jeudi 28 avril 2016

Libye : Intervenir au risque d'une guerre civile

À Tripoli, en avril 2016, sur la place des Martyrs, lors d'un rassemblement, deux manifestants se prennent en photo en affichant leur soutien au nouveau gouvernement.
On reparle d'une intervention militaire en Libye... C'est lors d'une rencontre, le 21 avril dernier, avec le ministre britannique des Affaires étrangères, Michael Fallon, que Jean-Yves Le Drian annonçait l'accord des deux capitales sur la constitution d'une force conjointe franco-britannique en vue d'une éventuelle intervention en Libye. Voilà qui rappelle 2011, lorsque Paris et Londres avaient donné le coup d'envoi de l'intervention militaire qui allait renverser le colonel Kadhafi. On sait quelles furent les suites de cette guerre, dont on paie encore les conséquences catastrophiques.
Cette fois, il s'agit de combattre les djihadistes de l'État islamique. Profitant du morcellement du pays où des milices se sont constituées en fiefs rivaux, l'aile libyenne de Daesh, renforcée d'étrangers, s'est s'installée dans la région de Syrte. Elle y applique, comme à Raqqa en Syrie, une interprétation rétrograde de la charia et pousse ses pions en direction des zones pétrolières. Le 11 avril, Daesh a obligé les Libyens à évacuer des champs pétroliers à 800 km au sud-est de Tripoli. Une situation qui inquiète les Européens et les voisins de la Libye. Ce fief libyen de Daesh pourrait servir de base arrière à l'envoi de terroristes en Europe, tandis que l'absence d'État facilite le renforcement d'une « route libyenne » pour les migrants qui veulent rejoindre le sud de l'Europe alors que la route des Balkans est fermée.
Les Nations unies et l'Europe (France, Italie, Grande-Bretagne, Allemagne) ont donc un objectif : obliger la Libye à retrouver un gouvernement central légitime qui remettrait de l'ordre dans le pays et pourrait faire appel à une communauté internationale prête à l'y aider. Concrètement, rarement les Nations unies et les capitales européennes ont mis autant de volontarisme pour imposer une solution politique à un pays en chaos. Reprenons le scénario de cette incroyable histoire qui se déroule depuis ces derniers mois entre les deux rives de la Méditerranée.
C'est en décembre dernier, à Skhirat au Maroc, que se joue le premier acte de la pièce libyenne. Les Nations unies, appuyées par les Européens, ont rassemblé des députés des deux parlements rivaux libyens (celui de Tripoli, pro-islamiste, et celui de Tobrouk, plus libéral) pour former ensemble un « gouvernement d'union nationale ».  Cette troisième entité doit réconcilier la Libye avec elle-même et disposer de la légalité politique. Un homme d'affaires, Fayez el-Sarraj, est choisi par les parlementaires des deux camps présents à Skhirat  comme Premier ministre de la nouvelle entité politique en devenir. Un processus contesté par les députés des deux bords restés en Libye, à commencer par les présidents des deux parlements.
Le deuxième acte du scénario se déroule le 30 mars. Fayez el-Sarraj et son équipe, installés entre la Tunisie et le Maroc, tentent un coup de force. Poussés par l'ONU et les Européens, ils débarquent à Tripoli, par la mer, en provenance de Sfax (Tunisie) et s'installent sur la base de la marine qui leur a prêté allégeance. Leur sécurité est assurée par des membres du ministère de l'Intérieur qui ont fait défection et une poignée de combattants berbères. Le Premier ministre du gouvernement de Tripoli qualifie el-Sarraj d'« intrus » ; le grand mufti appelle au djihad. Apparemment sans conséquence.
Depuis, Nations unies, Européens, pays arabes multiplient les pressions pour faire accepter la nouvelle équipe. Avec un certain succès. Rapidement, après un véritable ultimatum, le gouverneur de la Banque centrale et le patron de la compagnie pétrolière se rallient au nouveau pouvoir. Deux « prises » de choix. Une dizaine de villes de l'Ouest, dont Sabratha, annoncent leur soutien à Sarraj, imitées par quelques milices armées, tandis que les autres proclament leur neutralité. Parallèlement, la France et la Tunisie déclarent rouvrir leurs ambassades à Tripoli, le représentant de l'ONU pour la Libye, Martin Kobler, et son équipe reviennent s'installer dans la capitale libyenne quittée en 2014. Une quarantaine de pays arabes et occidentaux réunis à Tunis annoncent le déblocage de fonds pour remettre sur pied les infrastructures. Dernière scène – pour l'instant – du scénario : des ministres européens, dont Jean-Marc Ayrault, le chef de la diplomatie française et son homologue allemand, viennent, le 17 avril, rencontrer el-Sarraj lors une visite éclair à Tripoli. Il faut montrer que les Occidentaux voient en lui le représentant de la légalité internationale, même s'il est toujours reclus sur la base de la marine…
Rien n'est totalement gagné. Il reste deux étapes essentielles pour faire reconnaître la légitimité de la nouvelle équipe. La première est d'ordre pratique. Ils doivent avoir l'accord des politiques et des milices de Tripoli qui tiennent la ville, y compris l'aéroport, s'ils veulent quitter la base de la marine et rejoindre leurs bureaux.
La seconde étape est d'ordre politique. L'accord inter-libyen signé après la conférence de Skhirat prévoit que c'est au Parlement de Tobrouk, dont la légitimité a été reconnue par la communauté internationale, qu'il revient de voter en faveur du gouvernement d'union nationale. Dans l'immédiat, il s'y refuse. A l'origine du désaccord, la place qui sera accordée dans le nouvel exécutif au général Khalifa Haftar, actuel chef de la Défense du gouvernement de Tobrouk. Cet ex-proche de Kadhafi qui avait fait défection, anti-islamiste soutenu financièrement et militairement par l'Égypte et les Émirats arabes, entend conserver son poste de chef de l'armée. Il est rejeté par Tripoli qui voit en lui le retour des kadhafistes très anti-islamistes. Dans un premier temps, les Occidentaux semblaient prêts à le sacrifier. Ils veulent aujourd'hui lui trouver un autre poste.
Les pressions s'accentuent sur les parlementaires réticents au vote. Ils sont menacés de se voir privés de visas pour l'Europe et du gel de leurs avoirs. Des arguments de poids pour certains. Restera ensuite à tenter de rebâtir une armée, avec l'aide de l'Otan, qui devra intégrer les milices. Celles-ci se disent capables de battre et d'éliminer Daesh si les Occidentaux leur en donnent les moyens financiers et militaires. Mais la majorité d'entre eux refuse une intervention extérieure, qui, disent-ils, relancerait la guerre civile. C'est la grande crainte des Libyens.

(28-04-2016)

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