lundi 23 mai 2016

Tunisie : "Nous avons évité une guerre civile en Tunisie par le consensus" (Wided Bouchamaoui)

"Le principal chemin qu'il reste aujourd'hui à accomplir pour de nombreuses femmes est celui de trouver un emploi, car il reste des femmes qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école."
 
Femme de dialogue, elle a oeuvré à la transition démocratique de son pays après le printemps arabe. Wided Bouchamaoui est présidente de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica), le patronat tunisien, qui est aussi l'une des quatre organisations du pays à avoir reçu le prix Nobel de la paix en 2015. Formé en 2013, au moment où la transition éprouvait des difficultés, ce quartet se compose des syndicats UGTT et Utica, de la Ligue tunisienne des droits de l'homme et de l'ordre des avocats tunisiens. Un dialogue national qui a permis au pays de se doter d'une Constitution. Présente vendredi à l'Institut du monde arabe, la patronne des patrons tunisiens alerte aujourd'hui sur la situation économique et sécuritaire de la paix.

De quoi êtes-vous la plus fière dans le travail que vous avez mené à la tête du dialogue national ?
À l'annonce du prix Nobel, j'ai ressenti une grande fierté pour moi, mais aussi pour tout le peuple tunisien. Il s'agit d'une reconnaissance internationale de l'effort fourni par le quartet tunisien, qui a abouti à la rédaction d'une Constitution garantissant le respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, pour tous les Tunisiens, quels que soient leur sexe, leur religion ou leur appartenance politique. Le quartet est parvenu à mettre en place un système de gouvernance moderne, exemplaire pour l'ensemble du monde arabe, dont nous pouvons être fiers. Par le consensus et le dialogue, nous avons donc sauvé la Tunisie et évité une guerre civile.

Votre objectif était de créer un consensus au sein de la société civile. Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées pour mettre tout le monde d'accord ?
Nous avons mené un travail de longue haleine afin de convaincre les partis politiques de signer la feuille de route que nous avions préparée, mais aussi pour les amener à suivre à la lettre les engagements pris. Il s'agit d'un travail de négociation ardu. Mais les leaders des partis politiques sont des représentants du peuple et ont su se montrer à l'écoute et nous faire confiance. Le quartet était formé de quatre organisations issues de la société civile, ce qui a assis sa légitimité à la tête du Dialogue national. Toutes les parties prenantes savaient que notre objectif était de sortir le pays de l'impasse. Aujourd'hui, nous pouvons donc conclure que la société civile est parvenue à mener un travail collectif et collégial efficace.

Vous mettez beaucoup en avant l'émancipation des femmes dans la société civile tunisienne, ne reste-t-il pas encore du chemin à parcourir ?
Notre Constitution garantit la parfaite égalité entre les femmes et les hommes, ce qui est une exception dans le monde arabe. Lorsqu'à un moment donné le concept de « complémentarité » a été évoqué, la société civile a su faire pression, ce qui montre qu'il s'agit d'un acquis pour le peuple. L'un des ingrédients essentiels de la place des femmes en Tunisie est qu'elles sont éduquées et émancipées, mais cela ne veut pas dire que nous n'avons aucun problème. Le principal chemin qu'il reste aujourd'hui à accomplir pour de nombreuses femmes est celui de trouver un emploi, car il reste des femmes qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école. Il faut s'occuper d'elles et plus globalement du chômage, qui est l'un des grands enjeux actuels de la Tunisie.

Vous dénoncez également la solitude de la Tunisie face aux problèmes de sécurité, quelle est la situation du pays ?
La Tunisie a connu des problèmes qui ont fortement impacté le tourisme. De nombreux moyens ont été débloqués pour assurer la sécurité, complètement pris en charge par les Tunisiens. La situation s'améliore, mais nous avons aussi besoin d'une vigilance et d'une aide internationale, car nous sommes dans une région fragile. À l'heure actuelle, la priorité est de chercher une solution politique à la crise en Libye : il faut trouver une solution pacifique, car toute intervention militaire aura des conséquences dans le pays, mais aussi dans toute la région.


(23-05-2016 - Propos recueillis par Laurène Rimondi)

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