jeudi 17 avril 2014

Algérie : Yacine Zaïd, l’homme qui fait trembler les multinationales

Ses traits tirés et ses yeux creusés laissent sans peine imaginer les âpres luttes qu’il a menées. Pourtant, à 42 ans, Yacine Zaïd n’a que sept années de syndicalisme derrière lui. "J’étais travailleur permanent et ne manquais de rien", se souvient cet ancien responsable de la sécurité d’une multinationale occidentale à Hassi Messaoud, dans le sud de l’Algérie, qui regroupe l’essentiel des hydrocarbures du pays (40 % du PIB algérien). Majoritairement exploités par les entreprises étrangères, ces champs pétrolifères n’emploient que 3 % d’employés algériens, selon le FMI.
Mais Yacine Zaïd déchante rapidement en découvrant l’envers du décor. "Le mépris des expatriés est énorme envers les travailleurs algériens", insiste-t-il. "Traitement des salariés, logements, on assiste sur place à une sorte d’esclavagisme moderne. D’autant plus que les Occidentaux savent pertinemment que des milliers de chômeurs n’attendent que de prendre ta place." Décidé malgré tout à rompre le silence, l’employé de sécurité rejoint l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), seul syndicat autorisé par le pouvoir.

Pouvoir des généraux
Mais le syndicaliste comprend vite l’imposture que représente cet organe officiel de l’État. Derrière chaque multinationale du sud se cachent de "gros bonnets", autrement dit des généraux de l’armée, qui assurent la sous-traitance des multinationales. Yacine Zaïd n’en démord pas et participe à la création de la SNATEA, un syndicat autonome de travailleurs dans son entreprise. En parallèle, il dénonce les pratiques de sa société sur un blog qu’il ouvre en 2007.
Grave erreur. Conscient du caractère explosif de ses accusations, l’employeur suspend immédiatement Yacine Zaïd, qu’il poursuit, officiellement, pour avoir menacé un responsable, ce qu’il nie farouchement. Il sera finalement condamné à payer... 100 euros d’amende, ainsi qu’à de la prison avec sursis. Qu’importe, Yacine Zaïd n’entend pas en rester là. "À l’époque, personne n’osait parler des conditions de travail dans le sud", se souvient-il aujourd’hui. Le militant interpelle la presse et toutes les organisations des droits de l’homme. Seules la CFDT française (branche hôtel et tourisme) et la SNAPAP algérienne (Syndicat national autonome du personnel de l’administration publique) répondent à l’appel.

Porte-parole malgré lui
À l’occasion du 1er mai 2009, Rachid Malaoui, président de la SNAPAP, lui offre une tribune inespérée pour évoquer son histoire. À son écoute, le public est stupéfait. "Les gens avaient l’impression d’entendre parler d’un autre pays", se rappelle-t-il. "Personne n’en croyait ses yeux." Malgré lui, le syndicaliste devient porte-parole des travailleurs réprimés du Sud, dont le nombre croît de façon exponentielle. À chaque fois qu’un employé rencontre des difficultés avec son employeur occidental, c’est Yacine Zaïd que l’on appelle. Entre temps, l’homme a été promu chef du bureau de la Ligue des droits de l’homme à Laghouat (sud), sa ville d’origine.
"À l’époque, les travailleurs pensaient que les sociétés occidentales étaient soumises aux lois algériennes, et qu’il était donc illégal de créer un syndicat", souligne-t-il. Informés sur leurs vrais droits, nombre de travailleurs emboîtent le pas au syndicaliste. Fin 2009, Meriem Mahdi, une employée-cadre de la société britannique British Gaz, entame une grève de la faim après avoir fait part de harcèlement dans son entreprise. "Je me suis rendu compte que beaucoup de camarades, qui avaient créé leur syndicat autonome, étaient dans une situation bien pire que la mienne", affirme-t-il. "Pourtant, à l’intérieur de l’Algérie, les correspondants de presse n’avaient de cesse de décrire les travailleurs mécontents comme des régionalistes et des voyous."

Journaliste-citoyen
Ainsi, son véritable coup de maître, Yacine Zaïd le réalise caméra au poing. Fort de ses contacts sur le terrain et de l’important réseau médiatique qu’il a su tisser, Yacine Zaïd part filmer la détresse quotidienne des travailleurs du Sud, qui ne fait qu’augmenter. Si le taux officiel de chômage est aujourd’hui de 9 %, les véritables chiffres tourneraient autour de 30 %. "De nombreuses émeutes éclatent quotidiennement dans le Sud, car les emplois créés par les multinationales ne profitent pas aux Algériens", souligne le politologue Rachid Tlemçani. "Cette situation désespérante les conduit à tenter l’émigration clandestine, ou l’immolation, qui est un phénomène courant en Algérie."
Sur YouTube, chacune des vidéos diffusées par le journaliste-citoyen choque et crée le buzz. La presse algérienne s’en empare enfin. "On a simplement donné la possibilité aux médias d’entendre la voix de ces travailleurs", explique-t-il aujourd’hui. Surtout que la contestation s’étend. Sit-in, grèves de la faim ou manifestations, les mouvements du Sud s’organisent et atteignent même Alger. "Pour eux, il est juste anormal que les habitants d’une région aussi riche soient ainsi marginalisés."

Victoire judiciaire
Désormais représentant pour la région Afrique du Nord-Moyen-Orient de l’Union internationale des travailleurs alimentaires (UITA), Yacine Zaïd dépose une plainte à l’OCDE contre son ancien employeur et obtient gain de cause : des indemnisations, ainsi que la promesse par l’entreprise d’autoriser la création sur son site algérien d’un syndicat indépendant. Pas de quoi cependant rassasier notre militant.
En février 2011, en plein Printemps arabe, il oeuvre à la création du Comité national de défense des droits des chômeurs (CNDDC). "On a aidé à structurer ces mouvements, mais les vrais héros, ce sont ces jeunes chômeurs qui ont réalisé un travail extraordinaire à eux tout seuls." Mais le succès grandissant du mouvement lui vaut une campagne de dénigrement de la part du pouvoir algérien.

Recruteur du Mossad
Yacine Zaïd se voit bientôt accusé d’être le recruteur en chef du Mossad (services secrets israéliens) dans le sud du pays, puis d’"agression de policier". Une fiche signalétique est bientôt émise à son nom. "J’ai finalement écopé de 6 mois de prison avec sursis pour un délit que je n’ai pas commis", souligne-t-il. "Or, soit la justice aurait dû m’innocenter par manque de preuve, soit me condamner à 5 ans de prison."
Son incarcération de huit jours dans le centre pénitentiaire de Ouargla (sud) se révèle pour lui "extraordinaire". "Tous les détenus savaient que je travaillais pour les droits de l’homme, ainsi ils sont venus à ma rencontre pour témoigner des tortures qu’ils ont subies. Je n’avais jamais entendu de telles atrocités." Aujourd’hui partisan du boycott du scrutin présidentiel du 17 avril, Yacine Zaïd ne mâche pas ses mots en ironisant sur la "candidature de la momie qui n’a pas parlé depuis deux ans", autrement dit Abdelaziz Bouteflika.
S’il ne se fait aucune illusion quant à l’issue de l’élection, il estime toutefois que la candidature du président sortant est à même de concentrer le mécontentement social sur une base davantage politique. Le dernier chantier de Yacine Zaïd ? Fédérer tous les mouvements de la société civile pour le changement. "Il faut à tout prix nous organiser pour éviter que la contestation ne dégénère", insiste-t-il, avant de prévenir : "le pays est en ébullition".

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