Samedi, les Égyptiens célèbrent le troisième anniversaire de la
révolution qui, durant l’hiver 2011, avait détrôné le président Hosni
Moubarak, au pouvoir depuis 30 ans. Dans sa chute, le vieux raïs avait
entraîné avec lui bon nombre de ses partisans, notamment les membres de
son mouvement politique, le Parti national démocratique (PND), qui ne
lui avait survécu qu’un mois. Orphelins de leur leader, les fidèles de
Moubarak, appelés feloul - restes d’une armée en déroute -, étaient
alors aux abois, et déjà pour eux, on sonnait l’hallali.
"Les feloul sont à l’origine un immense réseau, à l’échelle de
l’Égypte, de grandes familles, de chefs de tribu, de patrons et de
notables locaux, tous fidèles au régime", explique Clément Steuer,
chercheur en sciences politiques à l’Institut oriental de l’Académie des
sciences de Prague. Au moment de la chute du régime, l’objectif était
on ne peut plus simple pour eux : "Tenter de préserver leurs intérêts et
ceux de leurs clients." Trois ans après, ceux dont on ne donnait pas
cher de la peau sont revenus au pouvoir. Le 25 janvier, ils célèbrent la
révolution, moins celle de 2011 que celle survenue durant l’été 2013,
quand des milliers d’Égyptiens, soutenus par l’armée, faisaient tomber
le premier président de la République élu, Mohamed Morsi, aujourd’hui en
procès. Une destitution qui avait sonné pour les feloul comme un
véritable retour aux affaires.
Un rapprochement avec l’armée
"Ces trois dernières années, ils ont petit à petit reconstitué leurs
forces, sans pour autant être en mesure de gouverner seuls. Restait
alors le jeu des alliances. Pour cela, les feloul se sont rapprochés de
plusieurs partis, comme les nassériens (nationalistes), ou des
institutions, telles que la police et surtout de l’armée", rappelle le
chercheur en sciences politiques. Pour les partisans de l’ancien régime,
l’armée représente "la colonne vertébrale de l’État, et sans elle, le
pays n’est rien", analyse Mahmoud Salem du Daily News Egypt. En effet,
les militaires égyptiens ont longtemps incarné le pouvoir. Mohamed Morsi
- qui était ingénieur - fut le seul leader égyptien issu de la société
civile. De plus, l’armée contrôlerait entre 15 et 25 % de l’économie
égyptienne, une véritable aubaine pour les feloul, très impliqués dans
le secteur des affaires. Quant aux dérives autoritaires du général
Abdelfatah al-Sissi, nouvel homme fort de l’Égypte depuis le coup d’État
en juillet 2013, elles ne les dérangent guère, bien au contraire.
Mahmoud Salem le rappelle : "Ce que désirent par-dessus tout les
feloul, c’est un "État fort", incarné entre autres par l’armée. Un État
égyptien fort, c’est "celui qui fait ce qui est nécessaire pour les
intérêts du pays en dépit des contestations internes [les Frères
musulmans aujourd’hui considérés comme organisation terroriste, NDLR]
et/ou des pressions extérieures [pays occidentaux ou le Qatar, allié de
la confrérie, NDLR]". Une opinion largement partagée en Égypte, ce qui
permet aux pro-Moubarak de se targuer du soutien d’une part importante
de la population. Pour preuve : leur candidat, Ahmed Chafik - dernier
Premier ministre du vieux raïs -, s’était aisément hissé au second tour
de l’élection présidentielle de 2012 avant de perdre - avec les honneurs
d’un score de 48,27 % - contre le candidat des Frères musulmans,
Mohamed Morsi.
Une situation économique désastreuse
C’est auprès notamment d’une population très inquiète de la situation
économique que les feloul trouvent un écho certain. Et tout
particulièrement "dans le Nord [le Sud étant encore très influencé par
les tribus et les islamistes, NDLR]", rappelle Clément Steuer. "Les gens
cherchent du travail et tous veulent voir les touristes revenir." Pour
une part importante de la population, les responsables des plaies
économiques de l’Égypte sont tout trouvés : les Frères musulmans.
Partisane de la relance de la croissance et de lutte contre la
corruption, la confrérie s’était avérée bien incapable de transformer un
pays qui sortait de trente années de gestion calamiteuse par un régime
qui confondait libéralisme et népotisme.
C’est donc un vent de nostalgie qui semble souffler sur Égypte. Un
vent largement relayé par les médias privés, jugés proches des feloul.
Certes, personne, "sauf quelques irréductibles", précise Clément Steuer,
n’appelle au retour de l’ancien président (condamné à perpétuité en
première instance et en liberté conditionnelle pour cause de maladie).
Et pourtant, les anciens partisans de Moubarak ont progressivement
repris la place qui, il y a trois ans encore, était la leur, au coeur du
système et de l’économie égyptienne. Un phénix politique qui devra
cependant faire avec les nouvelles aspirations du peuple égyptien.
(25-01-2014 - Par Quentin Raverdy )
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire