lundi 11 janvier 2016

Tunisie : Nidaa Tounes se recompose en présence de Ghannouchi (Benoît Delmas)

Commencé le 1er novembre par une rixe à Hammamet, le soap opera Nidaa Tounes a resserré les rangs ce week-end à Sousse. Ce fut un congrès politiquement stupéfiant. Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a quitté son statut de président de tous les Tunisiens pour revenir (il est président d'honneur) dans l'arène de la machine électorale qui l'a porté au pouvoir. Il a prononcé un vigoureux discours, faisant peu de cas des dix-neuf députés qui ont démissionné du bloc parlementaire de Nidaa à l'ARP. Des propos tenus sous les yeux de Rached Ghannouchi. Décontracté, l'homme - qui était l'ennemi absolu du parti créé pour BCE - a reçu un accueil chaleureux. Il était inimaginable en 2014 que les deux briscards de la politique tunisienne soient publiquement réunis dans la même salle.
Allocution de Béji Caïd Essebsi avant celle de Ghannouchi
Le cheikh d'Ennahda a ensuite gagné l'estrade et prononcé un discours. Rayon petites phrases, on accrochera celle-ci, ciselée à souhait : « La Tunisie est un oiseau dont les deux ailes sont Nidaa Tounes et Ennahda. » Applaudissements pour l'ornithologue. En omettant de citer les deux autres partis de la coalition gouvernementale, Afek Tounes et l'UPL, il a déclenché l'ire calculée de Slim Riahi. L'homme d'affaires à la tête de seize députés UPL à l'ARP a quitté les lieux, refusant de s'adresser à la salle. Un mouvement d'humeur sans conséquence : Nidaa et Ennahda dominent l'assemblée avec 137 élus. Une confortable majorité pour un hémicycle qui compte 217 sièges. D'autant que les frondeurs de Nidaa, s'ils ont quitté le bloc parlementaire, continueront de soutenir le gouvernement d'Habib Essid. Le vote de confiance qui doit intervenir à l'ARP pour le nouveau gouvernement sera une simple formalité. Le soutien indéfectible des islamistes sera réitéré.

Un changement de logiciel pour Nidaa Tounes
La montée en puissance du fils du président de la République, Hafedh Caïd Essebsi, s'est traduite par sa nomination comme secrétaire national, directeur exécutif du parti. Un titre qui lui permet de tenir sa promesse. L'homme avait affirmé au pire de la crise ne pas vouloir postuler au poste de secrétaire général. Il est désormais entouré de treize secrétaires nationaux. On y trouve quelques figures clés de l'entourage de BCE : Selma Elloumi, la ministre du Tourisme, continue d'être la trésorière quand son frère Faouzi (PDG de Cofat) hérite des relations avec l'ARP ; Ridha Belhaj, directeur de cabinet, ayant rang de ministre, à Carthage, devient secrétaire national. Le congrès a marqué le retour au bercail de quelques figures qui avaient annoncé leurs départs. Faouzi Elloumi avait émis fin décembre, sur son mur Facebook, de fortes réserves sur ce « congrès », une simple « assemblée générale » à ses yeux. Le voici récompensé. Idem pour Bochra Belhaj Hmida. Cette femme qui soutenait Ben Ali le 13 janvier 2011, veille de la fuite du dictateur, a multiplié les partis. Élue dans la circonscription de Tunis 2 en octobre 2014, elle avait déclaré quitter Nidaa. Elle a fait son retour, moqué sur les réseaux sociaux, au bercail. Sans obtenir un poste de secrétaire national qu'elle espérait. Entrée à forte teneur symbolique, celle de Nabil Karoui. Le patron, avec son frère Ghazi, de NessmaTv – qui a retransmis le congrès en direct – quitte l'ombre pour la lumière. Il fut dès 2012 l'un des artisans, financiers et promoteurs de la candidature Essebsi. C'est dans son bureau que l'esquisse de Nidaa Tounes a pris forme. Afin d'éviter le mélange des genres, Karoui a promis de quitter ses fonctions à la tête de Nessma. Désormais, l'un des défis qui se pose à six mois du congrès électoral : quelle sera la ligne politique de cette très efficace machine électorale ?

Essebsi et Ghannouchi verrouillent le jeu politique
La présence de Rached Ghannouchi au premier rang du congrès est-elle le prélude d'un rapprochement entre les deux frères ennemis de la politique tunisienne ? Les islamistes tiendront leur congrès au printemps. L'ex-secrétaire général Mohsen Marzouk a toujours été hostile à ce rapprochement. Surtout après les deux campagnes électorales, verbalement musclées, de 2014. L'homme prépare la création d'un nouveau parti depuis sa démission de Nidaa Tounes. Il a réuni des sympathisants au palais des congrès de Tunis. Il veut élaborer un projet national de réformes et du renouveau politique. Sur les 162 membres du bureau exécutif de Nidaa, 42 ont démissionné. Ce nouveau parti, issu de la scission Nidaa, verra le jour en mars. Cette recomposition politique prouve que BCE et Ghannouchi sont les maîtres absolus du jeu politique. Le prochain scrutin électoral, qui fera figure de test, sera celui des municipales. Au mieux fin 2016. Vraisemblablement en 2017. Lundi matin, le ministre de l'Éducation nationale, Neji Jalloul, était interrogé sur la petite phrase de Ghannouchi. Il a répondu « ne pas être compétent en sciences des oiseaux »…

(11-01-2016 - Benoît Delmas)

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