vendredi 13 février 2015

Egypte : Avec ses Rafale, la France enterre la révolution égyptienne (Armin Arefi)

La France a sans doute réalisé le plus grand coup commercial de l'Égypte post-révolutionnaire en annonçant la conclusion d'un contrat de 24 avions de chasse Rafale et d'une frégate Fremm avec l'Égypte du président Abdel Fattah al-Sissi. Mais, en signant lundi cet accord d'un montant de 5,2 milliards d'euros, Paris va définitivement consacrer son coup d'État contre l'ex-président Mohamed Morsi réalisé le 3 juillet 2013, au lendemain de vastes manifestations populaires réclamant son départ. Et apporter son blanc seing à la sanglante répression de toute opposition menée par le nouvel homme fort de l'Égypte, notamment les Frères musulmans : en un an et demi, 1 400 partisans de Morsi ont été tués, au moins 15 000 emprisonnés et 1 500 condamnés à mort, un record mondial.
Se félicitant de la nouvelle, le président François Hollande a précisé jeudi soir dans un communiqué que l'État français s'était "pleinement engagé dans cette négociation" et, "par son implication", "a(vait) permis les conclusions de ce contrat". "Ces équipements permettront à l'Égypte d'accroître sa sécurité et de jouer tout son rôle au service de la stabilité régionale", a précisé le chef d'État. Car les priorités de la France ont désormais changé dans la région.
Autrefois soutien, bien que timide, des révolutionnaires égyptiens, Paris possède désormais en la personne du président Abdel Fattah al-Sissi l'un des rares partenaires stables et puissants pour contrer l'essor du groupe État islamique, aujourd'hui présent dans le Sinaï égyptien et jusque dans l'est de la Libye. Et a emboîté le pas aux États-Unis, qui ont décidé dès l'année dernière de reprendre leurs livraisons d'armes au Caire, suspendues à la suite de la destitution de l'ex-président Morsi. Conscient de cette nouvelle donne géopolitique, le Premier ministre égyptien Ibrahim Mahlab n'a pas boudé son plaisir en annonçant cette semaine à Dubaï que son pays poursuivait "son devoir d'éradiquer les racines du terrorisme dans le monde arabe".
Problème, le mot "terrorisme" revêt une définition plutôt large chez les autorités égyptiennes. Il englobe aussi bien les djihadistes du groupe Sinaï, Ansar Beït al-Maqdess, auteur de nombreux attentats contre les forces de sécurité égyptiennes, que les Frères musulmans, organisation politique islamo-nationaliste vainqueur de toutes les premières élections démocratiques en Égypte, avant de s'aliéner la majorité de la population. Cette "paranoïa sécuritaire" vise désormais les forces libérales laïques. Fer de lance de la révolution égyptienne de 2011, le Mouvement de la jeunesse du 6 avril pourrait bientôt être classé sur la liste des "organisations terroristes". Deux de ses fondateurs, Ahmed Maher et Mohamed Adel, demeurent emprisonnés depuis plus d'un an pour avoir appelé à manifester. Car, au nom de la lutte contre le terrorisme, les autorités du Caire ont instauré en novembre 2013 une nouvelle loi interdisant tout rassemblement - ou manifestation - non autorisé préalablement par le ministère de l'Intérieur.
Et les réfractaires doivent payer le prix fort. Le 24 janvier, Shaima al-Sabagh, 34 ans, a été abattue à la chevrotine alors qu'elle participait à une marche pacifique rendant hommage aux martyrs de la place Tahrir, théâtre de la révolution égyptienne. Les images de la militante socialiste sombrant, le visage ensanglanté, dans les bras de son ami ont fait le tour du monde, symbole d'une révolution confisquée. Nombre de témoins, mais aussi les organisations de défense des droits de l'homme, accusent un policier de l'avoir tuée, ce que dément le gouvernement, qui a ordonné une enquête.
Entre le 23 et le 26 janvier, à l'occasion des manifestations célébrant les quatre ans de la révolution, "les autorités égyptiennes ont tenté de dissimuler la mort d'au moins 27 personnes", affirme dans un communiqué Amnesty International. "Cinq cents manifestants, parmi lesquels deux personnes handicapées et des enfants, ont été incarcérés dans des centres de détention non officiels à travers le pays." Cette répression "sans précédent depuis trente ans" devrait, selon l'ONG, "conduire la France à opposer un veto à d'éventuelles ventes d'armement à l'Égypte".
Mais cette demande, déjà formulée par Amnesty par le passé, est de nouveau restée lettre morte. Lors de la visite à Paris d'Abdel Fattah al-Sissi en novembre dernier, François Hollande n'avait pas eu le moindre mot pour la spectaculaire dégradation des droits de l'homme en Égypte, certainement dans l'optique du juteux contrat à venir. Une stratégie qui s'avère payante aujourd'hui, consacrant enfin ce fleuron de l'industrie aéronautique française dans le monde. Une excellente nouvelle pour l'économie française, moins pour les opposants égyptiens.

(13-02-2015 - Armin Arefi)

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