dimanche 16 octobre 2016

Yémen : Vers une reprise des pourparlers ?

En une semaine, le conflit au Yémen a connu une escalade majeure, suivie de signes d'apaisement qui pourraient présager une reprise des négociations. Le coût de la guerre de plus en plus intenable pour les belligérants serait l'une des explications, selon des experts.
"Je suis optimiste pour la simple raison que les parties ne veulent pas poursuivre un conflit qui leur coûte cher" humainement, financièrement et en termes d'image, estime Mustafa Alani, spécialiste des questions de sécurité au Gulf Research Center basé à Genève. Selon lui, les belligérants subissent "une énorme pression pour trouver une stratégie de sortie" car "ils sont conscients de leur incapacité à atteindre une victoire parfaite" par les armes. Depuis mars 2015, la guerre au Yémen oppose le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par une coalition militaire arabo-sunnite sous commandement saoudien, à des rebelles chiites houthis pro-iraniens, alliés à des forces fidèles à l'ex-chef d'État Ali Abdallah Saleh. Le conflit a fait près de 6 900 morts, selon l'ONU.
Les rebelles contrôlent la capitale Sanaa et des régions du nord - leur berceau historique -, de l'ouest et du centre du pays. Les forces pro-Hadi ont reconquis des zones du Sud, mais peinent à progresser en dépit d'une campagne aérienne intensive de la coalition arabe, qui a fait de nombreuses victimes collatérales. Le 8 octobre, un raid aérien de cette coalition menée par Riyad a fait, selon l'ONU, 140 morts et 525 blessés lors d'une cérémonie funéraire à Sanaa, un carnage qui a marqué une nouvelle escalade impliquant les Américains, alliés des Saoudiens. Les 9 et 12 octobre, les rebelles yéménites ont été accusés d'avoir tiré des missiles sur des navires de guerre américains en mer Rouge, ce qui a entraîné pour la première fois une intervention contre eux des États-Unis qui ont fait usage de missiles de croisière sur des sites de radars.
Selon François Heisbourg, conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris, les rebelles ont juste voulu montrer à Washington qu'il y avait "un prix à payer" pour son soutien à l'Arabie Saoudite, mais les États-Unis, qui sont dans une période de transition, ne devraient pas aller au-delà de frappes ponctuelles. Dans la nuit du 15 au 16 octobre, des responsables américains de la Défense se sont d'ailleurs montrés prudents quant à la nature d'éventuels nouveaux tirs de missile.
Quelques heures plus tôt, un coup de théâtre avait marqué une première désescalade : la coalition pro-saoudienne qui, dans un premier temps, avait nié toute responsabilité dans le carnage du 8 octobre à Sanaa a admis - fait rarissime - une énorme bavure commise "sur la base d'informations erronées". Elle a annoncé des "compensations" pour les familles des victimes "civiles". Un peu plus tard, on apprenait que plus de 100 personnes blessées lors des frappes à Sanaa étaient évacuées, avec deux otages américains, vers le sultanat d'Oman qui joue souvent un rôle d'intermédiaire entre les Houthis et l'Iran chiite d'une part, et ses voisines du Golfe, les monarchies arabo-sunnites, de l'autre.
Les rebelles chiites houthis au Yémen ont réclamé  "une enquête internationale indépendante" sur "des crimes de guerre" de la coalition militaire arabe qui les combat et qui vient d'admettre une bavure après le carnage de Sanaa. Les résultats de l'enquête "n'innocentent pas" la coalition de "sa violation du droit international humanitaire", ont annoncé les rebelles sur leur site sabanews.net en citant "un responsable du ministère des Affaires étrangères". Ce responsable a appelé le secrétaire général de l'ONU à "former rapidement une commission d'enquête internationale indépendante (...) sur les crimes de guerre commis au Yémen par la coalition". "Ceux qui ont soutenu ou perpétré ces crimes ne resteront pas dans l'impunité", a-t-il encore assuré.
Dernier signe d'apaisement : l'avion omanais, qui a évacué les blessés yéménites et deux Américains libérés par les Houthis, avait auparavant ramené une délégation rebelle qui était bloquée depuis début août à Mascate en raison du blocus aérien imposé par la coalition à Sanaa. Cette délégation avait participé à des pourparlers de paix inter-yéménites qui s'étaient achevés à Koweït, sans succès. Vendredi, le Royaume-Uni a annoncé qu'il présenterait un projet de résolution au Conseil de sécurité de l'ONU "appelant à l'arrêt immédiat des hostilités et à une reprise du processus politique", parallèlement à l'accès à l'aide humanitaire.
À la veille du carnage à Sanaa, le médiateur de l'ONU Ismaïl Ould Cheikh Ahmed avait évoqué la possibilité d'une trêve de 72 heures renouvelable. "Il y a une pression énorme à l'intérieur et à l'extérieur du Conseil de sécurité" pour que les belligérants reprennent les négociations, souligne Alani. Mais, jusqu'ici, la principale pierre d'achoppement a été la résolution 2216 (avril 2015), qui exige le retrait des rebelles des territoires conquis depuis l'été 2014 et la restitution des armes. "Les Houthis ne sont pas prêts à appliquer la 2216 car ils s'estiment traités injustement", relève Alani.
Parallèlement, cette résolution ne dispose pas de mécanismes d'application contraignants, dont une date butoir. Selon lui, "c'est la raison pour laquelle il y a cette impasse et le maintien (par la coalition) d'une pression militaire et économique pour que (les rebelles) acceptent une bonne partie de la résolution, pas nécessairement tout".

(16-10-2016)

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