jeudi 6 octobre 2016

Maroc : Le duel annoncé entre islamistes et libéraux aura-t-il lieu ? (Idriss Elram)


Les législatives sont prévues le 7 octobre pour désigner 395 députés. Élections à l'issue desquelles le parti islamiste du PJD (Parti justice et développement), à la tête du gouvernement de coalition marocain depuis fin 2011, entend bien conserver le pouvoir face à son principal adversaire du Parti authenticité et modernité (PAM, libéral). Le taux d'abstention, de 55 % en 2011, sera l'un des enjeux du scrutin, sachant qu'un tiers du corps électoral n'est déjà pas inscrit sur les listes. Ces législatives signent par ailleurs le retour des salafistes, candidats sous diverses étiquettes, dans le jeu électoral. Sur la trentaine de partis participant, huit ont une audience véritablement nationale et peuvent espérer obtenir un groupe parlementaire, dont la Fédération de la gauche démocratique (FGD), qui a fait une campagne remarquée sur le thème de la "troisième voie".

Qui vote ?
Quelque 15,7 millions d'électeurs sur une population totale de 34 millions de Marocains, sont appelés ce vendredi à se prononcer et élire les 395 membres de la nouvelle Chambre des représentants (1re chambre du Parlement marocain) pour cinq ans au suffrage universel direct. Sur les 395 sièges que se partageront les futurs députés, 305 seront répartis entre 92 circonscriptions locales. Les 90 qui restent seront réservés à une liste nationale de femmes (60 sièges) et de jeunes de moins de 40 ans (30 sièges). La composition de cette Chambre influera sur la structure et l'orientation politique du prochain gouvernement. L'article 47 de la nouvelle Constitution de juillet 2011 dispose que le roi nomme le chef du gouvernement "au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants et au vu de leurs résultats" . Le parti vainqueur procède à des alliances avec d'autres formations politiques en vue de former un gouvernement majoritaire, jouissant d'une stabilité qui lui permettrait de s'acquitter de sa mission de pouvoir exécutif.

Comment se déroule le scrutin ?
Les élections législatives 2016 se dérouleront, selon un scrutin de liste à un tour, à la représentation proportionnelle et avec un seuil électoral de 3 % (nombre minimum de voix qu'un parti doit s'assurer afin d'accéder au Parlement). Selon les chiffres du ministère marocain de l'Intérieur, un total de 1 410 listes de candidatures ont été présentées à la veille de la campagne électorale pour un total de 6 992 candidats.

Quid de la campagne ?
Lancée officiellement le 24 septembre dernier pour prendre fin ce jeudi, la campagne électorale est intense sur le terrain et sur les réseaux sociaux. Elle est marquée par l'utilisation de techniques traditionnelles, comme la distribution de dépliants et brochures de propagande des listes de candidats, le contact direct avec les passants ou le porte-à-porte pour expliquer les propositions et les programmes de chaque parti, ainsi que de techniques relativement créatives avec la distribution de tee-shirts, casquettes, stylos et agendas portant le signe de la liste de candidats en lice aux échéances législatives. Meeting, distribution de tracts électoraux, passages à la télévision, placard d'affiches et saturation des réseaux sociaux, ce sont là autant de moyens utilisés de manière plus ou moins ingénieuse par les candidats pour faire parvenir leurs messages et convaincre le plus grand nombre d'électeurs. Pour ces législatives, le gouvernement a prévu une subvention de 250 millions de dirhams, distribuée par tranches à la trentaine de partis politiques en compétition. L'État a fixé un plafond de dépenses électorales de 500 000 dirhams pour chaque candidat, qui devra justifier auprès de la Cour des comptes à la fin de sa campagne.

Vers un duel PJD/PAM ?
Aux dernières législatives fin 2011, le PJD avait remporté un succès historique, dans le sillage des Printemps arabes, des contestations de rue au Maroc et d'une vaste réforme constitutionnelle voulue par le roi Mohammed VI. Le parti islamiste est depuis lors à la tête d'un gouvernement de coalition comptant des libéraux, des communistes et des conservateurs. Après cinq années aux affaires, les islamistes conservent une forte audience dans le pays. Les législatives s'annoncent comme un duel serré entre le PJD du Premier ministre Abdelilah Benkirane, et le PAM, Parti authenticité et modernité, fondé en 2008 par un proche du roi, Fouad Ali El Himma, avec comme objectif affiché de contrer les islamistes. Le parti islamiste au Maroc, mené par le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, a pris date pour les législatives de 2016 en dominant dés septembre 2015 les élections locales, signe de son implantation durable dans le paysage politique. Le parti Justice et développement (PJD) a remporté les régionales avec 25 % des sièges et pris la 3e place des communales, terminant en tête dans les principaux centres urbains dont Fès, la capitale spirituelle.

Faut-il continuer l'expérience islamiste ?
Avec les déboires ces dernières années des islamistes en Égypte et en Tunisie, propulsés au pouvoir dans la foulée du Printemps arabe, le PJD reste la seule formation islamiste encore à la tête du gouvernement dans un pays de la région. Avec Abdelilah Benkirane comme Premier ministre d'une coalition hétéroclite comptant communistes, libéraux et conservateurs, l'arrivée aux affaires du PJD n'a cependant pas entraîné de grands bouleversements politiques. Le roi Mohammed VI, chef de l'État et "commandeur des croyants", reste de facto "le seul qui décide sur les questions stratégiques et à long terme", selon une récente analyse de la Fondation Carnegie. Pour le PJD, qui s'appuie sur la classe moyenne et urbaine, l'objectif affiché est clair : "un deuxième mandat" pour "continuer la réforme", avec toujours en arrière-plan le "référentiel" islamique. Cette réforme a été jusqu'à présent somme toute très relative. Le PJD s'est bien gardé de légiférer sur les mœurs et a surtout cantonné son action à la sphère économique et sociale, sur un mode plutôt libéral et dans un contexte difficile.

La "troisième voie" de la gauche marocaine
Le PAM pourfend un bilan "catastrophique" et s'inquiète d'une "islamisation rampante" de la société. Bien implanté en zones rurales et chez les notables, il ne propose pourtant rien de très différent du PJD en matière socio-économique, reprenant le leitmotiv de la croissance. Il se pose en revanche en grand "défenseur des libertés" et de la condition féminine, promettant d'envoyer un bataillon de femmes dans le prochain parlement. Avec un art de l'allusion consommé pour ne pas prendre de front le palais, le PJD a accusé pour sa part le PAM, et dans une moindre mesure le ministère de l'Intérieur, d'être la courroie de transmission d'un mystérieux "État parallèle" (le "tahakoum", en arabe) qui userait de "méthodes autoritaires" et "de barbouzes" pour contrôler la vie politique.

(05-10-2016 - Par Idriss Elram)

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