lundi 11 novembre 2013

Syrie/Liban : Exilées au Liban, des Syriennes célèbrent la cuisine de leur pays

Elles viennent d’Alep, d’Idleb ou de Hassaké : unies dans le malheur de l’exil au Liban, des Syriennes donnent un nouveau sens à leur vie en apprenant à promouvoir la gastronomie de leur pays déchiré par la guerre.
Depuis plus de deux mois, un atelier de cuisine lancé par un restaurant libanais avec le financement du Haut Commissariat pour les réfugiés et la coopération de la branche libanaise de Caritas, aide ces femmes à faire revivre les traditions culinaires de leurs régions dans le but de leur assurer un revenu et créer leur propre service de restauration.
Dans un modeste sous-sol de Caritas à Dekwané, banlieue est de Beyrouth, Ibtissam Masto exhibe fièrement sa "kebbé du moine", des boulettes à base de boulghour assaisonnées à la mélasse de grenade, une spécialité de sa ville de Jisr el-Choughour.
La jeune femme au voile noir a dû fuir cette cité du nord-ouest syrien plus connue aujourd’hui pour les combats acharnés qui s’y sont déroulés entre armée et rebelles que pour ses plats pimentés.
"A Jisr el-Choughour, je gagnais bien ma vie avant la guerre, je chantais des ’anachid’ (chants religieux) lors des mariages et des obsèques, je donnais des cours dans une école coranique et je travaillais dans une pharmacie", raconte à l’AFP Ibtissam, la voix pleine d’énergie.
"Ici, non seulement je suis sans emploi, mais mon mari est diabétique et ne peut travailler tous les jours", ajoute-t-elle, en préparant la mélasse de grenade, un sirop indispensable à la cuisine syrienne. "L’idée de cet atelier m’a emballé, j’ai espoir de pouvoir faire rentrer de l’argent".
La motivation est sans aucun doute financière, mais le projet a permis à ces réfugiées, en majorité des mères au foyer, de se sentir utiles, d’oublier un peu l’exil et les horreurs de la guerre, mais aussi de se connaître entre Syriennes de différentes régions.
Pour Marlène Youkhanna, une Assyrienne (communauté chrétienne d’Orient) de Hassaké, la grande ville du nord-est lointain, l’expérience a été une véritable découverte.
"J’ai appris à faire du ’mehché boulghour’—aubergines farcies, une spécialité d’Idleb (nord-ouest) ou encore de la ’kebbé semmaiiyé’ (kebbé au sumac), un plat d’Alep", dit cette femme de 40 ans, mère de trois enfants.
Elle et son amie Nahrein, réfugiées au Liban en raison de l’intensification des combats entre jihadistes et kurdes à Hassaké, ont eu le plaisir d’enseigner aux autres la kofta assyrienne (viande aplatie et mélangée avec du riz, du persil et de la sauce tomate) ou encore des "kotal de Mossoul" (du blé concassé avec de la viande cuite), une recette originaire d’Irak.
La gastronomie levantine étant très similaire, les femmes ont été encouragées à se rappeler des recettes très spécifiques pour qu’elles puissent les promouvoir au Liban.
"Nous avons déjà fait ce même projet avec les réfugiés palestiniens au Liban, et cela a très bien marché", affirme Jihane Chahla, de Tawlet Souk el-Tayyeb (la "Table du marché aux délices"), un restaurant qui promeut la cuisine du terroir.
"On les aide à avoir une capacité d’agir, un revenu, à leur créer une image de marque grâce à laquelle elles pourront être sollicitées pour faire du ’catering’ pour un mariage par exemple", dit la jeune femme qui supervise le projet.
Au fourneau, tablier et bonnet blancs de rigueur, chacune témoigne de sa tragédie personnelle mais aussi celle d’un pays éclaté.
"A Hassaka, les derniers mois étaient devenus intenables. Des gens du Front Al-Nosra (jihadiste) me harcelaient en demandant de me voiler et ont détruit la voiture de mon mari. Puis il y a eu des enlèvements", raconte Marlène, les cheveux courts, en T-shirt blanc.
Loubana, de Maaret al-Noomane, mère de huit enfants, se souvient encore des bombardements effroyables du régime avant que les rebelles ne conseillent à sa famille de quitter la ville.
"Ma maison est détruite, mon mari a des problèmes cardiaques et mes enfants pleurent car ils ne vont pas à l’école au Liban", dit cette femme de 30 ans, les larmes coulant sur ces joues.
Comme les autres, elle dit que l’atelier lui a permis de "faire quelque chose dans la vie".
"On doit leur rappeler constamment qu’elles ne sont pas en train de cuisiner pour leur mari ou leurs enfants", sourit Reem Azouri, consultante culinaire. "Elles doivent apprendre à conserver les aliments, à présenter la table, etc".
Pour Mariam, une Alépine, cet atelier est devenu une sorte de "mini-Syrie". "C’est très beau, je me sens comme chez moi, dans ma Syrie".

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