mardi 17 mai 2016

Algérie : Rififi à Alger dans le cadre de la succession présidentielle (Mireille Duteil)

Chakib Khelil a pu rentrer à Alger après l'annulation d'un mandat d'arrêt contre lui pour vice de forme. L'ancien ministre de l'Énergie (ici en 2003) était soupçonné de corruption. (Afp)

La guerre est rallumée entre la présidence algérienne et l'ex-DRS (Département du renseignement et de la sécurité), les services de renseignements algériens, dont l'ancien patron, le général Mediène, est parti à la retraite en septembre.
À l'origine du différend ? Le retour en Algérie de Chakib Khelil, en mars, après trois ans d'exil aux États-Unis pour échapper à un mandat d'arrêt international dans une affaire de corruption liée à la Sonatrach, l'entreprise pétrolière algérienne. Mais, surtout, la volonté de l'ex-ministre de l'Énergie et des Mines, ami d'enfance d'Abdelaziz Bouteflika, de viser la succession de l'actuel président, malade.
Interviewé le 10 mai sur la chaîne algérienne privée, Ennahar TV, Chakib Khelil ne se dérobe pas. Sera-t-il candidat à la présidentielle ? lui demande le journaliste. « C'est le peuple qui décidera. Mais si le président me sollicite, je répondrai présent », répond-il sans hésitation. On ne saurait être plus clair. On comprend pourquoi, les semaines précédentes, l'ex-ministre de l'Énergie s'était lancé frénétiquement dans une tournée des grandes zaouïas (confréries religieuses) du pays. Bouteflika avait utilisé cette méthode pour se faire adouber d'une partie de la population avant son élection en 1999. Quant à Chakib Khelil, il a bien besoin de redorer son blason alors qu'il passe, aux yeux des Algériens, pour le haut fonctionnaire qui s'est le plus enrichi frauduleusement du pays. Même si le mandat lancé contre lui, son épouse et ses deux fils – ils vivent tous trois aux États-Unis - en octobre 2013 a été annulé pour vice de forme.
Pour les anciens du service de renseignements, que Chakib Khelil puisse envisager de succéder un jour à Abdelaziz Bouteflika, permettant ainsi de proroger la domination du clan présidentiel, est un affront. En 2011, c'est l'ex-DRS qui avait, en partie, initié les enquêtes sur les affaires de corruption liées à la Sonatrach (trois gros contrats passés de gré à gré entre la Sonatrach et des sociétés étrangères). Celles-ci, en particulier la Saipem, une filiale du pétrolier italien ENI, sont accusées d'avoir reversé des commissions à l'entreprise algérienne. L'enquête avait donc mené à l'inculpation de Khelil, l'ami d'enfance du président, originaire d'Oujda, au Maroc, comme lui (tous deux ont fréquenté la même école), soupçonné, par certains, d'être le « banquier » du clan présidentiel.
Dès le lendemain de la déclaration de l'ex-ministre de l'Énergie sur son éventuelle candidature, un site, Algérie patriotique, géré par un des fils du général Khaled Nezzar, ancien patron de l'armée, rappelait opportunément l'importance des sommes reçues par Najat Arafat, l'épouse de Khelil, sur un compte au Liban. Son nom est aussi apparu dans les Panama Papers. Elle posséderait « deux sociétés offshore au Panama servant de paravent à des comptes bancaires en Suisse », selon les documents des Panama Papers. L'ex-ministre explique ses comptes en Suisse par le fait qu'il y avait déposé sa retraite de la Banque mondiale avant de la transférer aux États-Unis, où il est titulaire d'une carte verte.
« Cette enquête d'Algérie patriotique apparaît comme le coup d'envoi d'une contre-attaque des secteurs de l'armée, de l'ancien DRS en particulier, qui a subi la tentative de réhabilitation de Chakib Khelil comme une humiliation », écrit Maghreb Emergent, un des sites les mieux informés et les plus crédibles d'Algérie. En fait, c'est la poursuite de la vieille querelle entre le clan présidentiel et l'ex-DRS dans le cadre de la succession du président. Si le mandat d'Abdelaziz Bouteflika court jusqu'au printemps 2019, son état de santé suscite des inquiétudes et aiguise les appétits. Chaque camp prépare son ou ses poulains.
Chakib Khelil a un handicap : la Constitution algérienne prévoit que les candidats à la présidentielle doivent justifier d'une résidence permanente exclusive en Algérie depuis dix ans (les Khelil sont aux États-Unis depuis 2013) et que le(a) conjoint(e) doit posséder la seule nationalité algérienne d'origine. Najat Arafat (rien à voir avec Yasser Arafat) est de nationalité américaine et d'origine palestinienne. Certes, les lois sont faites pour être modifiées, mais les Algériens apprécieraient peu.
Chakib Khelil pense avoir un atout : ses excellents contacts avec Washington. Après avoir étudié aux États-Unis, diplôme d'ingénieur en poche, il a longtemps travaillé dans des sociétés pétrolières américaines avant de rejoindre la Banque mondiale. Ministre de l'Énergie depuis 1999 et patron de la Sonatrach, un secteur très lié aux Américains, il a rencontré tout le gotha pétrolier et politique américain. Ses détracteurs font remarquer que, lorsqu'il était ministre de l'Énergie et patron de la Sonatrach, les États-Unis étaient devenus les premiers importateurs de brut algérien (50 000 tonnes en 2002, 17 millions de tonnes en 2010). Les « nationalistes » algériens, dont certains secteurs de l'armée, lui reprochent beaucoup d'avoir ouvert le secteur des hydrocarbures aux sociétés étrangères, en particulier américaines.
Khelil ne cache pas son penchant pour les États-Unis, qui ont refusé de l'extrader lorsqu'il y était réfugié. Il montre, par contre, peu d'affinités avec la France. « Entre la France et l'Algérie, la relation est coloniale, mais, entre l'Algérie et les États-Unis, nous avons toujours eu des liens amicaux », expliquait-il le 16 mai lors d'un forum organisé à Alger par le quotidien arabophone Al Hiwar, reprochant à Paris de soutenir « sans limites le Maroc sur le Sahara » et le rendant responsable de la déstabilisation de la Libye.
Nul doute que Washington ne dédaignerait pas de voir un candidat aussi ouvertement pro-américain, passé par des universités et entreprises américaines, chausser les bottes de Bouteflika. On dit même qu'il y aurait eu une entente entre Washington et certains milieux algériens pour son retour. L'avenir le dira. Mais l'Algérie est un pays qui réserve souvent des surprises.

(17-05-2016 - Mireille Duteil)

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