Ils ne fixent rendez-vous qu’une fois la nuit tombée, donnent le moins
d’informations possibles par téléphone et se méfient de tous, même de
leurs proches : déclarés "terroristes" en Egypte, les Frères musulmans
vivent désormais dans la peur permanente d’être dénoncés ou arrêtés.
Ibrahim, 23 ans, accepte de recevoir l’AFP mais à condition de témoigner
sous pseudonyme. A l’entrée de son immeuble, ce jeune Frère musulman
jette des regards inquiets, il redoute d’être vu avec des journalistes
car, dit-il, son concierge "copine avec la sécurité" qui réprime les
partisans du président islamiste Mohamed Morsi depuis sa destitution par
l’armée en juillet, et particulièrement les membres de sa confrérie
comme Ibrahim.
Avant de commencer à parler, son ami Mohamed l’interrompt : il retire
les cartes SIM de leurs téléphones, "car la sécurité peut nous écouter
même s’ils sont éteints".
S’il prend toutes ces précautions, explique Ibrahim, c’est parce que
"les autorités essayent de créer des divisions dans la société et
appellent à la délation". D’ailleurs, il ne redoute rien tant que ceux
qu’on appelle les "honorables citoyens", ces Egyptiens zélés qui se font
un devoir de rapporter à la police des informations sur leurs voisins.
"S’il n’y avait que les voisins, ça irait, certains se sentent même
menacés par leur propre famille", affirme Amani, une mère de famille
dont la meilleure amie, Mona, a été arrêtée la semaine dernière avec son
mari, laissant trois enfants de 6 à 13 ans.
Pour elle, Mona a été jetée en prison parce qu’elle portait un voile
intégral, et son mari la longue barbe des islamistes. "Il y a désormais
un racisme anti-islam en Egypte", jure Amani qui porte un long voile
bleu, accusant pêle-mêle l’Amérique, les chrétiens et un complot
international.
Avec la révolte de 2011, les Frères musulmans sont sortis de leur
clandestinité pour remporter toutes les élections. Mais trois ans après,
déclarés "terroristes", leurs dirigeants risquent la peine capitale et
posséder leurs écrits et enregistrements peut valoir cinq ans de prison.
Depuis, les médias d’Etat se font chaque jour l’écho de saisies
d’imprimeries clandestines ou de démissions publiques de dirigeants des
Frères.
Dans l’Egypte post-Morsi —où l’implacable répression des autorités a
fait plus de 1.000 morts et des milliers d’arrestations— Chaimaa Awad,
militante islamiste issue d’une famille de Frères musulmans, et ses
camarades ont développé des stratégies.
"Un ami a mis la photo du général Abdel Fattah al-Sissi en fond d’écran
de son téléphone, au cas où un policier essayerait de le lui
confisquer", glisse-t-elle dans un sourire. C’est ce militaire, chef de
l’armée, ministre de la Défense et également vice-Premier ministre, qui a
annoncé le 3 juillet la destitution de M. Morsi, celui-là même qui
l’avait nommé près d’un an plus tôt.
Trois semaines après, il appelait les Egyptiens à descendre dans les
rues manifester pour lui "donner mandat" d’en finir avec les sit-in
islamistes au Caire. "Ma tante a manifesté. En fait, elle lui a donné
mandat pour me tuer car elle savait que j’étais sur la place Rabaa
al-Adawiya", où plus de 600 personnes ont péri en quelques heures d’un
assaut ultra-violent des policiers et des soldats, lâche Chaimaa.
Les ennuis ont commencé dès le 4 juillet pour la famille Awad quand ils
ont été expulsés de l’appartement de fonction du père, cadre des Frères
musulmans employé d’une préfecture du Nord. Depuis, Chaimaa a rejoint Le
Caire et ne retourne que rarement les voir. "Quand j’y vais, je voyage
de nuit et je ne reste pas longtemps car je sais que la sécurité est
déjà passée dans notre nouvelle maison pour me chercher", dit-elle.
"Mon nom est sur la liste des terroristes et j’attends d’être jugée,
donc je ne dis à personne où j’habite". "Il y a encore beaucoup de
choses que j’aimerais faire donc je ne me laisserai pas arrêter
facilement", affirme avec détermination la jeune femme.
Elle a déjà passé plusieurs jours en prison durant l’été. Depuis, elle a
sur son téléphone une application qui lui permet de signaler son
arrestation. "En plus, j’ai donné à différentes personnes mes mots de
passe Twitter, Facebook et Gmail : si je suis prise, ils fermeront
tout", ajoute-t-elle
En attendant, Chaimaa cherche un travail, mais sans succès : "personne
ne veut prendre le risque de m’embaucher, je mettrais tous mes collègues
en danger".
Et désormais, les dénonciations ne touchent plus seulement les
islamistes. Il y a quelques jours, un jeune membre du mouvement du
6-Avril, fer de lance de la révolte de 2011 et critique virulent de
l’armée, a été arrêté dans sa maison familiale au Caire. C’est sa mère
qui avait appelé la police.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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