samedi 25 janvier 2014

Égypte : la contre-révolution des nostalgiques de Moubarak (Quentin Raverdy)

Samedi, les Égyptiens célèbrent le troisième anniversaire de la révolution qui, durant l’hiver 2011, avait détrôné le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 30 ans. Dans sa chute, le vieux raïs avait entraîné avec lui bon nombre de ses partisans, notamment les membres de son mouvement politique, le Parti national démocratique (PND), qui ne lui avait survécu qu’un mois. Orphelins de leur leader, les fidèles de Moubarak, appelés feloul - restes d’une armée en déroute -, étaient alors aux abois, et déjà pour eux, on sonnait l’hallali.
"Les feloul sont à l’origine un immense réseau, à l’échelle de l’Égypte, de grandes familles, de chefs de tribu, de patrons et de notables locaux, tous fidèles au régime", explique Clément Steuer, chercheur en sciences politiques à l’Institut oriental de l’Académie des sciences de Prague. Au moment de la chute du régime, l’objectif était on ne peut plus simple pour eux : "Tenter de préserver leurs intérêts et ceux de leurs clients." Trois ans après, ceux dont on ne donnait pas cher de la peau sont revenus au pouvoir. Le 25 janvier, ils célèbrent la révolution, moins celle de 2011 que celle survenue durant l’été 2013, quand des milliers d’Égyptiens, soutenus par l’armée, faisaient tomber le premier président de la République élu, Mohamed Morsi, aujourd’hui en procès. Une destitution qui avait sonné pour les feloul comme un véritable retour aux affaires.

Un rapprochement avec l’armée
"Ces trois dernières années, ils ont petit à petit reconstitué leurs forces, sans pour autant être en mesure de gouverner seuls. Restait alors le jeu des alliances. Pour cela, les feloul se sont rapprochés de plusieurs partis, comme les nassériens (nationalistes), ou des institutions, telles que la police et surtout de l’armée", rappelle le chercheur en sciences politiques. Pour les partisans de l’ancien régime, l’armée représente "la colonne vertébrale de l’État, et sans elle, le pays n’est rien", analyse Mahmoud Salem du Daily News Egypt. En effet, les militaires égyptiens ont longtemps incarné le pouvoir. Mohamed Morsi - qui était ingénieur - fut le seul leader égyptien issu de la société civile. De plus, l’armée contrôlerait entre 15 et 25 % de l’économie égyptienne, une véritable aubaine pour les feloul, très impliqués dans le secteur des affaires. Quant aux dérives autoritaires du général Abdelfatah al-Sissi, nouvel homme fort de l’Égypte depuis le coup d’État en juillet 2013, elles ne les dérangent guère, bien au contraire.
Mahmoud Salem le rappelle : "Ce que désirent par-dessus tout les feloul, c’est un "État fort", incarné entre autres par l’armée. Un État égyptien fort, c’est "celui qui fait ce qui est nécessaire pour les intérêts du pays en dépit des contestations internes [les Frères musulmans aujourd’hui considérés comme organisation terroriste, NDLR] et/ou des pressions extérieures [pays occidentaux ou le Qatar, allié de la confrérie, NDLR]". Une opinion largement partagée en Égypte, ce qui permet aux pro-Moubarak de se targuer du soutien d’une part importante de la population. Pour preuve : leur candidat, Ahmed Chafik - dernier Premier ministre du vieux raïs -, s’était aisément hissé au second tour de l’élection présidentielle de 2012 avant de perdre - avec les honneurs d’un score de 48,27 % - contre le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi.

Une situation économique désastreuse
C’est auprès notamment d’une population très inquiète de la situation économique que les feloul trouvent un écho certain. Et tout particulièrement "dans le Nord [le Sud étant encore très influencé par les tribus et les islamistes, NDLR]", rappelle Clément Steuer. "Les gens cherchent du travail et tous veulent voir les touristes revenir." Pour une part importante de la population, les responsables des plaies économiques de l’Égypte sont tout trouvés : les Frères musulmans. Partisane de la relance de la croissance et de lutte contre la corruption, la confrérie s’était avérée bien incapable de transformer un pays qui sortait de trente années de gestion calamiteuse par un régime qui confondait libéralisme et népotisme.
C’est donc un vent de nostalgie qui semble souffler sur Égypte. Un vent largement relayé par les médias privés, jugés proches des feloul. Certes, personne, "sauf quelques irréductibles", précise Clément Steuer, n’appelle au retour de l’ancien président (condamné à perpétuité en première instance et en liberté conditionnelle pour cause de maladie). Et pourtant, les anciens partisans de Moubarak ont progressivement repris la place qui, il y a trois ans encore, était la leur, au coeur du système et de l’économie égyptienne. Un phénix politique qui devra cependant faire avec les nouvelles aspirations du peuple égyptien.

(25-01-2014 - Par Quentin Raverdy )

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