lundi 19 septembre 2016

Jordanie : Les tribus et l'argent font l'élection

Sous l'immense chapiteau blanc dressé en guise de QG de campagne dans la capitale jordanienne Amman, l'évènement s'apparente plus à une réunion tribale qu'à un meeting électoral.
Sur fond de musique patriotique et de chants à la gloire du roi Abdallah II, cafés et konafa (douceurs orientales) sont servis à volonté à des dizaines d'invités venus soutenir une des listes les plus médiatisées, en lice pour les législatives de mardi.
Hani Ajour, 55 ans et "déjà grand-père", est venu pour "soutenir" un ami candidat, même s'il n'a "plus confiance dans les élections".
"Malheureusement les résultats sont connus d'avance. Le gouvernement place les gens qu'il veut" au Parlement (...) et les promesses seront vite oubliées après les élections", regrette-t-il.
Ceci ne l'empêchera pas toutefois d'aller voter mardi "juste pour rendre service à mon ami".
Selon un sondage du centre jordanien Phenix des études économiques et informatiques, le nombre d'électeurs qui votent pour soutenir un membre de leur tribu ou de leur famille (32,6%) est supérieur à celui de ceux le faisant "par devoir national" (27%).
Isolé dans un coin, Mohammed qui s'exprime sous un prénom d'emprunt, s'indigne: "Ce sont tous des hypocrites". "Après trente ans dans la sécurité, je peux vous assurer que les élections en Jordanie sont un gros mensonge", martèle cet ancien fonctionnaire du ministère de l'Intérieur.
"S'ils gagnent, les députés oublient leurs femmes et enfants. Que dire alors de leurs électeurs!".
Il affirme venir tous les jours "par devoir" passer une demi-heure au QG de campagne pour "ne pas fâcher" un candidat membre de sa tribu. Mais il ne compte aucunement aller voter. "Même si mon père sortait de sa tombe et se présentait aux élections, je ne voterais pas pour lui".
A l'exception des islamistes, seule force d'opposition capable de mobiliser la foule, les autres candidats comptent notamment sur leurs connexions tribales pour espérer gagner.
Fraudes, clientélisme et vote tribal ont toujours influencé les législatives en Jordanie où une grande partie des électeurs disent avoir perdu confiance dans le processus électoral.
"Je vais voter juste pour exercer mon droit de vote. La plupart des députés n'oeuvrent que pour leur intérêt et non pas pour améliorer la vie de notre peuple", se révolte Lotfi Habib, un électricien dans le centre d'Amman.
Bilal Chalabi boycotte lui aussi le scrutin pour la même raison. "Les députés (...) font passer des lois qui alourdissent le fardeau des Jordaniens", dénonce-t-il, en allusion notamment à la hausse des taxes à la consommation.
L'économie jordanienne a été sévèrement touchée par les conflits qui font rage dans les pays voisins, en Irak et en Syrie, et l'accueil de centaines de milliers de réfugiés pèse lourdement sur les finances du royaume.
Officiellement, le chômage touche environ 14% de la population mais certaines estimations indépendantes font état de 22 à 30% de chômeurs au sein d'une population où 70% des personnes ont moins de 30 ans.
Dans ce contexte, certains Jordaniens gardent espoir dans une jeune génération de politiciens capables d'oeuvrer pour un avenir meilleur.
Après avoir boycotté les derniers scrutins, Sawsan, la trentaine, est décidée cette fois à aller voter. La jeune femme qui travaille dans une ONG internationale dit avoir repéré de "nouveaux groupes qui émergent avec de nouveaux programmes, nourrissant l'espoir d'un grand changement".
Samer Qobaine, la quarantaine, se dit optimiste lui aussi. "La démocratie ne se construit pas en un jour". "Il est vrai que les élections chez nous sont toujours dominées par l'argent et les relations tribales, plus que par le débat politique mais nous essayons petit à petit de changer la donne", dit-il.
L'implication dans les élections de puissants hommes d'affaires et d'importantes tribus, sans appartenance politique connue à l'exception de leur loyauté envers le pouvoir, risque toutefois de laminer les candidats et les partis politiques à petits budgets et, comme lors des derniers scrutins, de pervertir le vote par l'argent.
D'où le slogan brandi par la commission électorale: "Votez pour votre pays, votre voix n'est pas à vendre".

(19-09-2016)

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