jeudi 26 mai 2016

Israël : L'Etat hébreu s'ancre à l'extrême droite

« Il s'agirait de la coalition la plus à droite d'Israël. » Le constat est d'autant plus alarmant qu'il émane de Washington, l'allié indéfectible. Dans un communiqué, le département d'État exprime ses « interrogations légitimes sur la direction que [le gouvernement israélien, NDLR] pourrait prendre et quel genre de politiques il pourrait adopter ». Autrement dit, les États-Unis ne cachent pas leur inquiétude face à l'inexorable droitisation d'Israël.
Pour pallier la démission fracassante du ministre de la Défense, Moshe Yaalon (Likoud, droite nationaliste), qui s'était alarmé de la mainmise d'« extrémistes » à la tête du pays, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a désigné Avigdor Lieberman, qui n'est autre que le chef du parti d'extrême droite Israël Beiteinou (« Israël notre maison »).
« Depuis sa victoire aux élections législatives de 2015, Benjamin Netanyahu ne disposait que d'une coalition extrêmement étroite, avec 61 sièges à la Knesset sur 120 députés. Ainsi, pendant un an, il n'a pu faire passer beaucoup de lois, notamment en raison de défections au sein de sa majorité », rappelle Ilan Greilsammer, professeur de sciences politiques à l'université Bar-Ilan à Tel Aviv. « Étant avant tout un pragmatique, le Premier ministre cherchait depuis longtemps à élargir sa coalition. En faisant entrer cinq élus d'Israël Beiteinou en son sein, il possède désormais 66 sièges et s'offre une majorité plus stable. »
Problème, Avigdor Lieberman, l'homme désormais aux commandes du ministère le plus important d'Israël, ne possède aucune expérience sur le plan militaire, et demeure, qui plus est, résolument anti-arabe. Après avoir qualifié en 2014 le président de l'Autorité palestinienne Mahmud Abbas de « terroriste diplomate », il a déclaré l'année suivante que les citoyens arabes d'Israël qui se montraient déloyaux envers l'État hébreu méritaient « de se faire décapiter à la hache ».
Or, c'est justement de la supervision des Territoires palestiniens occupés – la Cisjordanie – que devra s'occuper le nouveau ministre de la Défense. Et si, à l'inverse de plusieurs ministres nationalistes religieux du gouvernement Netanyahu, Lieberman ne se dit pas hostile à la création d'un État palestinien, il prône en revanche l'adoption de mesures ouvertement discriminatoires vis-à-vis des populations arabes, palestiniennes comme israéliennes. Il défend par exemple l'idée d'un échange de territoires qui ferait passer sous administration palestinienne une partie de la population arabe israélienne contre des colonies juives en Cisjordanie.
Autre souhait exprimé par Lieberman avant sa nomination, la volonté d'infliger la peine de mort aux Palestiniens auteurs d'attentats anti-israéliens. Selon certaines sources, Avigdor Lieberman aurait d'ailleurs obtenu que la sentence prononcée par les tribunaux militaires en Cisjordanie ne le soit plus à l'unanimité des trois juges, mais à la majorité. Un scénario que rejette catégoriquement le politologue Ilan Greilsammer. « La peine de mort n'a jamais été pratiquée en Israël, sauf pour les anciens nazis », souligne-t-il. « Ceci est de la propagande intérieure. La seule chose qui intéresse Avigdor Lieberman était d'obtenir le ministère de la Défense, qui prépare la voie au poste de Premier ministre. »
Pour Saeb Erekat, numéro deux de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) interrogé par l'Agence France-Presse, « ce gouvernement représente une vraie menace d'instabilité et d'extrémisme dans la région ». En attendant l'épreuve du feu pour le nouveau ministre, son sulfureux passif ne risque pas d'apaiser une situation déjà explosive sur le terrain. En l'absence de toute perspective de paix – les négociations sont bloquées depuis 2014 –, la région est en proie à une vague de violences que certains ont appelée l'« Intifada des couteaux ».
Depuis l'automne dernier, des attaques palestiniennes quotidiennes à l'arme blanche contre des soldats, des forces de l'ordre, mais aussi contre des civils israéliens ont coûté la vie à vingt-huit Israéliens, deux Américains, un Érythréen, un Soudanais. Quelque 205 Palestiniens (principalement des assaillants abattus par les forces de sécurité, NDLR) ont été tués. Pour l'heure, Avigdor Lieberman a pris soin de calmer le jeu, en s'engageant à mener une « politique responsable et raisonnable ». De son côté, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a promis que son gouvernement « continuera à chercher à parvenir à la paix avec les Palestiniens et avec tous [les] voisins ».
Pourtant, depuis sa réélection à la tête de l'exécutif en mars 2015, celui qui avait juré lors de la campagne électorale qu'il n'y aurait pas d'État palestinien s'il était élu a poursuivi tambour battant la colonisation israélienne en Cisjordanie. Illégale en vertu du droit international, elle constitue le principal obstacle sur le terrain à la création d'un État palestinien. Poussé à l'intransigeance par la nature politique de sa coalition, qui fait la part belle aux partisans du « Grand Israël », Benjamin Netanyahu fait désormais face aux critiques – rarissimes – de hauts gradés de l'armée israélienne.
Lors de la journée commémorative de la Shoah, les propos du général Yaïr Golan ont choqué. Le numéro deux de Tsahal a dit voir « des signes en cette année 2016 [...], des processus nauséabonds qui se sont déroulés en Europe en général et plus particulièrement en Allemagne, il y a 70, 80 et 90 ans ». Il emboîtait le pas au chef d'état-major de l'armée israélienne, le général Eizenkot, qui s'était publiquement opposé à ce qu'« un soldat vide un chargeur sur une fille de treize ans qui le menace avec des ciseaux ».
Dès lors, comment imaginer de tels hauts gradés être dirigés par un ministre d'extrême droite aux propos incendiaires ? « Ces déclarations tiennent plus de la manœuvre politique intérieure que de la véritable idéologie », souligne Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au centre interdisciplinaire de Herzliya (Israël). « Relativement inexpérimenté sur la question militaire, Avigdor Lieberman est en revanche un pragmatique. Il devrait se ranger derrière les positions de ses généraux. »
En décembre 2014, le chef du parti Israël Beiteinou avait ainsi surpris en proposant un plan de paix associant pays arabes de la région, Palestiniens et Arabes israéliens.

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