mardi 23 septembre 2014

Syrie/Irak : Daesh-État islamique, la guerre des noms a commencé (Armin Arefi)

La France est une pionnière. Elle est en effet le premier pays à avoir adopté officiellement l'appellation "Daesh" pour désigner l'État islamique, organisation djihadiste qui a proclamé en juillet un califat à cheval sur l'Irak et la Syrie. "Le groupe terroriste dont il s'agit n'est pas un État, il voudrait l'être, mais il ne l'est pas", a déclaré mercredi Laurent Fabius au perchoir de l'Assemblée nationale. "Je vous demande de ne plus utiliser le terme d'État islamique, car cela occasionne une confusion entre islam, islamistes et musulmans. Il s'agit de ce que les Arabes appellent Daesh et que j'appellerai pour ma part les égorgeurs de Daesh."
Depuis le 9 septembre, tous les communiqués du Quai d'Orsay et de l'Élysée portent cette mention. Que signifie-t-elle ? Daesh n'est autre que l'acronyme arabe de Dowlat al-Islamiyah f'al-Iraq wa Belaad al-sham, comprenez l'État islamique en Irak et au Levant (pays bordant la côte orientale de la mer Méditerranée). Créée en 2004, au lendemain de l'intervention américaine en Irak, l'organisation djihadiste est née sous les traits d'al-Qaida en Mésopotamie. En 2006, elle englobe plusieurs groupes d'insurgés et devient l'État islamique en Irak.
En difficulté face aux forces américaines et aux milices sunnites, l'organisation, dirigée depuis 2010 par l'Irakien Abou Bakr al-Bagdadi, trouve un second souffle à la faveur du conflit syrien, qui lui permet d'étendre son influence dans la région. Elle devient en 2013 l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Contrairement aux autres groupes djihadistes, son but est de rétablir le califat islamique (tombé en 1924) d'Irak au Liban, en passant par la Jordanie et la Palestine. Commentant la spectaculaire percée de l'organisation djihadiste en Syrie, ce sont des opposants syriens qui évoquent pour la première fois le terme "Daesh" sur le plateau de la chaîne d'information saoudienne Al-Arabiya.
"Cette appellation a été ensuite institutionnalisée par les chaînes opposées à ce groupe, car elle ne contient pas les termes "État" ni "islamique", et possède une connotation péjorative", explique Wassim Nasr, journaliste spécialiste des questions djihadistes à France 24. "En effet, l'acronyme Daesh ressemble au mot arabe daes ("celui qui écrase du pied"), mais aussi au terme dahes ("celui qui sonne la discorde"), en référence aux batailles de Dahes wal Ghabra (entre 608 et 650 après J.-C.) au cours desquelles les tribus arabes se sont entretuées avant d'être unies par l'islam."
Depuis son apparition en 2013, le nom Daesh fait enrager les djihadistes, d'autant que l'utilisation d'acronymes est extrêmement rare dans le monde arabe. À Mossul, plusieurs habitants ont d'ailleurs affirmé en juin à Associated Press avoir été menacés de se faire couper la langue s'ils prononçaient ce mot. À l'époque, le mot Daesh est encore relativement inconnu en France, les journalistes désignant le groupe sous l'acronyme EIIL (État islamique en Irak et au Levant). Même chose dans les pays anglo-saxons, où l'on parle d'ISIS (Islamic State in Iraq and in Syria) ou d'ISIL (Islamic State in Iraq and in Levant).
Mais la donne change dès juillet 2014. Après avoir mis en déroute l'armée irakienne, l'EIIL proclame un califat allant de la province d'Alep, au nord de la Syrie, à celle de Diyala, à l'est de l'Irak. Et devient l'État islamique (EI). À sa tête, le "calife Ibrahim", nouveau nom du chef djihadiste irakien Abou Bakr al-Baghdadi, appelle les musulmans du monde entier à rejoindre son État. "Dans chaque territoire conquis, l'organisation met en place une administration ainsi que des institutions embryonnaires, comme des tribunaux religieux, un Conseil de la vie, et des services sociaux", explique Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes au cabinet NGC Consulting. "Les djihadistes se greffent sur l'ancienne administration. Tous les fonctionnaires qui acceptent de leur prêter allégeance restent à leur poste." Et l'expert de conclure : "Si leur État n'est pas reconnu par l'ONU et ne bat pas sa propre monnaie, il ne possède pas moins d'institutions que l'Afghanistan à l'époque des Talibans."
Comme jadis en Afghanistan, cet État islamique autoproclamé applique une version ultra-rigoriste de la charia. Ses combattants multiplient les exactions contre tous ceux qui refusent de s'y plier - notamment les minorités yézidis et chrétiennes d'Irak -, forçant des dizaines de milliers d'entre eux à la fuite. Un "nettoyage ethnique" condamné par l'ONU qui pousse les États-Unis à intervenir en bombardant les positions djihadistes dès le 9 août. En représailles, l'EI décapite deux journalistes américains et un humanitaire anglais, choquant le monde entier et renforçant la détermination de Barack Obama à en venir à bout.
"Ce groupe se fait appeler État islamique mais il faut que deux choses soient claires : ISIL n'est pas islamique", s'est insurgé le 10 septembre le président américain. "Aucune religion ne cautionne le meurtre d'innocents et la majorité des victimes de l'ISIL sont des musulmans. ISIL n'est certainement pas un État. Il était auparavant la branche d'al-Qaida en Irak." Son secrétaire d'État John Kerry propose donc un nouveau nom : "L'ennemi de l'Islam". Mais pas "Daesh", pourtant si cher à la France. "Le choix du gouvernement français est tout à fait logique", estime le spécialiste Romain Caillet. "En utilisant "Daesh", la France choisit un terme partial et frontal, car il est en guerre contre cette organisation."
Mais qu'en est-il des journalistes qui traitent des crises en Irak et en Syrie ? L'Agence France Presse (AFP) a tranché. Sur le blog Making of, la directrice de l'information de l'AFP, Michèle Léridon, explique pourquoi son agence de presse n'utilise plus "État islamique". Tout d'abord car "il ne s'agit pas d'un véritable État, avec des frontières et une reconnaissance internationale". Mais aussi parce que "les valeurs dont se réclame cette organisation ne sont en rien islamiques". Au Point, nous parlerons plus volontiers d'"organisation État islamique" mais pas de "Daesh". Pour ne pas servir la propagande des djihadistes tout en conservant notre objectivité de journaliste.

(22-09-2014 - Armin Arefi)

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