Tout avait extrêmement mal commencé à Genève. Jeudi soir, veille de
la rencontre historique entre le régime de Bachar el-Assad et ses
opposants, pour la première fois en trois ans de guerre, l’opposition
recule, et indique qu’elle ne s’assoira pas en face de responsables
syriens. En cause, le refus de ces derniers d’accepter les termes de
Genève I, première conférence internationale sur la Syrie, organisée
sans Damas, qui avait conclu, résolution de l’ONU à l’appui, à la la
formation par "consentement mutuel" d’une autorité de transition ayant
les "pleins pouvoirs exécutifs".
C’est là le noeud gordien de la crise. Pour l’opposition, comme ses
parrains occidentaux et du Golfe, cela implique clairement le départ du
pouvoir de Bachar el-Assad, dont la répression de la révolte populaire
depuis mars 2011 a entraîné le pays dans une guerre civile qui a fait au
moins 130 000 morts et poussé plus de 9 millions de Syriens hors de
chez eux. Ce n’est en rien l’avis du régime syrien, ainsi que de son
allié russe, qui préconisent au contraire la formation d’un gouvernement
élargi à l’opposition, toujours sous le commandement de Bachar
el-Assad, avant l’organisation prochaine d’une élection présidentielle
"libre et démocratique". "Une transition, même si le nom de Bachar
el-Assad n’est pas mentionné, signifie implicitement que celui-ci doit
partir", insiste une source diplomatique occidentale.
Invectives
Des positions diamétralement opposées et donc difficilement
conciliables. Cela s’est vérifié dès le lendemain. L’infatigable Lakhdar
Brahimi, émissaire de l’ONU pour la Syrie, a pourtant tout fait pour
réunir les deux camps dans la même salle, sans pour autant qu’ils
s’adressent la parole. Rien n’y fait. L’opposition refuse. "Nous avons
explicitement demandé un engagement écrit de la délégation du régime
acceptant (les termes de) Genève I", lance à Reuters Haitham al-Maleh,
délégué de l’opposition. "Sinon, il n’y aura pas de négociations
directes".
"L’opposition se berce d’illusions sur le départ de Bachar el-Assad",
rétorque Faysal Meqdad, chef adjoint de la diplomatie syrienne. Le ton
monte. "L’autre partie est peu sérieuse et pas prête aux pourparlers de
paix", renchérit à la télévision syrienne Walid Mouallem, l’incendiaire
ministre syrien des Affaires étrangères et chef de la délégation
syrienne. Celui-ci menace même de quitter les négociations dès le
lendemain si aucune solution n’est trouvée.
Positions irréconciliables
Pointée du doigt, l’opposition n’en démord pas. "C’est la délégation
d’Assad qui n’est pas sérieuse et ne veut pas jouer le jeu", répond
Burhan Ghalioun, grande figure de l’opposition. "Dès le début, elle
lance des mensonges sur la participation de l’opposition. Le régime
essaie d’inventer un prétexte pour quitter la réunion, parce qu’il n’est
pas dans son intérêt de rester. Car nous venons ici, avec la communauté
internationale, pour appliquer une résolution du Conseil de sécurité."
Des positions irréconciliables sur le papier. Pourtant, en fin de
journée, c’est avec une excellente nouvelle que Lakhdar Brahimi revient
de son marathon diplomatique. "Nous allons nous retrouver demain dans
une même salle", annonce-t-il, soulagé, aux journalistes. "Tout ce
processus se fonde sur Genève I. Les deux parties l’ont bien compris et
l’ont accepté. Il y avait certes quelques différences d’interprétation
sur certains articles, mais j’espère la levée de toute ambiguïté."
Tour de passe-passe
Comment l’envoyé de l’ONU a-t-il fait pour réconcilier les deux parties,
chose impensable à peine quelques heures auparavant, vu les
commentaires acerbes échangés par presse interposée ? C’est que ce
diplomate algérien chevronné s’est livré à un tour de passe-passe
diplomatique des plus habiles. Afin de contourner le refus du régime de
signer tout document écrit attestant de la mise en place d’une autorité
de transition, il a en réalité obtenu des deux parties qu’elles se
contentent d’une déclaration orale de l’envoyé de l’ONU prononcée
l’après-midi en conférence de presse. "Si le régime ne le contredisait
pas dans la foulée, alors cela équivalait implicitement à une
acceptation des termes de Genève I", expliquent des diplomates présents à
Genève.
Ceux-ci ne se font pourtant pas d’illusions sur le souhait réel du
régime. "Il est clair que Walid Mouallem (ministre syrien des Affaires
étrangères), ne signera pas demain le départ de Bachar el-Assad. Mais la
chorégraphie mise en place par Lakhdar Brahimi répond aux
revendications de chacun, et lui permet d’évacuer la question de Genève
I". Un exercice diplomatique de haut vol permettant de contourner,
certes provisoirement, cette épineuse question, sans mettre aucune
délégation en porte-à-faux.
L’opposition "pas prête"
Conformément au programme initialement prévu ce vendredi avant le coup
de théâtre de l’opposition, l’envoyé de l’ONU doit donc réunir ce samedi
les deux camps dans une seule et même salle du palais des Nations, pour
une première séquence introductive d’environ 30 minutes, où lui seul
doit prendre la parole. Chaque délégation compte au total quinze
membres : neuf assis au premier rang, six au second, et enfin des
experts. Le camp syrien est conduit par le chef de la diplomatie, Walid
Mouallem, alors que le négociateur en chef de l’opposition, Hadi
al-Bahra, n’a été désigné que vendredi.
"Ils ne sont pas prêts", peste une source bien informée, dans le hall du
palais des Nations. "Jeudi soir, ils ne savaient même pas encore qui
allait être nommé. Et l’heureux élu est un illustre inconnu, ne
représentant rien par rapport aux combattants sur le terrain." Une
version que contredisent des diplomates. "Hadi al-Bahra était un
candidat naturel. C’est un homme calme, sérieux et réfléchi, qui oeuvre
depuis des semaines pour l’organisation de cette conférence". Comme
Ahmad Jarba, chef de la Coalition nationale syrienne (CNS, principal
conglomérat de l’opposition, NDLR), Hadi al-Bahra, un ingénieur de
Damas, est proche de l’Arabie saoudite, principal soutien financier de
la CNS avec le Qatar.
Morts de faim
Après le premier entretien commun de 30 minutes, chaque délégation doit
faire face, seule, à Lakhdar Brahimi. En fin de journée, le diplomate
onusien tentera à nouveau de les réunir dans une même salle. Le
"problème" Genève I ayant été temporairement écarté, les deux
délégations vont plancher sur des mesures humanitaires visant à rétablir
la confiance et répondre rapidement aux urgences de la situation en
Syrie. Jeudi encore, 63 personnes, dont des femmes et des enfants, sont
décédées dans le camp palestinien de Yarmouk (sud de Damas), assiégé par
l’armée syrienne, en raison de la pénurie de nourriture et d’un manque
de soins médicaux. À l’instar du camp palestinien, plusieurs autres
régions sous contrôle rebelle à travers la Syrie demeurent, depuis juin
dernier, sous le siège étouffant de l’armée de Bachar el-Assad.
À en croire les diplomates présents dans les coulisses du palais des
Nations, les deux délégations se seraient mises d’accord pour travailler
jusqu’à dimanche sur un accès humanitaires aux populations syriennes,
tout d’abord dans la ville de Homs, avant de se pencher à nouveau sur
les questions politiques. "Homs est vraiment dans une situation
d’encerclement terrifiante", soulignent-ils. "Elle possède, de surcroît,
une dimension symbolique et politique forte. Si le régime ne fait pas
obstacle, l’aide peut s’acheminer très vite", préviennent-ils.
Espoir
Une première tentative de collaboration historique, qui tranche
singulièrement avec les invectives lancées par les deux camps en début
de semaine. Jeudi soir encore, le chef de la CNS, Ahmad Jerba,
qualifiait le régime de "criminel" qui devait être "enterré". Surtout
que la conclusion d’un premier accord humanitaire impliquerait de facto
un cessez-le-feu de quelques heures entre les belligérants. "Une pause
humanitaire", précisent les diplomates.
"Le plus important est que le processus de discussion soit enclenché",
insistent-ils. "Mais s’ils sont capables de respecter cette pause ne
serait-ce que quelques heures, alors nous pourrions voir plus large à
l’avenir."
(25-01-2014 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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