jeudi 14 novembre 2013

Israël/Palestine : Oslo, la grande illusion (Pierre Stambul)

C’était il y a 20 ans. Bien entouré par Yitzhak Rabin, Shimon Pérès et Bill Clinton, Yasser Arafat signait ce qui pouvait apparaître comme une issue heureuse et un compromis honorable, comme en Afrique du Sud. Aujourd’hui tout ceci apparaît comme une gigantesque mystification. Replongeons-nous sur la réalité de ces accords.

En Palestine, de la renaissance à l’Intifada
En 1948-49, non seulement la grande majorité des Palestinien-ne-s a été expulsée de son propre pays, mais la question palestinienne a été occultée et la Palestine rayée de la carte avec la complicité des régimes arabes. La Jordanie annexe la Cisjordanie et Jérusalem-Est et l’Égypte annexe Gaza. L’OLP n’est créée qu’en 1964 et c’est après la défaite arabe de 1967 qu’elle devient réellement indépendante. L’OLP représente alors l’ensemble des Palestiniens (territoires occupés, Palestiniens d’Israël, réfugiés) et la totalité des partis politiques. Les Palestiniens portent la guerre partout, mais ils vont subir de graves défaites. D’abord Septembre Noir en 1970 quand le roi Hussein de Jordanie (avec l’aide israélienne) massacre des milliers de Palestiniens et expulse l’OLP de Jordanie. En 1975 quand éclate la guerre civile libanaise, l’OLP alliée à la gauche libanaise remporte d’abord des succès. Mais l’armée syrienne, contre toute attente, se retourne contre les Palestiniens, Hafez el-Assad ne tolérant aucune indépendance. Les Palestiniens subissent revers et massacres (Sabra et Chatila, Tell el Zaatar). En 1983, Arafat est encerclé dans le nord du Liban avec les troupes syriennes d’un côté et les vedettes israéliennes de l’autre. L’OLP doit quitter le Proche-Orient pour Tunis où l’armée israélienne les attaquera (1985). C’est dans ce contexte qu’éclate l’Intifada (1987), révolte spontanée des habitants des territoires occupés. La répression (menée par Yitzhak Rabin) est féroce : « brisez-leur les jambes » proclame Rabin. Cette révolte des pierres redonne espoir. La Jordanie renonce officiellement à la Cisjordanie. En 1988 à Alger, l’OLP reconnaît Israël dans ses frontières d’avant 1967. Le raisonnement d’Arafat est le suivant : on en est à la troisième génération de réfugiés. Il faut un répit. L’idée est donc de s’appuyer sur le fait que, si l’ONU a reconnu le nettoyage ethnique de 1948, il n’en est pas de même pour les conquêtes de 1967. Arafat mettra tout son poids pour obtenir cette décision. Les oppositions sont nombreuses et certains groupes dissidents, armés par les dictateurs de Syrie, d’Irak ou de Libye, entameront une campagne d’assassinats des proches d’Arafat.

Israël : comment la colonisation est devenue centrale
La décision de coloniser la Cisjordanie est probablement antérieure à la guerre des 6 jours en juin 1967. Le plan Yigal Allon qui va être appliqué, a déjà prévu les grands blocs de colonies et l’annexion de la vallée du Jourdain. L’annexion de Jérusalem-Est dont la superficie est décuplée est votée par la Knesset dès 1967. Tous les Premiers ministres depuis un demi-siècle ont contribué à étendre et généraliser la colonisation. Pendant toutes ces années, pour les dirigeants sionistes, on ne parle des jamais des Palestiniens. On explique que les « Arabes » peuvent accueillir les réfugiés et que l’État palestinien existe déjà, en Jordanie. Il y a donc l’espoir de marginaliser définitivement les Palestiniens, d’en faire les Indiens du Proche-Orient enfermés dans leurs réserves et d’en expulser certains. Les dirigeants israéliens ne réalisent pas qu’ils ont eux-mêmes tué leur projet historique d’État juif ethniquement pur.
Plusieurs événements vont rendre les choses plus compliquées. Les travaillistes (fondateurs de l’État d’Israël) ont perdu le pouvoir en 1977. Une partie de leur base n’accepte pas la dérive raciste et impérialiste du pays au moment de la deuxième invasion du Liban. Des gigantesques manifestations pacifistes ont lieu en 1982 et des pacifistes plus radicaux prennent contact dès cette époque avec l’OLP. En 1987, l’Intifada provoque le départ (et le licenciement) de 400000 travailleurs palestiniens. L’économie israélienne subit alors une importante récession. C’est l’époque de l’éclatement de l’URSS et d’une très importante émigration des Juifs soviétiques (environ 1500000 personnes). Israël a besoin d’argent pour financer cette arrivée massive. Le président Bush (père) rêve d’un réaménagement du Proche-Orient sous direction américaine. Le Premier ministre israélien de l’époque (Yitzhak Shamir qui fut dans sa jeunesse terroriste et collabo) traîne des pieds et sabote ouvertement la conférence de Madrid. Bush refuse alors de cautionner le prêt bancaire israélien. Le gouvernement Shamir tombe et Rabin gagne les élections (1992).

Oslo : l’esprit et la lettre
Que disent aujourd’hui des Palestiniens qui ont participé à l’époque aux négociations avec les Israéliens ? « Nous, nous discutons comme des Orientaux. Nous établissons un climat de confiance et le reste doit suivre. Pour les Israéliens, l’important est ce qui est écrit. Alors, quand on n’arrive pas à se mettre d’accord, on finit par signer l’heure d’ouverture d’un check-point ». Que disent les négociateurs israéliens, souvent issus de la bourgeoisie ashkénaze, quand ils rencontrent un Palestinien ? « Nos droits sur cette terre sont indiscutables. Nous voyons bien que vous avez un problème et nous allons voir ce que nous pouvons faire pour vous ». À aucun moment, les négociations ne se sont déroulées sur la base du droit international ou de l’égalité des droits entre les différents peuples. Arafat pensait signer « la paix des braves », « la paix contre les territoires ». Pour les Israéliens, il y avait une obsession : que les Palestiniens assurent la sécurité de l’occupant. Et il y avait une volonté qui ne s’est jamais démentie : conserver l’essentiel du fait accompli colonial. Il y avait à l’époque déjà près de 200000 colons en additionnant Jérusalem et les premiers blocs de colonies et jamais les Israéliens n’ont accepté de quelque façon que ce soit qu’ils aient comme unique choix le fait de partir ou de devenir citoyens palestiniens.
La création de l’Autorité Palestinienne a d’entrée été une arme à double tranchant. Elle faisait disparaître de fait l’OLP. Elle laissait très peu d’espoir aux réfugiés vivant hors de Palestine, aux Palestiniens d’Israël et même aux Palestiniens de Jérusalem. L’occupation ayant désintégré l’économie palestinienne encore plus fragilisée par le licenciement massif de ceux qui travaillaient en Israël, l’Autorité a d’entrée fait vivre, avec de l’argent venu de l’étranger, des dizaines de milliers de fonctionnaires et leurs familles. Dans les accords d’Oslo, l’OLP a reconnu Israël dans ses frontières d’avant 1967, mais Israël n’a reconnu que l’OLP. Il n’a jamais été question de reconnaître un État palestinien et encore moins de reconnaître la « ligne verte », la frontière internationalement reconnue. Les accords d’Oslo ont permis aux dirigeants palestiniens vivant à l’étranger de rentrer, ce qui a d’ailleurs créé des antagonismes avec ceux qui avaient mené l’Intifada. En 1994, à Gaza ou Jéricho, il y avait l’espérance que ces enclaves autonomes soient l’embryon d’un nouvel État mais on en était très loin. Les négociateurs palestiniens ont espéré trouver des « partenaires », des « sionistes à visage humain » qui les aideraient à réaliser leurs projets. En fait, les sionistes pouvaient avoir des divergences sur la façon de faire capituler les Palestiniens, mais pas sur la finalité.

L’opposition aux accords
En Palestine, les partis de gauche, en particulier le FPLP, vont d’entrée protester contre les accords. Le nouveau credo « deux peuples, deux États », l’un ayant au mieux 22% de la Palestine historique, ne convainc pas. La gauche palestinienne reste attachée à la revendication d’un « État laïque et démocratique » sur l’ensemble de la Palestine historique. De nombreuses personnalités, comme Edward Saïd, voient avec beaucoup de perspicacité que cet accord entérine une forme de capitulation et de renonciation à l’essentiel des revendications historiques palestiniennes. Beaucoup protestent contre la disparition de fait de l’OLP. Dans les camps palestiniens du Liban ou de Jordanie, tout le monde comprend que les réfugiés seront sacrifiés sur l’autel des négociations. La « Maison d’Orient » qui était la représentation officieuse de l’OLP à Jérusalem-Est reste fermée et les Israéliens font comprendre d’entrée que l’annexion de ce qui devrait être la capitale du futur État palestinien est définitive.
Le Hamas qui est la branche palestinienne des Frères Musulmans est alors en pleine ascension. Il va d’entrée s’opposer aux accords et lancer une campagne d’attentats.
En Israël, la moitié de la société est hostile aux accords. Les colons ne sont pas populaires, mais aucune force politique n’est décidée à les affronter. Depuis 1967, tout a été fait pour que la colonisation soit irréversible. La coalition hétérogène qui regroupe le Likoud et le courant national-religieux est décidée à saboter toute négociation et à empêcher tout retrait. Une campagne de haine et d’appel au meurtre est lancée contre Rabin.

1993-1996 : les choix catastrophiques de Rabin et Pérès
Dès la signature des accords d’Oslo, les colons constituent une véritable OAS et commencent les provocations. Le 25 février 1994, le colon Baruch Goldstein (juif américain membre du parti fasciste Kach) massacre 29 Palestiniens dans le Caveau des Patriarches à Hébron et en blesse 125. Que fait Rabin ? L’occasion est rêvée d’expulser les colons qui se sont installés dans le souk historique d’Hébron en y faisant régner la terreur. Au contraire, Rabin envoie 2000 soldats pour les protéger. 20 ans plus tard, les colons et l’armée sont toujours là. Le souk a été ruiné. Un fragile grillage protège les habitants des ordures que les colons déversent quotidiennement. Goldstein est aujourd’hui vénéré comme un héros par les colons.
En Palestine, la situation économique se détériore rapidement. Les accords d’Oslo rendent définitifs les licenciements de travailleurs palestiniens. Le gouvernement israélien refuse les libérations de prisonniers prévues par les accords ou ne les fait qu’au compte-goutte. Il continue d’humilier quotidiennement la population palestinienne. Mais surtout, il poursuit en l’accélérant même la colonisation : 60000 nouveaux colons entre les accords d’Oslo et l’assassinat de Rabin. À Jérusalem-Est, Rabin essaie de confisquer de nouveaux terrains pour « judaïser » la ville. Les députés palestiniens d’Israël mettront cette tentative en échec. Pourquoi toutes ces décisions ? Parce que Rabin veut faire entériner le fait accompli. Parce qu’il utilise le Hamas (en faisant tout pour provoquer une guerre civile palestinienne) pour affaiblir Arafat et l’obliger à accepter l’inacceptable.
Dès le début 1995, le « processus de paix » est mort. L’armée israélienne multiplie les interventions armées, les colonies s’étendent et le Hamas riposte par des attentats. L’échec est scellé le 24 septembre 1995 quand Arafat accepte à Taba la division des territoires occupés en trois zones A, B et C qui consacre la transformation de la Palestine en bantoustans non-viables et l’annexion de fait d’une large partie de la Cisjordanie.
Quand Rabin est assassiné, l’assassin n’a fait qu’appliquer les appels au meurtre proférés régulièrement par les dirigeants de la droite et les rabbins des colonies.
Il y avait encore une occasion d’enrayer la mort d’Oslo en utilisant l’énorme émotion causée par l’assassinat de Rabin le 4 novembre 1995. En quelques mois, Shimon Pérès va mener une politique pitoyable. Alors que le Hamas a décrété la trêve et qu’Arafat essaie de les convaincre de se présenter aux élections législatives, Pérès fait assassiner par le Shin Beth (les services secrets) Yahia Ayache qualifié « d’artificier du Hamas ». 100000 personnes assistent à ses obsèques et le Hamas entreprend une campagne d’attentats en représailles. La Palestine est bouclée.
Sur le front libanais, après quelques incidents avec le Hezbollah, Pérès fait bombarder le village de Cana (106 morts pourtant réfugiés dans un camp de l’ONU le 18 avril 1996). Le Sud-Liban est rasé (400000 personnes déplacées).
Pour les prochaines élections, Pérès affirme qu’il n’évacuera pas les colonies et ne signera aucune paix sans référendum. Il perd définitivement toute possibilité de soutien chez les Palestiniens d’Israël. Les électeurs israéliens préfèreront l’original à la copie et Nétanyahou qui a mené sa campagne contre les accords d’Oslo, est élu en juin 1996.

Processus de paix ou exigence de capitulation ?
Alors qu’Oslo est mort, la « communauté internationale » va maintenir le mythe d’un « processus de paix ». Régulièrement, alors que le rouleau compresseur de la colonisation, des humiliations, des emprisonnements et de la destruction de la société palestinienne avance inexorablement, on convoque les Palestiniens et on les somme de « signer » un accord. Dans « Le rêve brisé », Charles Enderlin raconte comment, à Taba en 2002, Ehud Barak prétendra avoir « fait des offres généreuses » à Arafat. Ces offres consistaient à conserver l’essentiel de Jérusalem-Est et des blocs de colonies en interdisant toute possibilité de retour pour l’écrasante majorité des réfugiés. Enderlin montre comment Clinton sait que la responsabilité de l’échec incombe aux Israéliens. Néanmoins, il somme Arafat de signer en le menaçant sinon « d’être un homme mort ». « Nous vous ferons porter la responsabilité de l’échec ». Barak lancera aussitôt le slogan meurtrier : « nous n’avons pas de partenaire pour la paix ».
Toutes les séances de négociations qui suivront (sous direction américaine) et qu’Abbas acceptera (feuille de route, quartet, Annapolis …) seront de sinistres comédies où à aucun moment, les Israéliens ne feront même semblant de faire la moindre concession pour donner un peu de grain à moudre à leurs interlocuteurs.
Pour Sharon qui a succédé à Barak, le mot d’ordre est « d’achever la guerre de 48 » tout en maintenant la fiction d’Oslo.
Parmi les conséquences d’Oslo, il faut bien sûr citer le résultat des élections de janvier 2006 en Palestine. Une partie du vote palestinien peut s’expliquer par une adhésion idéologique à un parti religieux (le Hamas), mais principalement les Palestiniens ont émis un double vote de protestation : contre la corruption et contre les accords d’Oslo.
La corruption de l’Autorité Palestinienne est quelque chose d’inévitable : voilà un pays sans État avec un pseudo gouvernement chargé d’assurer la sécurité de l’occupant et de redistribuer de l’argent venu de l’étranger, argent qui permet la survie de 20% de la population. En 2006, on est plus de 12 ans après Oslo. Les Palestiniens disent clairement non à l’illusion d’un processus de paix qui perpétue et étend la colonisation et l’étranglement de la Palestine.
Il faut d’ailleurs noter qu’après sa victoire militaire à Gaza, le Hamas sera confronté aux mêmes contradictions. Comment gérer un territoire où la réalité du pouvoir appartient à l’occupant sans se rendre complice et sans tomber dans le clientélisme ?

Et maintenant ?
Le compromis généreux proposé par les Palestiniens en 1988 est définitivement mort. Ce ne sont pas les Palestiniens qui l’ont tué mais la direction sioniste. Celle-ci a définitivement choisi de tuer son propre projet historique d’État juif homogène. Entre Méditerranée et Jourdain, il y a désormais 50% de Palestiniens atomisés, bantoustanisés, éclatés, avec divers statuts d’oppression et de discrimination. Dans la logique israélienne, les options restent le « transfert » (l’expulsion des Palestiniens au-delà du Jourdain), la marginalisation totale de Palestiniens enfermés dans leurs « réserves » ou plus probablement la gestion de plus en plus assumée de l’apartheid.
L’idée de s’appuyer sur la non-reconnaissance par l’ONU et la communauté internationale de la conquête de 1967 n’a mené nulle part. Israël n’a jamais été sanctionné, ni pour les constructions de colonies, ni pour la construction du mur (condamné par la Cour de La Haye), ni pour les tortures en prison, ni pour l’utilisation d’armes interdites (bombes à fragmentation, uranium appauvri), ni pour les attaques meurtrières contre des civils comme « Plomb Durci » en 2008-2009. La reconnaissance de la Palestine comme État non-membre à l’ONU n’a rien changé sur le terrain, faute de sanctions.
Il y a aujourd’hui 600000 Israéliens qui vivent au-delà de la « ligne verte ». Les évacuer coûterait 20% de PIB à l’occupant. Vouloir ressusciter Oslo en martelant des slogans comme « deux peuples, deux États » ou « un État palestinien sur la base des frontières 1967 » (pourquoi 22% de la Palestine quand ils forment 50% de la population ?) est une impasse.
L’Autorité Palestinienne n’a plus de légitimité. L’élection de son président date de 2005. Elle ne représente clairement qu’une partie parmi d’autres des Palestiniens. Elle n’est en rien l’embryon d’un futur État. Au contraire, elle maintient la fiction d’un processus qui permet à la colonisation de toujours avancer. Elle permet à l’occupant de ne pas avoir à assumer les conséquences de l’occupation.
La mise en sommeil de l’OLP qui représentait la Palestine dans toute sa diversité est un manque terrible.
On est entré de fait dans une nouvelle période : une lutte antiapartheid et pour l’égalité des droits sur un espace unique où les dominés forment 50% de la population. Cette résistance sera longue. Elle passe par la délégitimation d’un État raciste coupable du crime d’apartheid, par des sanctions et par le boycott.

Pierre Stambul
Intervention à Nîmes (13 novembre 2013)

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