dimanche 17 avril 2016

Libye : Est-il permis d'espérer ? (Agnès Faivre)

Entre le 17 février 2011, début de l'insurrection libyenne qui conduira à la chute de Muammar Kadhafi, et le 30 mars 2016, date de l'arrivée à Tripoli du chef d'un gouvernement d'union soutenu par l'ONU, Fayez el-Sarraj, plus de 5 ans se sont écoulés. Cinq années jalonnées de bouleversements politiques : formation d'une autorité de transition (CNT), premier scrutin démocratique en juillet 2012 pour choisir les députés du Congrès général national (CGN), nouvelles législatives en juin 2014 à l'issue desquelles deux parlements rivaux, à Tobrouk (la Chambre des représentants) et à Tripoli (CGN), vont se disputer le pouvoir, début du dialogue national en septembre 2014. Une longue transition, sur fond de guerre civile, au cours de laquelle les milices se sont imposées dans la recomposition du paysage politique. Autre acteur déterminé à asseoir son autorité sur certaines portions du territoire : le groupe État islamique (EI), qui a planté son drapeau noir à l'automne 2014 dans ce qu'il est devenu légion de qualifier de « chaos libyen ».

La Libye, un État « disloqué »
Autant dire qu'un éventuel retour à la stabilité politique est fermement attendu, et ce, bien au-delà des frontières de l'ex-Jamahiriya. « Peut-on toujours sauver la Libye post-Kadhafi ? », interroge toutefois le quotidien Aujourd'hui au Faso, tandis que s'organisait à Tunis ce mardi 12 avril une conférence pour coordonner le « soutien international » à la Libye. Une cinquantaine de pays et d'organisations internationales y étaient représentés. Le site burkinabé affiche ainsi sa circonspection quant aux ambitions de cette conférence. Tout d'abord, l'Allemagne, les États-Unis et le Qatar se sont engagés à verser 18 millions d'euros pour soutenir le nouveau gouvernement libyen. « Mais dans la réalité, que représentent 18 millions d'euros pour cette Libye, où tout est à reconstruire ? Le système sanitaire est à genoux et l'OMS estime qu'il faut 50 millions pour le requinquer, c'est la banqueroute au niveau des banques, et l'économie est dans un état comateux », écrit le titre burkinabé, qui met en question un peu plus loin la bonne foi de certains participants, « soupçonnés de s'accommoder avec les pratiques islamistes, si ce n'est qu'ils les financent carrément ». Autres obstacles au retour « à une vie normale » selon Aujourd'hui au Faso : la division politique, l'insécurité et un État « disloqué ». « Les différentes tribus que Kadhafi avait réussi à agglomérer, du moins, dans une coexistence pacifique, se regardent désormais en chiens de faïence. À la vérité, la Libye en tant qu'État, tel que défini par les principes même de l'ONU, n'existe pas », assène le quotidien.


L'élaboration de la constitution libyenne à la peine
Sur la question des institutions en Libye, le sitecorrespondents.org, qui coordonne depuis Tunis une rédaction composée notamment de journalistes libyens en exil, se demande où en est la Constitution, sur laquelle un comité de 48 membres de l'Assemblée constituante libyenne avait entrepris de plancher en avril 2014. « Deux ans à attendre une Constitution », titre le site, qui dresse un constat défaitiste. Même si les travaux ont repris pour la première fois en Libye le 10 avril dernier, après plusieurs mois de réunions à Malte, en Tunisie ou dans le sultanat d'Oman, le comité reste marqué par les dissensions. Les boycotts de certains de ses membres, et notamment des communautés amazigh, toubou et touareg, qui veulent voir leur culture et leur langue davantage représentée, se sont poursuivis. « Cette instance est à l'image des autres institutions libyennes, gouvernée par les conflits, et pourrait finir par s'effondrer », peut-on lire sur Correspondents.


De « grands pas vers la paix »
Le Pays, quant à lui, veut voir le verre à moitié plein. « Table ronde sur la Libye à Tunis : l'espoir est permis », titre le quotidien burkinabé, dont l'optimisme se fonde sur « l'accélération des événements ces dernières semaines ». Avec tout d'abord, ce « coup de force politique » : le débarquement (par la mer) du nouveau Premier ministre Fayez el-Sarraj à Tripoli, capitale contrôlée, comme l'Ouest libyen, par la coalition de milices Fajr Libya (Aube de la Libye). Ensuite, Le Pays évoque « un grand pas vers la paix » quand le gouvernement de Tripoli apporte son soutien à ce nouveau gouvernement d'union nationale. Et un « autre grand pas décisif » avec l'annonce, cette fois, du président du Parlement de Tobrouk (l'autre pouvoir, à l'est du pays), d'un vote de confiance prochain à ce gouvernement de consensus. Le Pays dresse un contexte explicatif de cette annonce. « Il y a eu ce ralliement du gouverneur de la Banque centrale libyenne et du directeur de la Compagnie pétrolière publique, au gouvernement d'union nationale, qui semble avoir coupé l'herbe sous les pieds de tous les pêcheurs en eaux troubles. À cela, s'ajoutent les menaces de sanctions que n'a de cesse de brandir la communauté internationale à l'encontre de tous ceux qui sont contre le retour de la paix en Libye. Sans doute, en changeant son fusil d'épaule, le président du Parlement de Tobrouk espère-t-il échapper à ces sanctions européennes. C'est tant mieux donc, d'autant plus que par ce geste, il ouvre la voie au vote de confiance par les parlementaires de Tobrouk, seuls habilités à adouber les nouvelles institutions libyennes », explique le quotidien burkinabé.


Consultations au Caire pour aboutir à un consensus
Les parlementaires de Tobrouk vont-ils décider de se soumettre aux nouvelles autorités ? « D'intenses tractations sont en cours au Caire », nous dit El Watan dans un article intitulé « Le général Haftar, protégé de l'Égypte ». Dans cet article, le politologue libyen Ezzedine Aguil explique que l'envoyé spécial de l'ONU Martin Kobler soutient ces tractations, même s'il avait cru à un certain moment « pouvoir faire passer el-Sarraj sans cet aval, avec sa fameuse histoire d'ambulance qui n'a pas besoin de papiers en règle pour intervenir en état d'urgence ». Difficile toutefois de contourner cette instance jusque-là reconnue par la communauté internationale, et aussi son « homme fort » : le général Haftar, qui dirige les forces loyales et veut incarner la lutte antiterroriste en Libye. Son rôle sur l'échiquier libyen « constitue le principal point de divergence entre les diverses factions libyennes », selon le quotidien algérien. Cette divergence, précise dans ses colonnes l'ancien président du conseil local de Benghazi Jamel Bennour, « tourne autour de la position à adopter à propos du rôle de l'islam politique dans la Libye de demain ». « Khalifa est soutenu par l'Égypte qui a la même attitude agressive contre l'islam politique », ajoute Mansour Younès, enseignant à la faculté de droit de Tripoli, dans El Watan. « Haftar constitue le rempart de l'Égypte contre Daech et les autres groupes islamistes armés présents en Libye », poursuit-il.


La Tunisie doit se positionner
Quant à cet autre voisin de la Libye qu'est la Tunisie, elle doit s'imposer, alors que le monde est aujourd'hui au chevet de la Libye, estime enfin le site en ligne Tunisie numérique, qui titre « Retour en force de la diplomatie tunisienne. » Le site d'info rappelle que Tunis a joué un « rôle déterminant dans le soutien à la rébellion contre Kadhafi de manière discrète », puis a « accueilli plusieurs millions de réfugiés sur son sol, forçant l'admiration de tout le monde grâce à sa capacité de gestion de cet important flux de personnes ». Or, la Tunisie, dont l'économie a fortement pâti des nombreuses répercussions de la crise libyenne, est restée « passive » sur la scène diplomatique. Certes, Tunis s'est astreint à la neutralité et a soutenu fermement la solution politique quand bruissaient les rumeurs d'intervention militaire en Libye, mais, déplore le site tunisien, « la diplomatie tunisienne ne s'est pas assez impliquée dans le processus politique initié par les Nations unies », dont les réunions se tenaient en Suisse, au Maroc ou en Algérie. Du coup, elle « n'a pas profité du soutien apporté aux nouvelles autorités libyennes étant donné que Tunis est resté en dehors du cercle des pays influents en Libye qui se sont partagé le gâteau », constate Tunisie numérique. Alors, aujourd'hui qu'elle marque enfin des « points importants » en accueillant la conférence internationale sur la Libye, après avoir permis au nouveau gouvernement d'union libyen formé en janvier de s'installer dans sa capitale, « la Tunisie doit s'armer pour faire face à une concurrence farouche sur le terrain ». « Les pays se précipitent déjà en songeant aux marchés qu'ils vont remporter pour leurs usines et leurs entreprises », explique le site, qui invite la Tunisie à faire preuve d' « esprit d'initiative » et de « volonté ». Pour l'heure, la Tunisie, qui a été la première à rouvrir son ambassade à Tripoli, s'est fait voler la vedette par le ministre italien des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni.


Les ambassadeurs de retour à Tripoli
« La diplomatie de nouveau active autour de la Libye », titre à ce sujet l'Agence d'information d'Afrique centrale, selon qui « la première visite d'un haut responsable occidental en Libye depuis 2014 ne pouvait être qu'italienne ». Et de pointer « les gros intérêts économiques que Rome tire de l'activité extractive en Cyrénaïque menée par le géant pétrolier ENI ». Intérêts financiers ou sécuritaires, quoi qu'il en soit, cette visite a surtout ouvert la voie à celle des ambassadeurs de France, d'Espagne et du Royaume-Uni. Après un an et demi d'absence.


(17-04-2016 - Par Agnès Faivre)

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