Ceux appuyant l’opposition
font de même avec les dignitaires de la délégation de Damas.
Dans la ville suisse de Montreux, où s’était tenue mercredi la
conférence internationale sur la Syrie, des journalistes anti-régime ont
pourchassé le ministre de l’Information Omrane al-Zohbi dans le centre
de presse en lui lançant avec insistance "Quand Assad partira-t-il ?".
Et à Genève, l’opposant Burhan Ghalioun s’est retrouvé dans un couloir
assailli par des journalistes pro-régime qui le pressaient de répondre :
"les rebelles ont montré des vidéos de têtes décapitées, qu’est-ce que
tu as à répondre à ça ?".
Le régime de Damas considère les rebelles comme des extrémistes
"terroristes" appuyés et financés par l’étranger, notamment par l’Arabie
saoudite et le Qatar. Et les médias financés par ces deux pays,
Al-Arabiya et Al-Jazeera, sont les plus honnis par le régime pour leur
couverture très favorable avec la rébellion.
Dimanche, lorsque la journaliste d’Al-Jazeera a demandé au ministre de
l’Information pourquoi il refusait d’être interviewé par sa chaîne, ce
n’est pas le dignitaire syrien qui a répondu. Mais un reporter de Sham
FM, radio privée proche du pouvoir. "Parce que vous êtes des agents"
(d’un pays hostile, ndlr), a-t-il lancé. La journaliste d’Al-Jazeera a
alors répliqué : "au moins nous ne sommes pas des criminels".
Autre exemple de tension lors de la conférence de presse de l’opposant
Louai Safi qui appelait à la création d’un corridor humanitaire pour les
quartiers rebelles assiégés de la ville de Homs (centre).
"Ne pense pas que tu peux me dicter ce que je dois dire ici, toi qui
représentes les médias de la propagande", a lancé l’opposant à un
journaliste de l’agence officielle Sana qui lui demandait avec
insistance pourquoi l’opposition voulait-elle faire sortir les
"terroristes" de Homs.
Des insultes extrêmement vulgaires, souvent sous le niveau de la
ceinture, fusent parfois. D’autres s’inspirent du contexte de la guerre
comme lorsqu’un journaliste anti-Assad a crié à son confrère de la
presse officielle "Vas-y, jette un baril sur nous", en référence aux
barils d’explosifs largués selon des ONG sur la ville d’Alep (nord),
tuant des centaines de civils.
La tension est parfois tellement grande que les journalistes manquent
d’en arriver aux mains, forçant la sécurité de l’ONU à intervenir.
Certains journalistes syriens vivent une situation inédite. Ahmad
Fakhuri était présentateur à la télévision d’Etat jusqu’à ce qu’il
fasse défection en 2012. "Je revois d’anciens collègues ici, je veux les
saluer mais certains sont embarrassés, d’autres ont détourné le
regard", confie à l’AFP ce jeune homme qui travaille désormais dans une
chaîne satellitaire financée par les Emirats arabes unis.
"Je suis opposant, mais en tant que journaliste, je peux critiquer
l’opposition et les rebelles tout comme les renseignements et Assad.
C’est cela le vrai journalisme".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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