dimanche 22 février 2015

Israël/Palestine : Ayn Hod, Lifta et Haïfa (Fadwa Nassar)

Vue de Lifta (printemps 2009) - Photo : Umar Abou El-Bararri

Trois lieux en Palestine occupée. Qu’est-ce qui relie le village Ayn Hod situé dans le mont Karmel, Haïfa la ville portuaire et Lifta, le village situé à l’entrée ouest de la ville d’al-Qods ? Outre le fait que ce sont des villes et villages palestiniens occupés depuis 1948 par des colons venus d’ailleurs, d’Europe principalement, pour instaurer un Etat de Juifs et pour les Juifs sur la terre arabo-musulmane de la Palestine, avec le soutien actif de l’impérialisme.

Ce qui relie ces trois magnifiques lieux de la Palestine, c’est qu’ils témoignent de la manière dont les colons occidentaux, notamment européens dans le cas de la Palestine, conçoivent les territoires d’autrui qu’ils se sont appropriés : des espaces dont ils trafiquent l’histoire et juste un cadre servant à exprimer leur égo, souvent artistique, et dont la judaïsation totale ou partielle (ou nettoyage ethnico- religieux) s’accompagne de mystification : le mythe de la « vie commune » à Haïfa, le mythe d’un « art sioniste non entâché de sang » à Ayn Hod, et le mythe d’un passé biblique à Lifta, bien que ce mythe soit généralisé en Palestine occupée.

Ayn Hod ne fut pas détruit, comme les centaines de villages palestiniens, en 1948. Il fut préservé, sans sa population, pour devenir le cadre pittoresque d’une colonie d’artistes sionistes. Un village où vivait une population composée de familles entières travaillant la terre et pratiquant divers métiers, fut transformé par des colons en colonie pour artistes. Ce qui les intéressait, en premier lieu, c’est le site et les maisons construites en pierre. Les artistes sionistes ont su et savent encore  que ces maisons appartiennent à des Palestiniens, expulsés soit vers al-Nasra dans al-Jalil, soit vers le camp de Jénine, en Cisjordanie ou vers Amman, en Jordanie. Le clan Abul-Hayga, au fil des générations depuis la Nakba en 1948, n’a jamais abandonné l’idée de retourner vivre au village et de récupérer ses biens, même si les autorités sionistes ont été obligées d’accepter que certaines familles du clan habitent à proximité, sans que l’électricité leur soit fournie et dans un espace entièrement clos. Mais le clan hante les lieux, ses fils se promènent tout autour, d’autres y entrent, invités par les colons, qui proposent parfois d’acheter la maison. Mais les fils Abul Hayga refusent : « on ne vend pas sa maison » avait déclaré le sheikh Abu Hilmi, décédé en 1982. Ayn Hod, le village palestinien transformé en colonie d’artistes, restera hanté jusqu’au retour de sa population expulsée.

La ville arabo-palestinienne de Haïfa ne fut pas détruite en 1948, les colons sionistes y étaient parvenus, avant la Nakba, à s’y infiltrer et à prendre possession de plusieurs quartiers, notamment situés en hauteur. Mais les Palestiniens de Haïfa sont majoritairement expulsés du pays, et leurs biens confisqués. Quantités de belles maisons sont utilisées par l’administration coloniale, d’autres sont laissées à l’abandon, avec interdiction formelle de les rénover ou réparer. Plusieurs quartiers palestiniens périclitent. Les juifs sionistes, toutes classes confondues, investissent les lieux et judaïsent l’espace. Cependant, les Palestiniens repeuplent la ville, certains déplacés de leurs villages détruits, au temps du gouvernement militaire (1952-1966), d’autres plus tard, à la recherche de travail et de logement. L’establishment colonial s’inquiète et panique, bien qu’il soit réputé libéral et même de gauche. Un plan de judaïsation de la ville palestinienne est mis en place, sous couvert de « vie commune » et d’animations artistiques. Un des quartiers les plus visés est celui de Hallissa, qui vit à présent le cauchemar de la judaïsation. Les maisons des Palestiniens expulsés vers le Liban ou la Syrie, ayant été déclarés « biens des absents », sont vendues par l’administration coloniale au plus offrant, c’est-à-dire aux Juifs fortunés, les Palestiniens du pays ayant rarement pu acheter à nouveau des biens qui leur appartiennent. Depuis une dizaine d’années, le quartier Hallissa se transforme en quartier d’accueil pour les colons, en quête de « couleur locale », c’est-à-dire palestinienne, notamment au cours d’animations « culturelles et artistiques », décidées par la mairie sioniste, soit disant pour promouvoir une « vie commune » entre colons juifs et palestiniens. Reste à remarquer que la « vie commune » façon sioniste ne consiste pas à transformer les quartiers devenus juifs en « espace commun » mais uniquement les quartiers palestiniens, où l’argent et ceux qui le possèdent parviennent à judaïser le lieu.  La « vie commune » est à sens unique, pour l’administration coloniale, elle consiste à éventrer le reste de l’espace palestinien, à l’aide d’artistes sionistes (et malheureusement quelques artistes palestiniens qui, pensant servir la présence palestinienne, cautionnent cette forme de judaïsation du lieu).

Lifta, le village palestinien à l’entrée occidentale de la ville d’al-Quds, n’a pas été détruit, bien que sa population ait été entièrement expulsée. Elle vit à présent en Cisjordanie, ou en Jordanie, ou même en exil, dans les camps de réfugiés. Construites en pente, ses maisons en pierre, pillées et transformées en lieux de débauche par les colons, sont l’objet, depuis plus de dix ans, de projets sionistes, tous voulant mettre à profit la beauté du site. Les artistes sionistes réclament leur part, les promoteurs immobiliers aussi, mais se sont greffées aussi des prétentions bibliques, l’entité coloniale ayant « trouvé » une source qui appartiendrait au patrimoine biblique. Lifta, le village palestinien dont les maisons et le paysage ont été préservés de la destruction, continue à lutter. Sa population, loin de baisser les bras, essaie de s’organiser et revendique son retour.

Mais l’entité coloniale a récemment proposé le site de Lifta pour faire partie du « patrimoine juif sioniste » à l’UNESCO. Quantité de villages et sites palestiniens ont déjà été mutilés par l’occupant et attendent la légalisation de la falsification de leur histoire, que ce soit à Yafa, Akka, ou à al-Khalil, Bethlehem et al-Quds. La communauté internationale, ou ce qui est considéré comme tel, légalisera-t-elle le crime de la mutilation de l’histoire après avoir légalisé le crime du vol de la Palestine, en 1947 ?


Fadwa Nassar
Jeudi, 19 février 2015

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