Son portrait s’étale en grand, encadré par d’extravagantes volutes
dorées : à quelques pas de l’emblématique place Tahrir, comme dans toute
l’Egypte et avant même le lancement officiel de la campagne
présidentielle, Abdel Fattah al-Sissi est partout.
A la télévision, les talk-shows ne parlent que de la "campagne pas
classique" promise par celui qui, alors chef de la toute-puissante
armée, a destitué en juillet le premier président élu démocratiquement,
l’islamiste Mohamed Morsi.
Depuis, les islamistes sont implacablement réprimés —1.400 morts, plus
de 15.000 arrestations et des centaines de condamnations à mort
expéditives— et cette fermeté a valu à M. Sissi une popularité sans
égale auprès de l’opinion publique, largement hostile aux pro-Morsi.
Il est, de loin, le grand favori du scrutin des 26 et 27 mai. A la
télévision, des invitées ont lancé des youyous pour célébrer sa
candidature. D’autres ont déclamé des poèmes : "Ô preux chevalier ! Nous
nous en remettons à toi".
Les artistes y sont aussi allés de leur couplet : dans un clip mêlant
manifestations pro-Sissi et entraînements militaires, un chanteur
entonne "Le peuple tout entier t’aime (...) toutes nos vies, nous te les
sacrifions", avant un refrain assurant dans un anglais approximatif
"Sissi, tous les Egyptiens t’aiment".
"Un million de merci ô Sissi ! Tu as fait renaître l’espoir en nous !", chante un autre.
Pour être candidat, M. Sissi a dû quitter le gouvernement et l’armée, où
il venait d’être nommé maréchal. Il devait aussi réunir les signatures
de 25.000 électeurs. Selon la presse, il en a rassemblé dix fois plus en
quelques jours.
"Les gens continuent à venir, on ne va pas gâcher leur joie et refuser
leurs signatures", explique Khaled El-Chafei, un comptable cairote qui a
dédié son bureau à la campagne de M. Sissi.
Des dizaines d’Egyptiens —en majorité des femmes et des personnes âgées—
se pressent chaque jour dans son officine pour apporter leur soutien à
celui qui, selon lui, "sortira de la terreur" un pays en proie aux
violences.
Alors que la campagne officielle doit s’ouvrir le 3 mai, la pré-campagne
se joue aussi sur les réseaux sociaux, où les premières images du
candidat arpentant une rue du Caire à vélo et en survêtement ont donné
lieu à toutes les interprétations : ses partisans y voient un message
écologiste, ses opposants dénoncent un vélo au prix indécent ou une
vulgaire contrefaçon.
Mais ce qui a enflammé les réseaux sociaux, c’est un "hashtag" lancé par
les anti-Sissi sur Twitter : "Votez pour le maquereau". Des dizaines de
milliers d’utilisateurs à travers le monde arabe l’ont repris et le
mot-clé est désormais décliné en graffitis mais aussi en poèmes.
Détournant ironiquement un discours dans lequel M. Sissi affirmait aux
Egyptiens qu’ils étaient "la lueur de ses yeux", un jeune partisan de
M. Morsi appelle ainsi sur Twitter à "Voter pour le maquereau pour que,
quand l’électricité est coupée, il nous éclaire avec la lueur de ses
yeux".
Mais se moquer de M. Sissi peut coûter cher. Un habitant du sud en a
fait l’expérience : il vient d’être condamné à six mois de prison pour
avoir baladé son âne sur lequel il avait écrit "Sissi".
N’en déplaise aux opposants, la marque Sissi, devenue un commerce
juteux, se décline sous toutes les formes : jeux vidéos, chocolats,
posters le mettant en scène avec des lions, des aigles ou l’ancien
leader charismatique Gamal Abdel Nasser.
Pour une livre égyptienne —dix centimes d’euros—, on peut même acheter
une reproduction de sa carte d’identité. A la ligne "profession", il est
écrit "sauveur de la patrie".
Des faux billets de banque flanqués d’un "Sissi président" jaune criard
montrent aussi l’ancien maréchal regardant l’horizon, le coude posé,
grâce à un montage photo, sur l’épaule d’un sphinx.
"Tout ce qui touche à Sissi part très vite", affirme Medhat Mohamed,
vendeur de 40 ans qui écoule "100 posters par jour" sur la place Tahrir.
Et dans les affaires, pas d’états d’âme : à côté du porte-clé Sissi,
Medhat en propose un au portrait de Hosni Moubarak, le président chassé
du pouvoir en 2011 par une révolte lancée sur Tahrir.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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