mercredi 22 janvier 2014

Syrie : Genève II, baroud d’honneur de la communauté internationale (Armin Arefi)

La quiétude de Montreux n’est plus. Connue jusqu’ici pour son festival international de jazz, ses villas pour milliardaires et ses vues imprenables sur le lac Léman, la paisible cité suisse est depuis ce mercredi bouleversée par une rencontre historique. Pour la première fois depuis le début du conflit syrien en mars 2011, régime et opposition s’assoient autour d’une même table. Leur but, trouver une issue politique à cette guerre civile qui ravage le pays depuis trois ans, qui a fait au moins 130 000 morts et poussé des millions de Syriens à quitter leur pays.
La tâche a été des plus ardues. Il aura fallu des mois à la communauté internationale pour convaincre la Coalition nationale syrienne (CNS), principal conglomérat de l’opposition syrienne à l’étranger, de se retrouver dans la même pièce que le régime syrien. "Cela a été longtemps inimaginable et il ne faut pas sous-estimer la difficulté que cette décision a représentée pour l’opposition", souligne un diplomate européen. Une première réunion baptisée Genève I avait déjà été organisée en juin 2012, mais sans Damas. Elle avait abouti à un communiqué appelant à la formation d’un gouvernement de transition ayant les "pleins pouvoirs exécutifs".

Interprétations différentes
Or, cette formule a donné lieu à des interprétations radicalement différentes. Pour l’opposition syrienne et ses parrains occidentaux - France en tête -, Bachar el-Assad n’y a pas sa place. Ce n’est sûrement pas l’avis du régime syrien, qui considère le sort de Bachar el-Assad comme une "ligne rouge" à ne pas franchir. Au contraire, Damas veut profiter du sommet pour évoquer la "lutte contre les terroristes", appellation du régime désignant tant les manifestants pacifiques, l’opposition armée modérée que les djihadistes d’al-Qaida.
C’est dans l’enceinte du luxueux Palace de Montreux, devant son panorama exceptionnel sur les monts alpins enneigés, qu’une quarantaine de délégations étrangères ont pris place sous l’égide de Ban Ki-moon. Après le secrétaire général de l’ONU, qui a évoqué une "opportunité historique" pour prendre "un nouveau départ", chaque chef de diplomatie a tour à tour pris la parole, Russie et États-Unis en tête, pour évoquer durant sept minutes son point de vue sur la crise syrienne. Une rare photo de famille de la communauté internationale réunie sur la Syrie. Une réponse à toutes ces critiques fustigeant son manque d’implication dans cet inextricable dossier.

Face-à-face ultra-tendu
Mais les choses sérieuses vont véritablement débuter vendredi à Genève, au palais des Nations, siège européen de l’ONU. Réunies dans la même salle, les deux délégations syriennes vont pour la première fois se retrouver face à face. Dans chaque camp, huit membres entourant le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, pour la Syrie, et le chef de la CNS Ahmad Djerba, pour l’opposition. Derrière les deux responsables, au second rang, six autre membres, et enfin des experts. Au milieu, Lakhdar Brahimi, l’émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, doit servir d’intermédiaire. Ce ne sera pas chose facile. Dès ce mercredi, le chef de la diplomatie syrienne a donné le la des discussions à venir en qualifiant ses futurs interlocuteurs de "traîtres".
Le contexte est cette fois radicalement différent de Genève I. Si l’opposition syrienne, par le biais des victoires de l’Armée syrienne libre (ASL), avait le vent en poupe en juin 2012, certaines chancelleries occidentales pariant même à l’époque sur la chute rapide de Bachar el-Assad, elle se retrouve aujourd’hui en position d’extrême faiblesse. En perte de vitesse et d’autorité sur le terrain, la CNS observe de loin la disparition progressive de l’ASL, au profit de brigades islamistes plus ou moins fondamentalistes. Celles-ci sont désormais en guerre ouverte contre les djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui sèment la loi et la terreur dans tous les territoires qu’ils conquièrent.

Opposition mourante
Le régime syrien ne peut que se frotter les mains et reprendre du terrain. "Le régime survole des zones clairement identifiées comme djihadistes sans jamais les bombarder", souligne le diplomate européen. "Il vise uniquement l’opposition modérée". Au niveau politique, la Coalition nationale syrienne est en voie de désintégration. Elle vient d’enregistrer le départ de sa principale formation, le Conseil national syrien, composé en majorité de Frères musulmans, qui était opposé à toute participation à Genève II.
C’est donc une opposition mourante et ayant tout à perdre qui se présente face à un régime syrien qui se sait en position de force. "Personne au monde n’a le droit de conférer ou de retirer la légitimité à un président, à une constitution ou à une loi, sauf les Syriens eux-mêmes", a ainsi insisté mercredi le chef de la diplomatie syrienne. Preuve que Damas se sent intouchable, cet échange surréaliste mercredi entre Walid Mouallem et Ban Ki-moon. Interrompu par le secrétaire général de l’ONU qui l’exhortait à achever son discours déjà trop long, le ministre syrien l’a tout simplement renvoyé dans ses cordes. "Vous vivez à New York et je vis en Syrie. Je vais donc poursuivre vingt minutes supplémentaires", a-t-il lancé, devant un auditoire médusé.

(22-01-2014 - Armin Arefi)

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