mardi 17 mai 2016

Tunisie : Le nouveau visage d'Ennahda (Benoît Delmas)

2017 sera une année électorale avec la tenue des municipales. 2016 est donc l'année des congrès des principaux partis qui s'affronteront lors de ce scrutin clé pour l'avenir de la Tunisie, celui du contrôle des mairies et de l'instauration progressive de la décentralisation. Longtemps considéré comme le Grand Satan par Nidaa Tounes, Ennahda est devenue son allié après les législatives de 2014. Un accord négocié par les deux vétérans de la politique tunisienne : le président de la république Beji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi. Accord qui offre au pays une stabilité politique nécessaire en ces temps de menaces terroristes et de crise sociale latente.
Rached Ghannouchi ne fait plus mystère des grandes orientations que le parti va révéler lors de cet important congrès, le dixième de son histoire. Ennahda veut gouverner, aspire à devenir un parti comme les autres, présentera un programme économique, ne cache pas son admiration pour le modèle turc depuis l'avènement de Recep Erdogan à la tête du pays. Sur les dossiers clés, le leader historique affiche sa solidarité avec BCE et le gouvernement d'Habib Essid. La loi de réconciliation économique – un pardon moyennant amendes aux personnes ayant bénéficié de la corruption sous Ben Ali – est « indispensable, urgente et salutaire » selon ses déclarations à Leaders Arabiya. La promesse de campagne de BCE avait été reportée au quatrième trimestre 2015 faute de consensus. Une question de timing qui devrait trouver un aboutissement prochain. Sur la question du terrorisme et de la radicalisation des esprits, le Cheikh pointe le danger d'une « confrontation entre les extrémistes de tous bords » (takfiristes de Daech compris) et « ceux qui prônent le rassemblement des forces vives ».
Si les rapports avec l'Égypte du maréchal al-Sissi sont rompus depuis le coup d'État mené contre Mohamed Morsi et les dizaines de milliers d'arrestations de membres des Frères musulmans, Ennahda voit en la Turquie un exemple de réussite politique et économique. L'AKP, le parti du président Erdogan, gouverne le pays depuis 2002. La progression économique, indéniable, s'est accompagnée depuis deux ans de sérieux coups de canif dans le domaine des droits de l'homme : incarcération de journalistes, juges et policiers mutés car jugés « hostiles » au président turc. Néanmoins, lors des dernières législatives, l'AKP a été reconduite au pouvoir. Si ce cap est officiellement confirmé, le parti islamiste tunisien ne pourra échapper à un examen critique de ses années au pouvoir.
En 2011, le parti emporte les élections. Avec 89 élus sur 217 au sein de l'Assemblée constituante, Hamadi Jebali devient Premier ministre. Deux autres partis (Ettakatol et le CPR) forment la Troïka qui gouvernera jusqu'en janvier 2014. Ils quitteront le pouvoir après qu'un dialogue national ait été mené pour trouver une solution politique. Le bilan économique de ces presque deux années et demie de gestion des affaires publiques s'avèrera très mauvais. Hausse du chômage, de l'inflation, peu de réformes et beaucoup d'attentisme. Sans compter les grèves à répétition, les assassinats de deux hommes politiques, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Chez Ennahda, comme dans la plupart des partis islamistes, on règle ses différents à huis clos. Le bilan des années au pouvoir n'a pas été fait, publiquement s'entend. Une autopsie a été mandatée en interne mais elle a été confiée à Ali Larayedh qui a été ministre de l'Intérieur puis Premier ministre. Pas le plus apte à procéder à un bilan lucide. Le Congrès, préparé au millimètre, ne permettra pas d'offrir des débats contradictoires. L'image d'un parti rassemblé, uni autour de la stature de Rached Ghannouchi, sera vendue aux Tunisiens et aux hôtes étrangers. Un exercice de communication soigneusement orchestré.
Le premier scrutin majeur depuis les présidentielles et législatives de 2014 se tiendra en mars 2017. Les communes tunisiennes choisiront leurs élus. S'ils sont alliés à l'Assemblée des représentants du peuple, Nidaa Tounes et Ennahda présenteront des listes séparées contrairement à ce que laissaient supposer des rumeurs distillées à l'automne dernier. De ce vote surgira la photographie politique tunisienne. Face à ces deux locomotives qui caractérisent un système bipartisan somme toute classique, qui seront les adversaires ? Nidaa Tounes qui a connu une scission de ses députés depuis octobre dernier, son ex-secrétaire général Moncef Marzouk ayant fondé son nouveau groupe parlementaire Al-Horra sera-t-il capable de mobiliser contre la machine très huilée d'Ennahda ? Ce dernier est présent dans tous le pays avec des militants organisés. La machine Nidaa, très efficace en 2014, souffrira-t-elle de ses divisions ?
Le Congrès terminé, les projecteurs et les micros remisés, Ennahda devra faire face à la désillusion d'une partie de sa base qui ne comprend toujours pas le rapprochement opéré avec Nidaa Tounes après une campagne électorale verbalement violente entre les deux forces politiques. Les aggiornamentos politiques ne sont pas toujours audibles par certains cadres et une jeunesse divisée. Et le Congrès passé, des non-dits demeureront. Et les Tunisiens attendent de leur classe politique des solutions à un quotidien de plus en plus difficile.

(17-05-2016 - Benoît Delmas)

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