lundi 11 avril 2016

Libye : Le mikado du gouvernement d'union nationale (Benoît Delmas)

Un mikado diplomatique grandeur nature. C'est le mot. Retirer un élément du jeu politique sans faire tressaillir son voisin. Puis recommencer jusqu'à extinction des rivalités. Pour le placide al-Sarraj, la situation exige patience et doigté. Sous la houlette bienveillante de l'ONU et de son haut représentant Martin Kobler, le GNA compose avec les forces en présence. Deux gouvernements existants, celui de Tobrouk - légitime aux yeux de la communauté européenne - et l'illégitime de Tripoli, un millefeuilles de milices, une poignée de tribus sans lesquelles rien ne sera durable (Toubou, Touareg, Warfalla), la NOC (la Compagnie nationale de pétrole), la Banque centrale... Un enchevêtrement que démêle fil à fil le Premier ministre démineur. Son coup de force politique mené le 30 mars, son arrivée sur la base navale de Tripoli par bateau puisqu'on lui interdisait les airs, serait-il sur le point de devenir un coup de maître ? Les risques d'affrontements qui planaient suite aux menaces proférées à la télévision par Ghwell, Premier ministre tripolitain, se sont cantonnés à quelques fusillades éparses. Le front islamo-milicien qui régente la capitale libyenne se délite. De nombreuses défections enregistrées. De nombreuses villes, encadrées par des milices, ont fait allégeance au GNA. Le pied droit à peine posé sur le sol libyen, al-Sarraj était salué par le ministre de l'Intérieur « Fajr Libya ». Le GNA tel un aimant attire à lui des ralliés de la dernière heure et des tacticiens de leurs intérêts particuliers. Plus solides, Mustafa Sanalla (le tout puissant PDG de la NOC) et le gouverneur de la Banque centrale, par laquelle il faut passer pour tout commerce de pétrole, prenaient contact avec le nouveau venu. Quant à ceux qui ont qualifié al-Sarraj de « traître », ils seront désormais contraints de composer pour s'assurer un avenir qui ne soit pas que judiciaire. L'heure est au rassemblement de toutes les forces, des Frères musulmans aux nationalistes, afin que l'union soit parfaite. Si les hommes forts de Tripoli résistent, ce qui était prévisible, un épineux problème se situe plus à l'est.

Tobrouk fait de l'obstruction
Après douze jours de présence à Tripoli, le GNA attend toujours le vote de soutien de la chambre des représentants de Beïda (Tobrouk). Qui joue un jeu épuisant pour les nerfs onusiens en repoussant sans cesse ce scrutin, une simple formalité puisque la majorité des députés y est favorable. Choyé par la communauté internationale, les autorités de Tobrouk sont aujourd'hui dans son collimateur. Les multiples prétextes invoqués – quorum insuffisant & co – ont provoqué plusieurs tweets de remontrance, une fessée en langage onusien, de la part de Martin Kobler. Qui, sur Twitter, lançait : « I strongly urge the House of Representatives to hold an immediate session to vote on the Govt of National Accord. » L'inlassable diplomate a depuis rencontré les représentants de Tobrouk au Caire. Qui promettent un vote d'investiture d'ici le 18 avril. Peter Millett, l'ambassadeur britannique à Tripoli, a élaboré sur son blog un parallèle entre la situation en Irlande du Nord (30 ans de conflit, 3 500 morts, 47 000 blessés) et la Libye. Estimant que « le compromis n'est pas un mot injurieux ni un signe de faiblesse ». Deux chantiers urgents sont suspendus à cette décision : la lutte contre l'État islamique et la relance de l'économie.


« La Libye court à la faillite faute de compromis »
Sérieusement accrochées en Syrie et en Irak par des coalitions hétéroclites (les Russes et le régime de Bachar el-Assad, les Occidentaux ainsi que les pétromonarchies), les forces du Califat auraient doublé selon plusieurs experts en contre-terrorisme. Entre six et huit mille djihadistes seraient désormais sur le territoire libyen. Une main-d'œuvre qui n'a aucun intérêt à ce que l'union politique réussisse. Daech a profité du chaos et entend conserver la situation en l'état. L'économie, qui repose essentiellement sur le pétrole et le gaz, ne repartira que si la sécurité est assurée sur les champs pétrolifères. Les nombreux incidents, attaques et assassinats, ont divisé par quatre la production. Le pétrole, ce sont des devises qui irriguent la Banque centrale, permettant l'importation de produits de première nécessité pour un peuple ruiné par cinq années de luttes intestines. Sur son blog, l'ambassadeur UK écrit que « la Libye court à la banqueroute » si un compromis n'est pas signé entre toutes les parties. Et de conclure son billet, au ton très direct, par un « Aux Libyens de décider ». L'union ou Daech. Le compromis ou la mise à terre de l'économie. Un choix qui ne repose pas sur les seules épaules d'al-Sarraj.


(11-04-2016 - Benoît Delmas)

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