Il était 15h00 quand le téléphone de Lulu a cessé de fonctionner. Elle
se trouvait alors dans l’est de Damas, près du siège des renseignements
de l’armée de l’air, l’un des services de sécurité les plus redoutés de
Syrie.
C’était en novembre. La jeune femme âgée de 30 ans faisait des courses
dans le quartier d’Hamra, à un quart d’heure de chez elle. Elle n’est
jamais rentrée.
Le cas de Lulu n’est pas isolé. Beaucoup d’autres disparitions auraient
eu lieu à l’approche de la conférence internationale de Genève II, qui
réunit pour la première fois des représentants du gouvernement et de
l’opposition en exil.
Ces derniers réclament la libération de près de 50.000 détenus, qu’ils
ont identifiés. A l’ouverture de la conférence, deux délégués de
l’opposition ont brandi le portrait d’Abdelaziz al Khaïer, dissident de
longue date dont on est sans nouvelles depuis deux ans.
Selon le gouvernement, la plupart des noms couchés sur cette liste sont
ceux de citoyens qui n’ont jamais été détenus ou qui ont été libérés. A
Damas, les arrestations arbitraires continuent pourtant à dévaster des
familles qui n’ont aucun moyen de connaître le sort de leurs proches
disparus.
Lorsqu’ils sont enfin relâchés, le calvaire n’en est pas terminé pour autant.
Beaucoup sont priés de quitter le pays et ceux qui ne peuvent suivre ce
"conseil" s’exposent à la cupidité de fonctionnaires corrompus.
Aïman a été détenu pendant deux semaines en 2011, au début du
soulèvement contre Bashar al Assad. Les autorités reprochaient à ce
quinquagénaire d’avoir organisé des manifestations, ce qu’il nie.
Pendant son séjour dans les locaux d’une aile des services de
renseignement connue sous le nom de Branche Palestine, il dit avoir été
passé à tabac, humilié et soumis à des pressions psychologiques.
Son témoignage corrobore les nombreux cas cités par Human Rights Watch
dans un rapport publié il y a trois mois. Selon l’ONG, qui parle de
plusieurs dizaines de milliers de prisonniers politiques, arrestations
arbitraires et torture font partie du quotidien des services de sécurité
syriens.
A la veille de la conférence de Genève II, Damas a réfuté les
conclusions d’un rapport faisant état d’un recours systématique à la
torture et de la mort de 11 000 détenus en dénonçant une tentative de
sabotage des négociations.
Aïman n’a fait l’objet d’aucune poursuite après sa remise en liberté,
mais il a, lui aussi, été sommé de quitter rapidement le pays. Retenu
par son métier et sa famille, il n’a pu obtempérer.
"Je n’en ai pas fini avec eux. L’autre jour, ils ont appelé pour dire
que je devrais venir les voir et boire un café, mais je ne l’ai pas
fait", dit-il, interrogé à son domicile du centre de la capitale.
Régulièrement, à quelques mois d’intervalle, il reçoit la visite d’un
membre des services de renseignements qu’il finit par soudoyer pour
gagner du temps. "Je crois que j’ai dépensé 3000 dollars en pots-de-vin
depuis ma libération", estime Aïman.
Après 20 mois de détention, Mohamed, 28 ans, a préféré s’exiler au
Liban.
"Je ne voulais pas vivre paralysé par la paranoïa, sans parler de la
peur permanente de ma famille à mon sujet", explique-t-il. Arrêté lui
aussi, son frère aîné est décédé derrière les barreaux.
"Ils m’ont dit que, tant que je serais en Syrie, ils ne pouvaient me
garantir que je ne serais pas arrêté par une autre branche des
renseignements, comme mon frère l’a été", poursuit Mohamed, qui dit
vouloir demander à terme l’asile politique en Europe.
Trop effrayés pour évoquer leur calvaire, les proches des disparus ne
peuvent en outre rien pour eux. Dans la famille de Lulu, son cas n’est
jamais abordé dans les conversations téléphoniques ni avec des inconnus.
Seul l’anonymat permet de rompre le silence. On refuse toutefois
d’évoquer précisément les raisons de son arrestation, peut-être due à
son implication dans des organisations caritatives que Damas soupçonne
souvent de collusion avec l’opposition.
Comme beaucoup d’autres familles dans le même cas, celle de Lulu a été
approchée par toutes sortes de prétendus intermédiaires qui proposent
leur aide pour des tarifs mirobolants.
"Ils disent qu’ils peuvent lui fournir des vêtements et de la nourriture
en plus, et qu’ils peuvent soudoyer l’interrogateur pour qu’il soit
plus commode avec elle. Ils vous vendent la Lune. On paiera ce qu’il
faudra pour qu’elle sorte, mais on ne sait pas à qui faire confiance. On
ne sait pas où s’adresser", déplore son frère.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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