Fatma Zohra, une "mourchidate", guide
spirituelle de l'islam nommée par le gouvernement algérien, lit le Coran
à la mosquée d'Ennida à Alger, le 22 février 2015 - Afp
"Tuer est un péché capital alors comment des gens peuvent-ils tuer des innocents au nom de l'islam ?", lance Fatma Zohra, l'une des quelque 300 femmes imams à l'avant-garde de la lutte contre la radicalisation en Algérie.
Elles effectuent le même travail qu'un imam, à l'exception de la conduite de la prière, réservée à l'homme dans la religion musulmane.
Discrètes, ces "mourchidates" travaillent depuis des années à la "déradicalisation" des jeunes tombés dans les filets de l'extrémisme religieux, et à prévenir ce fléau.
Dans les mosquées, les prisons, les maisons de jeunes, les hôpitaux ou lors de débats dans des écoles, leur maître-mot est de faire connaître l'islam qui prône la tolérance et de corriger les incompréhensions qui poussent à toutes les dérives.
Fatma Zohra se rappelle avec amertume la décennie noire des années 1990, durant laquelle des Algériens tuaient d'autres Algériens "au nom de l'islam" et qui a fait au moins 200.000 morts.
Selon cette quadragénaire élégante mais sobre, coiffée d'un voile mauve, les horreurs l'ont "motivée à mieux connaitre la religion pour l'enseigner après".
C'est pendant la guerre civile, déclenchée par l'interruption du processus électoral qui promettait une victoire aux islamistes du Front islamique du salut, que les autorités ont entamé un processus pour contrer l'extrémisme.
La première femme imam a été recrutée en 1993. Nommées par le ministère des Affaires religieuses, elles ont toutes au minimum une licence en sciences islamiques et connaissent le Coran sur le bout des doigts.
Tour à tour "psychologue et sociologue", Fatma Zohra écoute depuis 17 ans les femmes, en groupe ou en aparté, dans son +confessionnal+, faisant le grand écart entre préceptes religieux, problèmes sociaux et conflits conjugaux.
"Je les écoute, les conseille et les oriente vers des spécialistes quand cela ne relève pas du volet religieux", confie-t-elle dans une mosquée d'Alger.
"Nous venons pour apprendre et comprendre le Coran mais aussi pour poser des questions sur des problèmes personnels", lance Saadia, une septuagénaire.
"L'imam c'est bien, mais c'est tellement plus simple de se confier à une femme", renchérit Aïcha, la soixantaine.
Au début, seules les femmes au foyer s'adressaient aux mourchidates, mais depuis quelques années des médecins, ingénieurs et autres universitaires se pressent pour mieux connaître leur religion.
Professeur de mathématiques dans un lycée de la banlieue d'Alger, Meriem a ainsi commencé à "fréquenter" la mosquée il y a quelques mois afin d'apprendre le "véritable islam" pour contrer les "faux prophètes" qui veulent endoctriner les jeunes.
Samia, femme imam depuis quinze ans et qui préfère ne pas donner son vrai nom, "travaille dans une région où des mères souffrent de voir leur garçon et parfois leur fille se radicaliser".
"Elles se confient à moi pour qu'ensemble et avec d'autres personnes nous entamions un processus de déradicalisation", explique-telle. "Même si très peu d'Algériens ont rejoint l'organisation jihadiste Etat islamique, la vigilance est de mise car la radicalisation prend d'autres formes".
"Il faut particulièrement surveiller les adolescents", prévient-elle. "Télévisions par satellite et internet permettent à de pseudo imams de se faire passer pour des guides religieux alors qu'ils ne connaissent pas les enseignements du Coran".
"Un jour, raconte Samia, une maman est venue me voir car sa fille de 17 ans s'est mise à porter le voile intégral du jour au lendemain et à leur interdire d'aller aux mariages, de regarder la télévision. Elle s'était faite endoctriner (...) Le travail d'accompagnement a duré plusieurs mois. Au final, elle a repris ses études et sa vie en mains".
Et quand c'est auprès d'un jeune homme qu'il faut intervenir, l'imam s'implique alors dans l'"opération de sauvetage".
Contribuer à extirper des jeunes de l'extrémisme est source de fierté pour nombre de mourchidates.
"Sauver la vie d'un jeune et la vie des personnes qu'il aurait pu affecter (en sombrant dans la radicalisation) est la plus grande des récompenses à notre travail", assure ainsi Safia, qui exerce à l'est d'Alger.