samedi 30 avril 2016

Israël/Palestine : "Je suis un Arabe palestinien, c’est mon identité nationale. Et je suis aussi un citoyen d’Israël." (Ayman Odeh)

Ayman Odeh, 41 ans, chef du Hadash, le Parti communiste juif et arabe, est le leader de la Liste arabe unie, devenue la troisième force politique du pays en obtenant 13 sièges aux dernières élections législatives. Rencontre à Haïfa, sa ville natale, au pied du mont Carmel, où vit sa famille depuis trois cents ans.

Quel est votre état d’esprit alors que les tensions sont de plus en plus vives non seulement entre Palestiniens et Israéliens, mais entre les deux communautés, juive et arabe, au sein d’Israël ?
Nous vivons à l’heure des fanatismes. Si on ose dire que ce pays est celui de tous les citoyens, on vous regarde comme un extrémiste et vous êtes harcelé très durement. Sans doute, il ne s’agit pas d’un Etat qui pratique l’apartheid : les simples faits que je siège à la Knesset avec les 12 autres membres de la Liste arabe unie et l’existence de la Cour suprême en constituent des preuves tangibles. Néanmoins, les Palestiniens d’Israël (20 % de la population) sont confrontés au racisme et à la discrimination. Quel est le seul facteur de lutte contre le racisme ? La démocratie. C’est un combat commun. Les juifs et les Arabes doivent le mener ensemble, car je crois fermement en un Etat moral. Il ne peut y avoir de combat séparé. Je vis dans une ville mixte, Haïfa, où juifs et Arabes mènent encore une existence commune. C’est la ville la plus saine d’Israël. Personne, ici, ne peut dire que nos deux peuples ne peuvent pas vivre ensemble. Le problème, ce n’est pas nos peuples, mais le gouvernement qui alimente le feu de la haine.

L’islamisme, aussi, est vecteur de haine. Comment le combattez-vous ?
Mais il s’est produit un phénomène extraordinairement positif ! Nous siégeons ensemble au sein d’une liste arabe unie. Com munistes, islamistes, nationalistes, modérés, sont réunis autour des mêmes objectifs. Il faut réaliser ce que cela signifie aujourd’hui, au Moyen-Orient, où tout le monde se déchire. C’est en soi une victoire formidable : nous, Arabes, avons été capables de dire stop aux conflits internes. Je suis un Arabe palestinien, c’est mon identité nationale. Et je suis aussi un citoyen d’Israël. Le lendemain des élections qui ont fait de notre liste la troisième force politique du pays, nous sommes allés voir tous les ministres et nous leur avons demandé de nous donner nos droits. Nous avons été capables d’influencer des décisions économiques sur le sous-développement des zones où vit notre minorité. Nous nous battons pour qu’elles soient mises en application au plus vite. Il s’agit notamment de réduire les disparités dans les transports publics : 40 % des nouveaux crédits alloués aux villes arabes y seront consacrés. C’est du concret, pas de l’idéologie.

Je reviens sur la question de la violence qui reste présente : l’idéologie extrémiste, l’influence de Daech, ne risquent-elles pas de saper les bases de votre combat ?
Patience ! Aux Etats-Unis, il y avait Malcolm X mais aussi Martin Luther King. La réalité, c’est que 88 % de la population arabe a voté pour notre liste arabe unie. Qui essaie de nous pousser vers l’extrémisme ? Le gouvernement ! Bien sûr, que nous sommes affectés par la détérioration de la situation dans les Territoires. Au moment des accords d’Oslo, en 1993, il y avait un mieux très sensible. Et puis, allons au fond des choses, nous ne sommes pas seulement une minorité nationale, c’est notre patrie ! Nous ne sommes pas venus vers l’Etat d’Israël : c’est l’Etat d’Israël qui est venu à nous. Et, à partir de 1967, l’Etat a occupé des territoires. Or, l’occupation fait d’abord souffrir les Palestiniens et ensuite la société israélienne. Elle la métamorphose en une société violente et raciste. Je crois qu’un peuple qui en occupe un autre ne peut pas être libre. Je préfère la résistance pacifique, mais je comprends que les Palestiniens décident de leur façon de résister.

Avec les couteaux, les attentats ?
Je suis et je serai toujours contre le meurtre des civils innocents. Tout mon parcours témoigne de la valorisation des idées pacifistes. Et mon combat de député palestinien d’Israël, c’est de l’intérieur de cette société que je le mène. Par exemple, pourquoi y a-t-il des villes et des villages où nous ne pouvons pas nous installer ? Pourquoi dans des villages qui existaient avant l’Etat – ceux qui n’ont pas été détruits – n’y a-t-il ni eau ni électricité ? C’est le cas d’Oum al-Hiram, dans le Néguev, dont la population refuse d’être expulsée. Quarantedeux autres villages sont dans le même cas, on les qualifie d’illégaux. Nous voulons les faire reconnaître. C’est ainsi que l’on désamorce la tentation de la violence : par la réparation et l’égalité. La paix, la démocratie et la justice sociale constituent les objectifs communs aux deux peuples de cette terre.

Que pensez-vous de la campagne pour le boycott d’Israël ?
Boycotter les produits des colonies est une décision morale. Je la soutiens. Mais pas question d’être contre les juifs et contre l’Etat d’Israël. Je fais partie de cet Etat, je siège à la Knesset. Je ne peux donc pas soutenir mon propre boycott. C’est l’occupation qu’il faut combattre, pas l’Etat.

(Propos recueillis par Martine Gozlan, de Marianne, du 29 avril au 05 mai 2016)

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