samedi 25 janvier 2014

Syrie : comment régime et opposition se sont secrètement entendus (Armin Arefi)

Tout avait extrêmement mal commencé à Genève. Jeudi soir, veille de la rencontre historique entre le régime de Bachar el-Assad et ses opposants, pour la première fois en trois ans de guerre, l’opposition recule, et indique qu’elle ne s’assoira pas en face de responsables syriens. En cause, le refus de ces derniers d’accepter les termes de Genève I, première conférence internationale sur la Syrie, organisée sans Damas, qui avait conclu, résolution de l’ONU à l’appui, à la la formation par "consentement mutuel" d’une autorité de transition ayant les "pleins pouvoirs exécutifs".
C’est là le noeud gordien de la crise. Pour l’opposition, comme ses parrains occidentaux et du Golfe, cela implique clairement le départ du pouvoir de Bachar el-Assad, dont la répression de la révolte populaire depuis mars 2011 a entraîné le pays dans une guerre civile qui a fait au moins 130 000 morts et poussé plus de 9 millions de Syriens hors de chez eux. Ce n’est en rien l’avis du régime syrien, ainsi que de son allié russe, qui préconisent au contraire la formation d’un gouvernement élargi à l’opposition, toujours sous le commandement de Bachar el-Assad, avant l’organisation prochaine d’une élection présidentielle "libre et démocratique". "Une transition, même si le nom de Bachar el-Assad n’est pas mentionné, signifie implicitement que celui-ci doit partir", insiste une source diplomatique occidentale.

Invectives
Des positions diamétralement opposées et donc difficilement conciliables. Cela s’est vérifié dès le lendemain. L’infatigable Lakhdar Brahimi, émissaire de l’ONU pour la Syrie, a pourtant tout fait pour réunir les deux camps dans la même salle, sans pour autant qu’ils s’adressent la parole. Rien n’y fait. L’opposition refuse. "Nous avons explicitement demandé un engagement écrit de la délégation du régime acceptant (les termes de) Genève I", lance à Reuters Haitham al-Maleh, délégué de l’opposition. "Sinon, il n’y aura pas de négociations directes".
"L’opposition se berce d’illusions sur le départ de Bachar el-Assad", rétorque Faysal Meqdad, chef adjoint de la diplomatie syrienne. Le ton monte. "L’autre partie est peu sérieuse et pas prête aux pourparlers de paix", renchérit à la télévision syrienne Walid Mouallem, l’incendiaire ministre syrien des Affaires étrangères et chef de la délégation syrienne. Celui-ci menace même de quitter les négociations dès le lendemain si aucune solution n’est trouvée.

Positions irréconciliables
Pointée du doigt, l’opposition n’en démord pas. "C’est la délégation d’Assad qui n’est pas sérieuse et ne veut pas jouer le jeu", répond Burhan Ghalioun, grande figure de l’opposition. "Dès le début, elle lance des mensonges sur la participation de l’opposition. Le régime essaie d’inventer un prétexte pour quitter la réunion, parce qu’il n’est pas dans son intérêt de rester. Car nous venons ici, avec la communauté internationale, pour appliquer une résolution du Conseil de sécurité."
Des positions irréconciliables sur le papier. Pourtant, en fin de journée, c’est avec une excellente nouvelle que Lakhdar Brahimi revient de son marathon diplomatique. "Nous allons nous retrouver demain dans une même salle", annonce-t-il, soulagé, aux journalistes. "Tout ce processus se fonde sur Genève I. Les deux parties l’ont bien compris et l’ont accepté. Il y avait certes quelques différences d’interprétation sur certains articles, mais j’espère la levée de toute ambiguïté."

Tour de passe-passe
Comment l’envoyé de l’ONU a-t-il fait pour réconcilier les deux parties, chose impensable à peine quelques heures auparavant, vu les commentaires acerbes échangés par presse interposée ? C’est que ce diplomate algérien chevronné s’est livré à un tour de passe-passe diplomatique des plus habiles. Afin de contourner le refus du régime de signer tout document écrit attestant de la mise en place d’une autorité de transition, il a en réalité obtenu des deux parties qu’elles se contentent d’une déclaration orale de l’envoyé de l’ONU prononcée l’après-midi en conférence de presse. "Si le régime ne le contredisait pas dans la foulée, alors cela équivalait implicitement à une acceptation des termes de Genève I", expliquent des diplomates présents à Genève.
Ceux-ci ne se font pourtant pas d’illusions sur le souhait réel du régime. "Il est clair que Walid Mouallem (ministre syrien des Affaires étrangères), ne signera pas demain le départ de Bachar el-Assad. Mais la chorégraphie mise en place par Lakhdar Brahimi répond aux revendications de chacun, et lui permet d’évacuer la question de Genève I". Un exercice diplomatique de haut vol permettant de contourner, certes provisoirement, cette épineuse question, sans mettre aucune délégation en porte-à-faux.

L’opposition "pas prête"
Conformément au programme initialement prévu ce vendredi avant le coup de théâtre de l’opposition, l’envoyé de l’ONU doit donc réunir ce samedi les deux camps dans une seule et même salle du palais des Nations, pour une première séquence introductive d’environ 30 minutes, où lui seul doit prendre la parole. Chaque délégation compte au total quinze membres : neuf assis au premier rang, six au second, et enfin des experts. Le camp syrien est conduit par le chef de la diplomatie, Walid Mouallem, alors que le négociateur en chef de l’opposition, Hadi al-Bahra, n’a été désigné que vendredi.
"Ils ne sont pas prêts", peste une source bien informée, dans le hall du palais des Nations. "Jeudi soir, ils ne savaient même pas encore qui allait être nommé. Et l’heureux élu est un illustre inconnu, ne représentant rien par rapport aux combattants sur le terrain." Une version que contredisent des diplomates. "Hadi al-Bahra était un candidat naturel. C’est un homme calme, sérieux et réfléchi, qui oeuvre depuis des semaines pour l’organisation de cette conférence". Comme Ahmad Jarba, chef de la Coalition nationale syrienne (CNS, principal conglomérat de l’opposition, NDLR), Hadi al-Bahra, un ingénieur de Damas, est proche de l’Arabie saoudite, principal soutien financier de la CNS avec le Qatar.

Morts de faim
Après le premier entretien commun de 30 minutes, chaque délégation doit faire face, seule, à Lakhdar Brahimi. En fin de journée, le diplomate onusien tentera à nouveau de les réunir dans une même salle. Le "problème" Genève I ayant été temporairement écarté, les deux délégations vont plancher sur des mesures humanitaires visant à rétablir la confiance et répondre rapidement aux urgences de la situation en Syrie. Jeudi encore, 63 personnes, dont des femmes et des enfants, sont décédées dans le camp palestinien de Yarmouk (sud de Damas), assiégé par l’armée syrienne, en raison de la pénurie de nourriture et d’un manque de soins médicaux. À l’instar du camp palestinien, plusieurs autres régions sous contrôle rebelle à travers la Syrie demeurent, depuis juin dernier, sous le siège étouffant de l’armée de Bachar el-Assad.
À en croire les diplomates présents dans les coulisses du palais des Nations, les deux délégations se seraient mises d’accord pour travailler jusqu’à dimanche sur un accès humanitaires aux populations syriennes, tout d’abord dans la ville de Homs, avant de se pencher à nouveau sur les questions politiques. "Homs est vraiment dans une situation d’encerclement terrifiante", soulignent-ils. "Elle possède, de surcroît, une dimension symbolique et politique forte. Si le régime ne fait pas obstacle, l’aide peut s’acheminer très vite", préviennent-ils.

Espoir
Une première tentative de collaboration historique, qui tranche singulièrement avec les invectives lancées par les deux camps en début de semaine. Jeudi soir encore, le chef de la CNS, Ahmad Jerba, qualifiait le régime de "criminel" qui devait être "enterré". Surtout que la conclusion d’un premier accord humanitaire impliquerait de facto un cessez-le-feu de quelques heures entre les belligérants. "Une pause humanitaire", précisent les diplomates.
"Le plus important est que le processus de discussion soit enclenché", insistent-ils. "Mais s’ils sont capables de respecter cette pause ne serait-ce que quelques heures, alors nous pourrions voir plus large à l’avenir."

(25-01-2014 - Armin Arefi)

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