jeudi 17 avril 2014

Algérie : sortir du tout-pétrole ou mourir (Armin Arefi)

La publication de son livre a fait grand bruit en Algérie et lui a même valu d’être reçu par le Premier ministre en personne. Dans Algérie, la décennie de la dernière chance (éditions Chihab), l’économiste algérien Abdelhak Lamiri explique pourquoi l’Algérie est en proie à une grave crise socio-économique malgré ses immenses réserves pétrolières (98 % de ses exportations, 70 % de ses recettes fiscales et 40 % de son PIB).
Le chercheur, également président de l’Institut international de management (Insim), en est convaincu : la prochaine décennie s’annonce capitale pour le pays. Il explique pourquoi la diminution des réserves de pétrole impose à l’Algérie de réformer en profondeur ses institutions pour enfin émerger dans le cercle des pays industrialisés, sous peine de sombrer définitivement dans la déchéance.

En dépit du chômage galopant, l’économie a été relativement absente de la campagne présidentielle.
Il est vrai que les problèmes de fond ont été évacués de la campagne. En dépit des promesses, aucun candidat ne s’est attaqué aux questions de fond. Personne n’a dit comment il comptait réformer le système éducatif et universitaire du pays. Aucun candidat n’a expliqué comment il allait moderniser le management des administrations publiques et privées. Or, sans le règlement de ces questions, n’importe quel programme est voué à l’échec.

Pourtant le pouvoir se vante d’avoir créé des universités gratuites dans chaque wilaya (préfecture) du pays.
En Algérie, le système universitaire est populiste et fonctionne toujours selon le système des années 1960. Les enseignants sont sous-payés et sous-estimés, ce qui les pousse à posséder un autre métier en parallèle, alors qu’ils devraient se consacrer à la recherche. D’autre part, l’autre problème se situe dans l’enseignement même. En Algérie, seulement 5 % des études sont consacrées aux matières techniques, telles que la chimie, l’ingénierie ou la mécanique. Les 95 % restants concernent les sciences humaines uniquement, matière qui ne possède pas de débouchés. Il existe donc une grande inadéquation entre les formations et les besoins réels.

Mais pourquoi les étudiants s’orientent-ils vers des matières sans débouchés ?
L’orientation des étudiants se fait selon un système informatisé qui prend en compte les places, les universités et les professeurs disponibles, pas l’évolution économique du pays. Or, au cours des quatorze dernières années, 500 milliards de dollars ont été dépensés par l’État sur des projets d’infrastructures routières et de barrage. Pourtant, aucune université ne forme à la gestion de projet. Ainsi, ce sont les entreprises étrangères qui profitent pour s’implanter (avec leurs propres employés, NDLR).

Pourquoi une telle erreur ?
Il nous a manqué de la vision, de la stratégie, dans les qualifications humaines et la modernisation managériale afin que soient correctement gérés les administrations, les hôpitaux et les universités. Le problème réside également dans le petit appareil de production algérien, qui ne compte que 600 000 entreprises. Et 95 % de cette production concernent de très petites entreprises (TPE). Or, pour bien fonctionner, l’Algérie devrait posséder aujourd’hui 1,5 million d’entreprises. D’où le véritable "boom" de l’importation dans le pays, qui est passée de 10 milliards de dollars en 2000 à 55 milliards de dollars aujourd’hui. On n’a jamais vu un pays au monde dont les importations ont augmenté de 35 % au cours des dix dernières années.

Pourtant, la relance économique n’était-elle pas le maître mot du président Bouteflika lors de son premier mandat en 1999 ?
Prenez l’exemple de l’Inde, qui avait les pires infrastructures au monde dans les années 1980. À partir des années 1990, le pays a lancé un plan de relance économique. Pour ce faire, il a choisi de qualifier ses élites en développant les meilleures universités au monde dans des domaines précis : l’informatique, le management, l’électronique et surtout l’ingénierie. L’argent, il l’a d’abord injecté dans les cerveaux. Résultat, l’Inde est aujourd’hui un pays émergent qui a considérablement amélioré ses infrastructures et qui exporte ses services dans le monde entier pour des dizaines de milliards de dollars de contrat. La Chine a fait pareil au début des années 1980. En ce qui nous concerne, au lieu d’injecter de l’argent dans les cerveaux, on a fait l’exact inverse : on a noyé de l’argent dans des entreprises et institutions administratives non qualifiées, ce qui a entraîné une dilapidation énorme des ressources.

Vous voulez parler de la corruption ?
Je veux parler des malfaçons, des travaux non achevés, des surcoûts mais aussi des pots-de-vin. Rendez-vous compte : pour 500 milliards de dollars dépensés, on n’a créé que 150 milliards à 200 milliards de dollars d’infrastructures. Le reste a été perdu.

Qui pointez-vous du doigt ?
Ce n’est pas uniquement à cause de l’État, mais de toutes les élites intellectuelles algériennes. Nous sommes tous responsables. Lorsque le président Bouteflika a annoncé son plan de relance, tout le monde a applaudi, sauf moi. Aujourd’hui, tout le monde critique son bilan.

Que proposez-vous pour sortir de l’impasse ?
Il faut tout d’abord impérativement réorganiser l’État pour obtenir une meilleure coordination, ainsi qu’une visibilité à long terme. Pour ce faire, je propose de créer une institution regroupant les meilleurs experts, que l’on pourrait appeler l’Institut algérien de développement. Après un dialogue avec la société et les politiques, cet organe pourrait développer une vision à long terme de type "Algérie, pays développé à l’horizon 2050" et "pays émergent d’ici 2025".
Deuxième chantier, il est indispensable de moderniser les cerveaux algériens. Rendez-vous compte, nous sommes en retard dans tous les domaines ! Il nous faut recycler les travailleurs déjà opérationnels et mieux éduquer les nouvelles générations. Troisième nécessité, il nous faut développer le management des institutions et des entreprises de sorte qu’elles soient capables de gérer les ressources qu’on leur donne.
Quatrième volet, il faut aller vers davantage de décentralisation, avec des plans de développement locaux et régionaux. Pas uniquement nationaux, gérés par une administration inefficace. Enfin, il faut diversifier notre économie : grâce aux faibles coûts de notre énergie ainsi que de la main-d’oeuvre bon marché, nous sommes en mesure de créer des secteurs d’activité où nous serions très avantagés, comme la production de plastique. En outre, nous avons une centaine de niches où l’on pourrait créer de l’emploi, telles que le tourisme, l’agriculture et le secteur des services.

Mais le principal fléau en Algérie, qui provoque chaque jour des émeutes à travers le pays, n’est-il pas avant tout le chômage des jeunes (21,5 % selon le FMI) ?
Le problème vient du fait que notre secteur productif est littéralement atrophié. Comme je l’ai déjà mentionné, pour absorber le chômage, l’Algérie devrait posséder 1,5 million d’entreprises.
Pourtant, l’État algérien a fait des gestes en créant l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej), qui leur prête jusqu’à 100 000 euros sans intérêt pour créer leur propre entreprise.
C’est vrai, mais cela ne marche pas, car l’Ansej a pour conséquence de dilapider beaucoup d’argent sans résultat. Avant de donner de l’argent à ces jeunes, il faudrait les former puis les accompagner dans leur projet. Il serait nécessaire de créer des incubateurs et des pépinières, c’est-à-dire de petites entités visant à aider les jeunes à financer leur entreprise et à les accompagner dans la création et le suivi de leur projet.
La jeunesse algérienne paraît aujourd’hui totalement désabusée, pointant avant tout la corruption généralisée au sommet de l’État.
Il y a une grande part de vérité dans ce que disent les gens. L’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia a lui-même admis que l’économie algérienne était gérée par les importations... et qu’il n’y pouvait rien. Or, la hausse spectaculaire des importations bloque la production nationale. D’après moi, le problème du développement économique est avant tout une question de sociologie politique. Cela fait cinquante ans que le système puise dans les ressources pétrolières pour éteindre les incendies sociaux.

Sauf que le pétrole se raréfie Un énorme risque pèse sur la rente pétrolière. Nous sommes presque arrivés à un pic pétrolier en Algérie, alors que la consommation interne double tous les sept ans. D’autre part, on ne peut pas écarter le scénario d’une baisse de 50 % du prix du baril dans un futur proche. Ainsi, d’ici sept à huit ans, la rente pourrait chuter de 70 % alors que nous serons cinquante millions d’habitants. De terribles troubles sociaux pourraient surgir. Pour l’éviter, il est encore temps de diversifier notre économie en dehors des hydrocarbures. Maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

(16-04-2014 - Armin Arefi)

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