mardi 19 janvier 2016

Tunisie : Kasserine, un suicide, une révolte, et après ? (Benoît Delmas)

Le 12 janvier, un incendie criminel se déclare au foyer du lycée secondaire. Le 14, jour anniversaire de la révolution, un jeune chômeur tente de se suicider. Il décède le 17 et des manifestations se déclenchent en soutien à la mémoire de Ridha Yahyaoui. Le 19 au matin, deux jeunes veulent se jeter du haut d'un bâtiment. La protection civile les  sauve in extremis. La cité Ezzouhour, l'une des plus défavorisées du pays et vivant dans des conditions déplorables s'embrase. Ce quotidien sans espoir nourrit une colère qui ne cesse d'augmenter envers les élites de Tunis. De petits groupes ont commencé à brûler des pneus, renversé de l'essence pour y mettre le feu, pendant que des renforts de police arrivaient sur place. Les objets du quotidien, poubelles, planches, outils, étaient renversés sur les chaussées afin de dresser des obstacles. Des jeunes ont utilisé une écharpe en guise de masques, jetant des pierres sur les forces sécuritaires. Le gaz lacrymogène tente de stopper les assaillants. Les militaires, comme souvent dans des cas critiques d'affrontements entre policiers et jeunesse, se sont disposés aux principaux carrefours de la ville. Kasserine est traversée par une grande rue. De chaque côté, on  trouve des cités disparates. Le siège du gouvernorat est situé tout au bout de la ville. Son contexte social alors que l'hiver frappe durement l'intérieur du pays fait de cette ville un chaudron à ciel ouvert. La rancœur n'est plus contre un Ben Ali, coupable d'avoir ignoré les régions intérieures durant 23 ans, mais contre un système qui les bafoue depuis trop longtemps. Et qui en fait des citoyens d'une autre Tunisie. Photos et vidéos véhiculées sur les réseaux sociaux montrent une violence déjà constatée en 2010.

Un chaudron social qui nourrit le terrorisme
Ce qui se déclenche depuis quelques jours est le résultat d'une politique voulue par Tunis depuis des décennies. Dans un pays hypercentralisé, les régions du Sahel ont toujours été privilégiées par rapport au sud, au centre et au nord-ouest. Les côtes ont bénéficié d'investissements, d'infrastructures afin d'être la vitrine d'une Tunisie vouée au tourisme et au commerce à l'international. Lorsqu'à Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi gratta l'allumette qui allait embraser le carburant qu'il s'était répandu sur ses vêtements, il ne pouvait imaginer que son destin désespéré ferait basculer le pays dans la démocratie. D'autant qu'il n'était pas le premier à se suicider ainsi. En moins d'un mois, Ben Ali a fui Tunis direction l'Arabie Saoudite. Les espoirs furent grands. Mais la succession de gouvernements (BCE en 2011, Hamadi Jebali en 2012, Ali Larayedh en 2013, Mehdi Jomâa en 2014 puis Habid Essid depuis 2015) a multiplié les paroles rassurantes sans jamais bâtir une feuille de route, un projet pour remettre ces régions dans l'économie tunisienne. Le taux de suicide est très important pour un pays musulman. Hier, dans la délégation de Joumine (gouvernorat de Bizerte) au nord, un élève s'est suicidé. La liste est très longue d'une jeunesse qui veut en finir avec « l'humiliation » de sa vie au quotidien. D'autres disent que « ce sera Daech ou le bateau ». Des groupes terroristes se cachent dans les Monts qui entourent Kasserine. De très nombreux militaires et policiers ont été tués depuis 2011. Signe de la gravité des affrontements en cours aujourd'hui à Kasserine, un couvre-feu est instauré de 18h à 5h. Il donne le pouvoir aux sécuritaires de tirer sur les contrevenants en cas de non-obéissance. Il va falloir scruter attentivement les réactions dans d'autres gouvernorats qui vivent la même situation.

(19-01-2016 - Benoît Delmas)

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